Les assoiffés, intéressés ou simples adeptes de la pensée égocentrique y trouveront évidemment leur compte. Puisque notre despote national, ressassant son enfance très précaire et les circonstances de son enrôlement dans l'armée, sans en filigrane louper d'établir un parallèle entre les lourdes pathologies politiques, psychologiques et criminelles dont il est porteur et les pratiques coloniales, parle avec réjouissance et en définitive de lui comme "général aujourd'hui". En ne précisant bien entendu pas qu'il est général de corps d'armée autoproclamé, de la même façon qu'il s'est par ailleurs, deux fois de suite, en 1979 et en 1997, autoproclamé président de la République, avant de s'auto-valider frénétiquement quatre fois par la suite, en 2002, 2009, 2016 et dernièrement en 2021.
Sa mythomanie légendaire, jamais suffisamment assouvie, n'est pas en reste, et est même plutôt goulûment sollicitée ici. En effet, il ressasse encore qu'après avoir perdu les élections en 1992, il s'était retiré dans son village puis en France, où il avait mis à profit sa traversée de désert pour écrire son ouvrage, "Le manguier, le fleuve et la souris" (1997), authentique catalogue et bréviaire de la pensée perverse, dont il a du mal à se détacher et qu'il continue naturellement de relire, et reste partant frappé par la lucidité de son propos. Puisqu'il y annonçait qu'il retrouverait le pouvoir, et l'a évidemment reconquis. Mais en ne précisant pas, une fois de plus, qu'il y a été replacé par des forces financières et armées étrangères, non sans faucher au passage et sur le champ plus d'une dizaine de milliers de vies.
Non dépourvu d'humour, mais plus certainement dans la stratégie de brouiller les pistes, celui qui, à bientôt quatre-vingts ans dont quarante au pouvoir, est obsédé par l'instauration d'une dynastie dans son pays et dans la sous-région, rappelle que l'ambition panafricaine du continent n'a pas disparu ! Une stratégie qu'il considère comme imparable et géniale, puisqu'il est parmi les plus grands dirigeants africains usagers de la théorie, du lexique de la démocratie et des droits de l'homme, pour ne pas être critiqué en la matière, tout en pratiquant savamment le contraire ! Il faut dire qu'il avait déjà réussi l'exploit sous le Congo dit socialiste, de 1968 à 1991, où tous les observateurs avertis savent qu'il clignotait toujours à gauche, mais virait quasi systématiquement à droite ! Au grand plaisir des Françafricains qui en ont fait leur joker...
Mais, et comme si cela ne suffisait pas, qu'en plus, du rêve merveilleux qu'il y promettait à son pays, longtemps et en permanence gavé d'un chapelet de slogans qui, souligne t-il, qu' "il est beau, regorge de ressources, il est peuplé d'hommes et de femmes pleins de talents, d'énergie et de sagesse... il possède tout, le soleil, une terre féconde, de l'eau à profusion, des richesses naturelles" (p.17), fort curieusement, après près de quarante ans cumulés au pouvoir, l'eau dont il fait état et vante, avec le deuxième plus grand fleuve au monde après l'Amazonie, coule effectivement partout en permanence, sauf dans les robinets ! Que près de 70% de son peuple vit sous le seuil de la pauvreté et de la débrouille selon toutes les institutions habilitées, que tous les revenus à caractère social traînent plus de vingt mois de retard de paiement, que le système éducatif est parmi les derniers du monde et que le pays, gangrené par le pillage massif et décomplexé de lui et des siens, est surendetté...se trouve désormais au fond du trou, et sous-perfusion financière internationale chronique ! Tandis que lui, pour avoir, entre autres, réussi à construire l'un des plus grands hôtels (cinq étoiles) du pays dans une brousse de moins de deux mille habitants, et qui a évidemment laissé la clé sous la porte, a impérativement et d'urgence besoin d'un psychiatre de grande expérience et envergure. C'est forcément, et en raison du grand décalage entre les prétentions de l'illustre dictateur-cleptocrate-incompétent et la triste, brûlante, judiciaire et nauséabonde actualité congolaise, la leçon qu'en a implicitement retenue André Bercoff ! Et si, comme on peut légitimement le penser, le but de cette interview impromptue était d'allumer un contre-feux, de parer contre l'actualité lourdement compromettante et accablante diffusée par le journal Libération et à la Une, une semaine durant, du 12 au 16 janvier, tout ce qu'il aura réussi, tout compte fait, c'est au contraire d'attirer plus d'attention sur le profil foncièrement criminel, prévaricateur et inhumain du régime qu'il entretient depuis quarante ans cumulés au Congo Brazzaville, et au cœur de l'Afrique centrale...