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Billet de blog 30 octobre 2013

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Cet été à Trappes, le mépris de Valls face à une citoyenne défiante, fière, libre-penseuse

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Source "Manuel Valls à Trappes" | Durée : 04:20  |  Images : iTélé
J'avais manqué cette petite vidéo, tournée cet été après une conférence de presse donnée à Trappes suite aux émeutes dans cette ville des Yvelines. Le ministre de l'Intérieur Manuel Valls, accompagné du maire de la ville, est interpellé par une habitante. La femme reproche au ministre l'inaction des pouvoirs publics et certaines méthodes policières dans la gestion de ces événements survenus à proximité du commissariat de la ville.
Cet échange est extrêmement révélateur des rapports entre, d'un côté, la politique « institutionnelle » et ses représentants et, de l'autre, les citoyens « ordinaires ». La gêne provoquée par cette femme qui entend simplement être en mesure de parler pendant un moment d'égal à égal avec Valls est palpable. Car cette revendication d'égalité se heurte à l'asymétrie qui sous-tend la conception qu'a le ministre du politique, de son rôle, de son statut, du rapport entre un responsable publique et les citoyens qu'il est censé servir. D'ailleurs, Valls refuse d'écouter cette femme jusqu'au bout et termine la « discussion »  avec un sermon :

La mise en cause d'un élu, d'un ministre, des forces de l'ordre, y compris dans vos mots, montre bien qu'il y a un problème (...). Ne profitez jamais, jamais d'un micro pour mettre en cause un maire qui fait bien son boulot et encore moins la police qui fait son travail remarquable.

Donc, pour lui, un citoyen n'aurait pas le droit d'utiliser les médias pour faire valoir ses vues et mettre en cause le pouvoir. Conception particulière de la démocratie et de la liberté d'expression, et malheureusement largement partagée au sein de la classe politique. Conception asymétrique d'ailleurs relevée par cette interlocutrice dans les dernières secondes de la vidéo.

Avant de lui tourner les talons, le ministre -- qui sort tout juste d'une conférence de presse -- accuse même cette femme d'avoir « préparé » son interpellation publique. Admettons que ce soit effectivement le cas, même si rien dans cette vidéo ne permet de le penser. Manuel Valls fait comme si l'utilisation stratégique des médias devait être l'apanage des seules élites dirigeantes, rompues qu'elles sont aux joies du spin et aux discours formatés à coup de media training sous l'égide des professionnels de la communication politique. Asymétrie persistante, une nouvelle fois relevée par cette inconnue qui dénonce la « double mesure ».

Dans cet échange, il est aussi question des réseaux sociaux. la femme invite le ministre de l'Intérieur à prendre en compte les vidéos faisant état des violences policières, qui circulent alors sur Twitter. On a aussi appris par la suite que certains membres des forces de l'ordre se laissaient aller au moment des émeutes à des propos ouvertement racistes et violents, notamment sur Facebook. Une affaire révélée par le site militant Copwatch (dont le ministère de l'Intérieur avait obtenu la condamnation en justice et le blocage en 2011 -- autre exemple où le pouvoir a voulu nier aux citoyens le droit de le mettre en cause). Mais quand elle lui demande s'il regarde « ce qu'il se passe » sur Internet, Valls répond :

Ne regardez pas trop Twitter et les réseaux sociaux

Qu'on se contente de TF1, M6, BFMTV ou Pujadas, « chère madame », et les poules seront bien gardées...

Un échange symptomatique qui montre une fois de plus l'inconfort des gouvernants vis-à-vis d'Internet, un moyen de communication qui révèle du pouvoir un tout autre visage que celui qu'il aimerait donner. Symptomatique aussi de la profonde hostilité dont font preuve beaucoup de dirigeants envers ce peuple défiant, fier, libre-penseur, porteur d'une revendication d'égalité, incarné ici par cette citoyenne insurgée.

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