Voici les points que j'ai exposés hier à mon père pour argumenter mon refus de lui faire une procuration pour soutenir la liste rassemblée autour de Claude Bartolone alors qu'il m'empressait de le faire pour manifester mon opposition au Front National. Afin de contribuer à expliquer ce qui sera le geste d'une majorité d'électeurs et pour répondre à ceux qui se sont empressés de désigner les abstentionnistes comme le premier mal dont souffre la démocratie, je vais exposer dix raisons qui me poussent à m'abstenir.
1. Les idées défendues par cette liste ne sont pas les miennes, cela peut paraître idiot mais je pense qu'il est bon de rappeler ce que devrait être un choix impliquant de déléguer sa souveraineté à un représentant. Dimanche dernier je n'ai voté ni pour le Parti Socialiste ni pour aucune des listes qui l'ont rejoint depuis.
2. Le Parti Socialiste est à la tête du Conseil Régional d'Île-de-France depuis 1998. S'il serait stupide de soutenir une liste concurrente pour ce seul motif, il faut bien avouer que le Parti Socialiste incarne parfaitement la professionnalisation de la vie politique à laquelle je m'oppose.
3. M. Bartolone est député de la 9e circonscription de la Seine-Saint-Denis et de surcroît président de l'Assemblée nationale. Mon opposition au cumul des mandats et mon attachement à la séparation des pouvoirs m'amènent ne pas voter pour sa liste.
4. Le Parti Socialiste conduit ce rassemblement. Je doute fort de la capacité des quelques futurs conseillers régionaux non-encartés au PS à faire entendre leur voix face à ce dernier. Europe Ecologie-Les Verts et le Front de Gauche, que je considère comme des alternatives sensées, à défaut d'être crédibles, n'auront pas voix au chapitre.
5. Un rassemblement n'a de sens que s'il est porteur d'un programme conçu en concertation et approuvé par les adhérents de tous les partis. Ceux qui prônent le rassemblement de la gauche à tout bout de champs ont, je crois, une très mauvaise analyse de la façon dont évoluent les comportements électoraux depuis quinze ans. L'existence de plusieurs forces politiques distinctes au sein de la gauche favoriserait au contraire l'émergence d'un débat et la mise à l'agenda de thématiques spécifiques : emploi, formation, transports... Les enjeux électoraux sont aujourd'hui portés par le Front National et une partie de la droite, ce sont l'identité et l'insécurité. Plutôt que d'y répondre maladroitement, notre devoir est d'imposer nos propres enjeux que nous savons justes et en cohérence avec les compétences de la région, c'est ce que j'ai tenté de faire ces derniers mois en faisant campagne pour Nouvelle Donne.
6. Le "front républicain" n'est pas une pratique électorale qui va de soi et qui ne rassemble pas de façon égale les électeurs en fonction de leur préférence politique. D'après Joël Gombin cité par France Culture dans un article sur la question lundi dernier, alors que 90% des électeurs de gauche soutiendraient le candidat "républicain" de droite au second tour, ce serait le cas pour seulement un électeur de droite sur deux en cas de duel Parti Socialiste vs. Front National.
7. Ces alliances donnent du crédit à l'idée d'un FN "seul contre tous" qui, en plus de servir sa communication, lui permet de se positionner comme une victime du système qui n'arrive pas à accéder à des postes alors quand bien même il réunit les votes de millions de personne, lui fournissant un argument de choix pour qualifier le système de caduque et injuste.
8. Le Parti Socialiste et Les Républicains sont les premières causes de la montée du Front National. Par les déceptions que leurs mandats successifs engendrent chez leurs électeurs et surtout par leur faiblesse intellectuelle qui les amène à légitimer les priorités du Front National, ces deux partis sont responsables du succès grandissant de ce dernier. La proposition de déchéance de nationalité pour les terroristes binationaux faite par M. Hollande le 16 novembre dernier est un parfait exemple d'une gauche totalement incapable de trouver une réponse à des évènements d'une gravité exceptionnelle sans emprunter le chemin préalablement tracé par l'extrême-droite.
9. Le Front National n'est rien politiquement... et pourtant il est tout. Il n'est rien car seuls deux députés et une poignée de maires y sont encartés, l'impact de ceux-ci sur la conduite de politiques publiques en France est pratiquement nul. Pourtant il est tout car il est au centre de l'attention médiatique et politique depuis quinze ans. L'urgence de faire bloc face à l'extrême-droite n'est pas réelle. Cependant le Front National gagne sans cesse en popularité, c'est indéniable. Gardons-nous de jouer le jeu du "seul contre tous" pendant qu'il en est encore temps, c'est une stratégie contre-productive à long terme.
10. Je refuse de servir de caution à des personnes incapables d'autocritique et de remise en question. Je ne veux pas qu'on se serve de mon vote pour mener des politiques antisociales sous la bannière d'une "union de tous les républicains", ce qui par ailleurs n'a aucun sens.
Voici les dix raisons qui me poussent à m'abstenir dimanche prochain en Île-de-France. Comme vous pouvez le constater, elles ne relèvent ni d'un désintérêt pour cette élection, ni d'un cynisme défaitiste ou d'un idéalisme béat. Les abstentionnistes ne sont pas des idiots ni des fossoyeurs de la démocratie comme il m'a été donné de le lire après les résultats du premier tour. Ils envoient au contraire une diversité de messages aux élus qui ont en commun le rejet de la politique qu'ils mènent, sur le fond comme dans la forme.
PS : Beaucoup de personnes m'ont demandé pourquoi je m'abstenais plutôt que de voter blanc. J'ai répondu depuis à cette question dans un autre article.