Depuis Pétain (que je n’ai pas connu), je suis exaspéré par cette idée récurrente que l’on peut combattre un ennemi en rejoignant ses rangs pour « l’infléchir de l’intérieur ».
Or depuis que le vieux schnock à moustache fit « don de sa personne » au peuple français pour « éviter un désastre », on sait que l’ennemi se gausse bien des hurluberlus naïfs qui se rêvent en cheval de Troie d’une cause faillie. Ils ont beau venir taper à l’huis du vainqueur, il n’existe aucune raison au monde pour que ce dernier leur accorde la moindre grâce, surtout si la victoire est éclatante et complète.
Pour autant, le dit huis (oui, essayez la prononciation orale c’est encore plus bizarre) reste largement ouvert à tous les apprentis renégats et autres ravis de la crèche, qui mettent le peu de crédit et de force qui leur reste au service du nouveau maître, feignant ainsi de croire que ce gage de bonne volonté saura être payé par quelque influence retour sur le destin des vaincus.
Car, par nature le prince est gourmand, c’est d’ailleurs à ça qu’on le reconnaît (copyright Audiard). Et rien ne lui convient plus qu’un vaincu qui se vautre à ses pieds comme une vieille chatte, en espérant de sa part quelque récompense. Outre le plaisir quasi charnel que doit lui procurer le spectacle d’une volonté brisée et d’un honneur renié, l’aubaine de la soumission présente également des avantages politiques non négligeables. Pouvoir se targuer du ralliement d’un chef de guerre adverse contribue à discipliner le peuple du vaincu qui, soit se dit que tout est perdu, soit espère que le chef rallié a une idée derrière la tête et un plan en réserve.
Le destin du bouffi de Verdun nous a prouvé à son époque que de plan B il n’y avait point et qu’il y en a rarement en ces circonstances. L’homme providentiel s’est contenté de vendre son peuple à l’ennemi et d’assurer l’intendance de la trahison. Ce qu’il fît avec brio. Avait-il eu au moins la moindre velléité lui aussi d’infléchir la volonté du petit Adolphe dont chacun connaissait la propension à la magnanimité et la compassion ? Nul ne le saura jamais et tout le monde s’en tape le coquillard tant une telle illusion eut été dérisoire. Le passage à l’ennemi se fait sans arme mais avec bagage, et le prix de la trahison est un coup de pied dans le fondement après usage.
La figure pétainiste étant devenue un incontournable de la défaite et de la perdition, il est dès lors difficile de ne pas y faire référence chaque fois qu’un personnage lié au pouvoir politique se compromet avec le camp d’en face pour « l’infléchir de l’intérieur ». Il n’y a pas si longtemps, sous une mandature à talonnette, quelques caciques d’un parti socialiste zombie (Copyright Todd), feignirent de croire qu’un ralliement fort opportun au petit caporal de service leur permettrait d’agir dans l’intérêt de celles et ceux qu’ils représentaient. Ils avaient pour nom, Bernard Kouchner , Martin Hirch, Eric Besson et d’autres insignifiants dont le nom s’estompe déjà dans les limbes de l’infamie. Bien entendu, après avoir déposé aux pieds (qui dans ce cas n’étaient pas très éloignés de la tête) de leur nouveau mentor la faible caution dont ils pouvaient se prévaloir, ils n’obtinrent rien et perdirent tout, surtout leur honneur. Ils confirmèrent ainsi à leur tout petit niveau que le compromis se fait d’égal à égal alors que la compromission est l’apanage des faibles. D’autant que le peuple, personne ne leur demande jamais formellement quoi que ce soit et surtout pas de choisir à sa place entre l’honneur et le déshonneur. Mais la « bouffitude » (Copyright Royal) personnelle d’un dirigeant failli ignore définitivement la volonté profonde de son peuple. Je ne parle même pas ici du parti socialiste, ou autrement dit « la droite complexée » (Copyright Frédéric Lordon), qui en 1983 se mit en tête d’accompagner le libéralisme et l’Allemagne « pour lui clouer les mains sur la table » et est devenu en moins de 20 ans l’avant-garde la plus zélée du capitalisme financier et dérégulé en Europe.
L’histoire regorge donc de ces très dispensables supplétifs des vainqueurs dont on ne sait jamais vraiment s’ils jouent leur intérêt propre ou celui de leur cause, étant entendu que, quoi qu’il en soit, aucun d’entre eux n’obtiendra jamais rien pour la cause qu’il entend défendre.
Et c’est donc très vraisemblablement dans les poubelles de l’histoire que finira – Hélas ! – Alexis Tsipras, jeune premier ministre combatif et prometteur qui, pour des raisons qui lui appartiennent, a préféré se soumettre sans se démettre. Condamné ainsi à devenir le commis bénévole de ses bourreaux, sa mission sera désormais de maintenir l’espoir chez son peuple, alors même que ce dernier vient juste de pénétrer dans la salle d’équarrissage.
Difficile pour autant d’en vouloir à Alexis Tsipras. Il s’est battu comme aucun autre ne s’était battu depuis des décennies, sans moyens et sans soutien et n’a pas cherché à masquer son échec. Ce qui n’a pas été le cas de son homologue François Hollande qui avait tout le poids et l’artillerie nécessaire pour affronter la panzer division troïkale, mais dont le ralliement à l’ennemi n’a même pas nécessité de combat, attendu qu’il est lui-même l’ennemi. Mais, volens nolens, la volonté de tsipras de rester au pouvoir pour « assumer » ses choix, sincère ou non, n’en fait pas moins de lui le supplétif de ceux qui l’ont assujetti et humilié. Et à moins d’un coup de théâtre prochain, il n’y gagnera rien et perdra tout, y compris – et surtout - son honneur.
On peut d’ailleurs également s’interroger sur la compétence ou la santé mentale de tous les Héraults démocrates qui restent persuadés que l’Europe, dont on ne peut leur contester qu’elle reste une belle idée, se changera de l’intérieur. Il faut avoir l’optimisme furieusement et pathologiquement chevillé au corps, ou être atteint d’un Alzheimer précoce mais virulent, pour ne retenir aucune des saloperies que le capitalisme financier a infligées à la démocratie européennes ces 20 dernières années. Surtout quand ladite séquence se clos par ce qui n’est ni plus ni moins qu’un coup d’état d’un ensemble de pays sur un autre, suivi d’une annexion financière.
Malheureusement, renvoyer toutes ces personnes chez leur gérontologue (et je ne doute pas que parmi nos « fonctionnaires » de l’information certains en ont un grave besoin), ne servirait à rien. La vérité est que l’Homme n’apprend jamais de son passé.