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Billet de blog 25 septembre 2017

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Faut-il défendre l’Audiovisuel public ?

La loi de finance 2018 va multiplier les mesures d'économies dans tous les secteurs publics. Pour l'Audiovisuel, déjà fragile et sous financé, elle pourrait s'avérer catastrophique. Des centaines de suppressions d'emplois, des fermetures de sites ou la réduction du nombre de chaînes ne sont pas à exclure alors que des solutions de financement simples existent.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce n’est qu’une des mauvaises nouvelles de la rentrée et elle est passée presque inaperçue: l’an prochain, le gouvernement entend réduire le budget de l’Audiovisuel public de 80 Millions d’€ !(1) Pourquoi, après tout, ce secteur serait-il à l’abri de la révolution Thatchérienne engagée par Emmanuel Macron ? Qui va s’en inquiéter alors qu’il y a tant de raisons de s’indigner ? Après les ordonnances qui démantèlent le code du travail, le budget 2018 qui prévoit 16 à 20 Milliards d’économies va imposer une cure d’austérité à la sécurité sociale, réduire les APL des plus modestes, supprimer 120 000 emplois aidés et des milliers de postes de fonctionnaires…

Pour les télévisions et les radios publiques la période qui s’ouvre est pourtant un séisme comparable à l’annonce brutale, faite en 2008 par Nicolas Sarkozy, de la suppression totale de la publicité à France Télévisions. La ressource publicitaire avant 20 h a finalement été sauvegardée mais la fragilité de l’entreprise publique est devenue structurelle.

En 2012 , à peine arrivé au pouvoir, François Hollande s’était engagé à respecter le pacte d’austérité négocié par son prédécesseur avec Angela Merkel. Le plan d’économie pour la télévision publique mis en place par Rémy Pflimlin s’était alors traduit par 750 suppressions d’emplois. Comme l’expliquait Aurélie Filipetti, ministre de la culture, il fallait bien que son ministère et France télévisions participent « à l’effort commun pour redresser les finances publiques » (« Le Monde » 03.07.2013) .

Et la saignée s’est poursuivie. En 2016, lors de la signature des nouveaux Contrats d’Objectifs et de Moyens avec l’Etat , Delphine Ernotte s’est engagée à supprimer 500 emplois supplémentaires à France Télévisons d’ici 2020 par le non remplacement de la moitié des départs à la retraite. De son coté, Radio France doit supprimer 270 emplois.

Aujourd’hui, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Emmanuel Macron et les ayatollah de Bercy veulent faire beaucoup mieux que François Hollande qui n’est jamais parvenu à descendre en dessous de la barre des 3% de déficit. Après plusieurs Milliards d'€ de cadeaux fiscaux faits aux plus riches il faut maintenant imposer des économies considérables dans tous les secteurs publics. Avec les mêmes éléments de langage que les gouvernements précédents, la ministre, Françoise Nyssen , justifie les 80 millions d’économie réclamés à l’Audiovisuel public. Pour France Télévisions, Radiofrance, France Médias Monde et Arte c’est un coup de massue ! Selon la CGT, l’économie réclamée pourrait se traduire à France Télévisions par la suppression de  700 postes de plus dès 2018.

Malheureusement, comme il l'a annoncé pendant la présidentielle, le programme d’Emmanuel Macron pour l’Audiovisuel public pourrait être encore beaucoup plus destructeur: suppression de chaînes, mariage forcé entre France Télévisions et Radio France, réduction du nombre de régions à France 3 et fermetures de sites…La boite à idées est ouverte!

Les entreprises de l'audiovisuel public ont pourtant déjà du mal à remplir leurs missions : informer, distraire, créer du lien social et un imaginaire partagé. Contraintes à des économies sans fin, France Télévisions en est réduite à fusionner ses rédactions nationales et à rétrécir ses missions. Avant même les effets des économies à venir , Radio France a fermé ses locales FIP et France 3 vient d’officialiser la fin de ses 20 éditions de proximité en 2018.

Il y a sans doute beaucoup de reproches à faire à l’Audiovisuel public quand à ses manquements ou ses faiblesses. L’absence d’audace dans certaines de ses fictions ou de ses programmes. La « pensée unique » de ses éditorialistes politiques ou économiques. Mais Nathalie Saint Criq et François Lenglet et leur continuelle pédagogie du libéralisme doivent-ils faire oublier « Cash investigation » et la liberté de ton de Guillaume Meurice ? Les leçons exaspérantes de Jean-Michel Apathie écrasent-elles le travail de milliers de professionnels plus anonymes, ardents défenseurs de leur mission publique?

Les réseaux sociaux, les projets de chaines « alternatives » sur You tube, les médias associatifs, même indispensables au fonctionnement démocratique,  ne peuvent en aucun cas remplacer la nécessité d’un grand service public de l’Audiovisuel qui nous appartient à tous. Des chaînes de télévisions et de radios implantées sur l’ensemble du territoire métropolitain, ultra marin et à l’étranger. Que serait le paysage audiovisuel s’il était entièrement entre les mains du marché et de quelques milliardaires?

Il faut en prendre la mesure: les entreprises publiques emploient encore près de 17 000 salariés directs mais l’ensemble du secteur audiovisuel fait vivre 100 000 personnes en France grâce au système de l’intermittence et à la commande publique . Chaque année France Télévisions achète aux producteurs privés pour près d’un Milliard d’€ de programmes (2).

L’Audiovisuel public français est fragile. Il est beaucoup moins bien financé que celui de nos voisins allemands et anglais. Résultat: la production de fictions et de documentaires est, en France, deux à trois fois moins importante ! (3) Et cela , sans parler des géants américains comme Netflix et ses 70 millions d’abonnés dans le monde.

Alors faut-il défendre l’Audiovisuel public? La réponse va de soi. Le gouvernement doit revenir sur son projet de destruction programmée de nos entreprises audiovisuelles. S’il persistait dans sa volonté d’imposer son gigantesque son coup de rabot budgétaire, il doit compenser cette perte. Un simple décret peut au plus vite autoriser une fenêtre de publicité entre 20 h et 21 h sur les antennes de France Télévisions. Elle pourrait rapporter 60 Millions d'€ selon les experts. Au moins le temps d’un débat public approfondi  sur un financement assuré et pérenne de la télévision publique. Une solution simple existe: comme l’on fait les allemands avec  un élargissement de l’assiette de la redevance à tous les modes de réception (ordinateurs, tablettes, smartphones ). Un élargissement indexé sur les revenus qui pourrait même signifier une baisse d’impôt pour les téléspectateurs des classes populaires. Le pragmatisme et la sauvegarde du service public doivent l’emporter.

Fernando Malverde. Journaliste et élu CGT au CCE de France Télévisions, je n'engage ici que moi.

(1) Cette somme est l’addition de crédits prévus qui sont annulés et de coupes sèches. La répartition est en cours d’arbitrage mais France télévisions serait amputée de plus de 50 Millions d’€, Radio France de plus de 20 Millions, Arte de 5 Millions et France Médias Monde (France 24 et RFI) de quelques Millions d’€ .

(2 ) En raison des décrets Tasca ces programmes, entièrement financés avec de l’argent public appartiennent ensuite aux producteurs privés . C’est le cas par exemple de « Plus belle la vie », le feuilleton de France 3 dont les droits sont propriété … d’une filiale de TF1!

(3) La redevance est de 216 € en Allemagne,de 175 € au Royaume Uni et de 137 € en France. Les allemands et les anglais produisent annuellement 2000 heures de fiction,les français 700 (public et privé confondus).

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