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Billet de blog 1 novembre 2023

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À Tbilissi, démolir l’architecture soviétique pour oublier

Encore importante dans la capitale géorgienne, l'architecture soviétique a entamé son crépuscule il y a vingt ans. À la manœuvre, l'ex-président Mikheïl Saakachvili, qui a cherché à faire oublier le passé communiste de son pays pour mieux se rapprocher de l'Occident. Aujourd'hui encore, les façades soviétiques de bâtiments sont enlevées. Mais qu'en pensent les Géorgiens ?

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L’imposant colosse de bronze ne se dresse plus à Gori (Géorgie) depuis treize ans. La statue haute de six mètres à l’effigie de Joseph Staline, érigée dans son village natal, a été démontée en juin 2010 par les autorités. Envahie par l’armée rouge en 1921, la Géorgie fut, jusqu’à son indépendance en 1991, une république soviétique. En détachant le monument, l'intention est limpide : tenter de faire oublier un autre colosse "aux pieds d’argile" nommé URSS.

    Démolir le passé

Dans cette entreprise mémorielle, Tbilissi, ville-vitrine de la Géorgie, n’y échappe pas. La capitale qui héberge plus d’un million d’habitants aujourd'hui s’est beaucoup développée sous le communiste. « La majeure partie des constructions soviétiques ont été réalisées entre 1932 et 1956 [sous Staline], dans un style architectural post-moderniste », détaille Lali Pertenava, historienne de l’art géorgien de la période soviétique.

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Ensemble de bâtiments à Tbilissi © Masha Koko - Unsplash

Si l’architecture soviétique est encore prépondérante lorsque l’on se promène dans les rues de Tbilissi, elle se fait de plus en plus oublier depuis ces deux dernières décennies. Et ce sous l’impulsion notamment de l’ancien président Mikheïl Saakachvili. Arrivé au pouvoir en 2003 à la suite de la révolution des Roses, le dirigeant géorgien a voulu éloigner son pays de la nouvelle Russie pour mieux se rapprocher des occidentaux. Afin d'attirer investisseurs et touristes étrangers, le président Saakachvili, en exercice jusqu’en 2013, a cherché à effacer le passé soviétique de son pays, en supprimant statues et mémoriaux.

Ce mouvement s'est étendu jusqu’à l’architecture des bâtiments de Tbilissi. « Plusieurs bas-reliefs et beaucoup de façades ont été enlevés pour cette raison », rappelle l’historienne Lali Pertenava. « Aujourd’hui encore, il y a beaucoup de cas d’édifices soviétiques à Tbilissi qui sont en train de disparaître. Récemment, des entreprises immobilières ont commencé à démolir des constructions édifiées entre 1982 et 1985. Ce sont de grands bâtiments de seize étages, d’un style architectural moderniste-soviétique, avec une influence géorgienne également. Mais si tout n’est pas détruit, les constructions soviétiques rénovées perdent bien souvent leurs visages : leurs façades. »

    Que pensent les Géorgiens ?

Cette politique de démolition est allée plus loin en 2011. Le parlement a adopté une loi exigeant d’enlever tout symbole soviétique de l’espace publique en Géorgie. « Ce n’était pas une bonne manière de faire. Quel que soit le passé, il est le nôtre », tranche Lali Pertenava. « D’ailleurs, les Géorgiens n’étaient pas très à l’aise avec cette loi. Je ne suis pas sûre qu’ils voulaient que l’on enlève toute cette architecture soviétique », raconte l’historienne, avant de nuancer, « quand la statue de Lénine a été enlevée du centre de Tbilissi en 1991, presque tous les Géorgiens était d’accord. Tout simplement parce qu'ils n’appréciaient pas d'avoir des monuments d'ex-dirigeants soviétiques en centre-ville ».

« Je ne suis pas sûre que les Géorgiens voulaient que l’on enlève toute cette architecture soviétique. »

- Lali Pertenava

Faut-il préserver ou supprimer l’architecture soviétique de Tbilissi ? La population géorgienne semble partagée. « Ce processus de démolition post-soviétique est conflictuel pour les Géorgiens », affirme Lali Pertenava. « Il est important de comprendre que les différentes strates d’une société ne considèrent pas de la même façon les types d’architecture qui font nous — au sens de notre ville ou de notre nation », explique Georgi Stanishev, architecte et scénographe, dont les recherches portent sur l’évolution du communisme soviétique. « Pour certains, un monument de l’armée rouge est un vestige étranger. Et pour d’autres, c’est l’expression d’une histoire nationale. De manière générale, les architectures du passé concentrent des conflits parce qu’elles peuvent être appréciées de manière contrastée. »

À la fin des années 1990, Lali Pertenava se souvient avoir participé à une manifestation en opposition au démantèlement de l’architecture communiste en Géorgie. L’argument contre la démolition était de ne pas percevoir les monuments soviétiques seulement comme le produit de l’idéologie communiste, mais aussi comme de l’art à part entière. « Mais cela n’a pas influencé les décisions prisent par les politiques », note l'historienne, très active dans la protection du patrimoine de son pays.

Le pouvoir géorgien semble bien décidé à changer le visage de Tbilissi à travers la construction de nouveaux édifices modernes, comme le pont de la Paix inauguré en 2010 ou les tours Axis terminées en 2020.

Illustration 2
Tours Axis à Tbilissi © Mahsa Habibi - Unsplash
Illustration 3
Le pont de la Paix à Tbilissi © Abdelkader Kherbouche - Unsplash

« Les bâtiments édifiés à l’époque soviétique sont aujourd’hui des biens vendus à bas prix pour en construire de nouveaux. Avec le développement économique de la ville, nous perdons notre héritage architectural soviétique », regrette l’historienne, qui ajoute « aujourd’hui, malheureusement, je ne trouve pas de nouvelles constructions à Tbilissi avec des signes d’inspiration de l’architecture soviétique ».

« Si l’esthétique soviétique est si séduisante aujourd’hui, c’est parce qu’elle reflète une sorte de nostalgie pour une utopie. »

- Georgi Stanishev

Sans doute les jeunes Géorgiens ont-ils davantage envie d’avoir une architecture soviétique préservée à Tbilissi. En tout cas, « il y a un certain romantisme des jeunes générations vis-à-vis de cette architecture, qui est plus généralement lié aux mœurs soviétiques. Le nouveau mode de vie individualiste a pris le pas sur l’organisation en collectivité. Cette idée d’une société communautaire est très présente dans l’architecture soviétique. » Et Georgi Stanishev abonde : « Si l’esthétique soviétique est si séduisante aujourd’hui, c’est parce qu’elle reflète une sorte de nostalgie pour une utopie ».


Retrouvez Lali Pertenava et Georgi Stanishev à la 7e édition du festival "Un Week-end à l’Est".

Illustration 4
Du 22 au 27 novembre 2023 © Zura Mchedlishvili

« L'empreinte soviétique dans l'architecture géorgienne », avec Lali Pertenava

Lundi 27 novembre à 18h, à l'ENSA de Paris-Malaquais (14 Rue Bonaparte, Paris 6e)

Animation : Georgi Stanishev. Entrée libre.

Le programme du festival est à retrouver ici.

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