Quand il voit le jour le 29 juin 1936 dans une Géorgie soviétique, Rezo Gabriadze n’est pas prédestiné à intégrer le milieu artistique de Tbilissi, capitale du pays. Sa famille, du côté de son père, travaille dans la pierre pour construire ponts et édifices religieux, raconte-t-il au Monde en 2003. Pas d’héritage artistique ?
Et pourtant, un talent émerge chez les Gabriadze lorsque le jeune Rezo se prend de passion pour la sculpture. Il prend des cours à Paris en même temps que ce Géorgien découvre la peinture à douze ans. Mais comment un sculpteur de pierre s’est-il retrouvé à jouer dans les plus grands théâtres du monde ?
Sa première marionnette ? Une sculpture

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Le parcours de Rezo jusqu’à ses figurines de théâtre est loin d’être linéaire. Le marionnettiste en devenir fut dessinateur et écrivain, avant de devenir journaliste. Son engagement pour la cause écologique dans ses articles lui a causé des ennuis.
Chassé du journal où il écrivait pour avoir pris la défense de cèdres menacés, il expliquait au quotidien Le Monde en 1997 son amour pour la nature… par la sculpture : « On doit considérer une montagne comme une sculpture faite par un dieu. C'est tendre, une montagne, plus tendre que les plaines. Si vous la touchez, elle commence à se désagréger ».
Rezo se tourne ensuite vers le septième art, en écrivant une trentaine de films du cinéma soviétique dans les années 1970. Mais le métier de scénariste est compliqué à exercer sous le régime de la censure. « J'étais toujours observé par les autorités, et je manquais de diplomatie. On m'a chassé du cinéma », confiait l’artiste géorgien en 2003.
« J’ai sculpté [ce morceau de bois]. C'est devenu un oiseau, ma première marionnette. »
- Rezo Gabriadze
La quarantaine passée, Rezo commence une nouvelle vie le jour où il met la main sur une cale en bois assez peu efficiente puisqu’elle relâchait sans cesse la porte qu’elle était censée retenir chez lui. « Je l’ai sculpté. C'est devenu un oiseau, ma première marionnette. Après, j'en ai sculpté d'autres, et j'ai cherché une salle où elles pourraient raconter leurs histoires », narrait-il au journal du soir pour illustrer les débuts de son succès.
Gabriadze au pluriel
Renzo a croisé la bonne personne au bon moment : l’architecte en chef de Tbilissi. C’est dans la vieille ville que les deux hommes se sont rencontrés. L’architecte avait les yeux rivés sur un bâtiment. L’ex-sculpteur rapporte la scène en 2017 au Monde :
- L’architecte : « Tu ferais quoi de cet endroit ? »
- Rezo : « Un théâtre de marionnettes. »
- L’architecte (étonné) : « Tu l’auras. »

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Les clés d’une salle de spectacle pouvant accueillir une quarantaine de personnes lui sont confiées en 1981. Quasiment toutes les anciennes activités de Rezo tiennent en une seule : il peut dessiner, peindre, sculpter ses marionnettes avant de scénariser leurs vies pour les produire sur scène. Et la censure ? « Dans la mentalité soviétique, les marionnettes, c’étaient les petits lapins, les carottes, des choses comme ça. »
Dans les années 1980, ses spectacles sont un succès qui dépasse les frontières de son pays natal une décennie plus tard. Le nom Gabriadze devient reconnu à l’international grâce à la représentation Chant pour la Volga (1996), qui fait le récit de la bataille de Stalingrad durant la Seconde guerre mondiale. Les marionnettes sont mutilées. Elles enterrent d’autres de leurs congénères. « Ce fut le plus dur et le plus difficile spectacle de ma vie », admet Rezo à Libération un an plus tard, alors en exil en France pour fuir la guerre civile en Géorgie.
Décédé en 2021, son fils Leo porte l'héritage du nom de Rezo qu’il cherche à transmettre. D’abord en préservant un patrimoine à travers le théâtre Gabriadze de Tbilissi et sa tour attenante, édifiée par son père, et aujourd’hui un incontournable de la ville. Leo s’est aussi employé à conserver la mémoire de Rezo en réalisant un film dédié à sa vie en 2018. Mais surtout, le fils Gabriadze continue à donner vie aux 800 marionnettes.

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Le premier spectacle de Rezo Gabriadze, Alfred et Violetta, adaptation de La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas, est aujourd’hui rejoué à La Scala Paris. Avant de partir, Rezo a entièrement réécrit le spectacle. Mais c’est Leo qui se charge dorénavant de mettre en mouvement ses petites et fragiles figurines que vous pouvez venir admirer à Paris du 8 au 30 novembre 2023.
Aussi, rencontez Leo Gabriadze à la 7e édition du festival "Un Week-end à l’Est".

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« Des marionnettes et des hommes : entretien avec Leo Gabriadze »
Vendredi 24 novembre à 18h, à Odéon - Théâtre de l’Europe
(Place de l'Odéon, Paris 6e)
Animation : Eloi Recoing, dramaturge, metteur en scène et traducteur. Entrée libre.