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Billet de blog 13 novembre 2023

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L’oligarque géorgien qui déracine les arbres pour les collectionner

Censuré en Géorgie, le film aurait déplu à l’entourage de Bidzina Ivanichvili, ex-premier ministre qui dirige toujours le pays dans l'ombre. Et pour cause, le documentaire de Salomé Jashi témoigne d’un écocide : un arbre centenaire est déraciné et expédié… par bateau, à destination d’un parc public détenu par l’oligarque. Entretien avec sa réalisatrice, présente au festival le 25 novembre.

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L’image est saisissante. Un arbre semble flotter au loin sur l’eau. Ce n’est pas une île. Ni un mirage. Il s’agit d’un bateau remorquant un arbre centenaire sur la mer Noire. La métaphore du déracinement ou de la migration est poétique. Sa réalité n’est pas moins brutale.

Illustration 1
© Mira Film Basel / Sakdoc / Corso Film

Le végétal a été déplacé au profit de l’ancien premier ministre géorgien Bidzina Ivanichvili. Le richissime collectionneur n’en est pas à son coup d’essai. Il a déjà déraciné et replanté deux cents arbres dans un parc ouvert au public qu’il détient et son domaine privé. Une obsession qui détruit le vivant, mais n’a pas empêché l’oligarque d’être décoré de la légion d’honneur par la France fin 2020.

Pour son documentaire Taming the garden (La balade des grands arbres en français), Salomé Jashi n’a pas reçu cette distinction, mais son œuvre cinématographique a été nommée aux European Film Awards. Son récit nous invite à réfléchir sur notre appropriation de la nature.

Pour déplacer cet arbre centenaire sur des routes étroites, les ouvriers ont dû couper d’autres arbres. Il y a un paradoxe pour un collectionneur d’arbres de commettre des écocides [destruction d’un écosystème par l’Homme]. Avez-vous voulu raconter cette absurdité ?

Salomé Jashi : Cette histoire n’est pas uniquement celle d’une absurdité. C’est aussi celle d’une dichotomie. D’un côté, on a cet arbre magnifique. Et de l’autre, il y a le côté obscur de l’histoire, avec une réalité problématique, celle d’une intervention violente de l’Homme. Je voulais montrer ce bug dans le réel : la beauté face au déracinement, à la migration, à l’espérance de vie, à la masculinité, à l’emploi de la force.

Il est vrai que l’on voit cet arbre souffrir dans votre film. On peut ressentir de l’empathie en tant que spectateur. Les branches coupées évoquent des amputations. Racontez-nous comment vous avez essayé de retranscrire au mieux cette souffrance du vivant.

La façon dont l’arbre a été traité m’a fait me dire que c’est un être vivant. Et plus que cela, les arbres sont des êtres vivants incarnés. On peut même dire que ce sont des êtres humains. Filmer le mouvement des branches et des feuilles, mais aussi les racines, nous a aidé à imaginer cela. On a essayé de monter les arbres tels qu’ils sont vraiment : humains et respirants.

Le tumulte des engins mécaniques pour extraire l’arbre du sol contraste avec le doux murmure de la nature. Comment avez-vous choisi de travailler le son ?

Le film porte sur la contradiction entre la tendresse et la violence. De nouveau, l’idée d’une dichotomie était très importante dans l’esthétique sonore. Le village et les forêts sont assez calmes. Et puis, il y a le bruit des machines qui surprend. Le silence est tout d’un coup détruit.

Illustration 2
© Mira Film Basel / Sakdoc / Corso Film

"Ce que l'on voit est une tendre violence"

- Salomé Jashi

Je ne voulais pas d’une musique stressante et très explicite pour dire au public comment il doit interpréter le film. Bien sûr qu’il y a une orientation vers un point de vue, mais ce n’est pas une interprétation explicite qui était recherchée. Ce que l’on voit dans le documentaire est une tendre violence. Et je ne pense pas qu’il y avait besoin d’en rajouter en étant davantage dramatique.

On a l’impression d’assister à un convoi funéraire à un moment du film. L’arbre est comme un membre du village que ses habitants doivent laisser partir. La mort est très présente dans votre œuvre.

Illustration 3
© Mira Film Basel / Sakdoc / Corso Film

C’est vrai que lorsque l’arbre a quitté le village, les habitants l'ont suivi. Et lorsque nous filmions ce moment, nous nous sommes dits que cela ressemblait à une procession funéraire. C’est une sorte de climax du film. Comme si l’arbre passait dans un au-delà, et qu’il se retrouvait dans un enfer.

Qu’en est-il de Bidzina Ivanichvili ? Poursuit-il aujourd’hui sa collection d’arbres en les déracinant ?

Oui, récemment un baobab est arrivé du Kenya. Il va être planté dans son parc ou dans sa propriété attenante.

Il faut savoir que le film n’est pas sorti dans les cinémas de Géorgie. L’avant-première dans le pays a été annulée. Clairement, c’est une censure.

L’entourage de Bidzina Ivanichvili a estimé que le film ne donnait pas une bonne image de lui. C’est pour ça qu’il a été interdit, d’une certaine manière. Dernièrement, le leader du principal parti politique du pays a dit que c’était un film honteux qui n’aurait pas dû être financé. Donc, on a dû multiplier les projections dans des cafés ou de petites salles avec des ONG.

Le documentaire est finalement devenu très populaire ! Le mot taming (dresser, apprivoiser) qui figure dans le titre du documentaire est désormais utilisé comme slogan dans des manifestations : "Vous ne pouvez pas dresser la culture !", "Vous ne nous apprivoiserez pas !", etc. À présent, la politique émanant du ministère géorgien de la culture est horrible. Ils ont centralisé toutes les institutions et les rendent très politiques. Ils excluent tous les esprits libres et nomment des personnes de leur bord.

On avait eu les autorisations de tournage de la part de Bidzina Ivanichvili. On lui a écrit un synopsis en expliquant que le projet n’est ni de la propagande ni une critique directe, ou un film politique. Je crois que c’est correct, non ? (Rires)


Retrouvez le documentaire Taming the garden (La balade des grands arbres) et sa réalisatrice Salomé Jashi à la 7e édition du festival "Un Week-end à l’Est".

Illustration 4
Du 22 au 27 novembre 2023 © Zura Mchedlishvili

Projection de Taming the Garden / suivie d’une rencontre avec Salomé Jashi

Samedi 25 novembre à 14h15, au Christine Cinéma Club (4 Rue Christine, Paris 6e)

Animation : Antoine Perraud (Mediapart).

« Les racines perdues de la Géorgie »

Samedi 25 novembre à 18h, à l'Espace des Femmes - Antoinette Fouque (35 rue Jacob, Paris 6e)

Animation : Thibaut Sardier. Entrée libre.

Le programme du festival est à retrouver ici.

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