Au début du mois d'avril 2023, j’ai intégré avec joie l'équipe de Un Week-end à l’Est. Celle-ci, en quête d’artistes pour sa septième édition, souhaitait consacrer la manifestation à la ville de Tbilissi. En préparation du voyage de reconnaissance dans la capitale de la Géorgie, nous avions collecté un grand nombre d’informations auprès de la diaspora que nous avons complétées à l’aide d’images et d’analyses extraites d’internet.
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Sans être expert en géopolitique, l'équipe savait que les modes de vies et les attentes des Géorgiennes et Géorgiens avaient été profondément remaniés par la division du bloc soviétique et la récente guerre russo-géorgienne. De plus, nous avions conscience des tensions internes actuelles générées par les conflits entre une oligarchie aux intérêts proches de la Russie et un peuple qui aspire, pour la plupart, à une légitimation de l'Union européenne.
Comme toujours, et dès qu'on est responsable de choix dans ce type d'événement artistique, se pose une question passionnante et déterminante. Comment extraire de la multitude de propositions, ce que l’on peut nommer, avec l’expérience de Rabelais, la substantifique moelle, c'est-à-dire ce qu'il y a de meilleur, de plus précieux ou de plus profond d'une scène artistique à un moment où la prolifération internationale des signes et des formes de l'art rend les choix particulièrement difficiles ?
La meilleure mère de l’année
Pour ma part, je savais tout cela, mais sans en avoir complètement assimilé les conséquences artistiques d'une scène éloignée de Paris. Ce n'est qu'au fur et à mesure des rencontres et des visites d'ateliers que la vision et la sensibilité se sont éclairées. Il est devenu alors plus simple de ressentir et d’interpréter les signes des tensions passées et présentes d'une société traditionnelle en plein bouleversement. A titre d’exemple, on peut rappeler qu’il existait, il y a encore très peu de temps en Géorgie, un concours télévisé de la meilleure mère de l’année. Pour ma part, j’ai rapidement constaté, à l'encontre des préjugés sur le solide patriarcat des pays du Caucase, que les lieux les plus dynamiques et les plus prospectifs de Tbilissi ne sont pas dirigés par des hommes, mais tenus par des femmes. Elles conduisent les centres de décisions artistiques d'une façon très énergisante.
Si, comme partout ailleurs, les inégalités perdurent, l'écart entre les genres s'est considérablement réduit à Tbilissi. Contrairement aux hommes qui m'ont semblé anxieux, dans le doute, voire parfois déprimés, ce sont les femmes qui relèvent les défis du présent et du futur. Elles nous ont informés avec générosité et permis d’extraire, parmi les pratiques singulières des nombreux artistes du pays, celles qui seront exposées à Paris le temps d'Un Week-end à l'Est en novembre 2023.
C’est ainsi que leurs conseils avisés nous ont conduits à de longues et passionnantes visites. Ce fut le cas avec Maia Naveriani qui nous a reçus dans son appartement-atelier. Maia est une dessinatrice qui, après avoir vécu quelques années à Londres, réside désormais à Tbilissi. Depuis vingt ans, sa pratique virtuose met en jeu un subconscient d'images qu'elle reporte sur le papier dans tous les formats. A la croisée de l'art surréaliste et du pop-art, l'artiste déstabilise avec jubilation les symboles collectifs par ses fragments de textes et ses décalages imprévisibles où se côtoient formes abstraites et figures colorées.
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Œuvres fantomatiques
De même avec Nika Katuladze un jeune artiste peintre et sculpteur d'espaces qui cherche à offrir de nouvelles expériences émotionnelles. Il s’est fait remarquer en créant ce que l'on peut appeler une psycho-house. Un intérieur d'habitation conçut comme une installation anarchique et sauvage qui produit une activité psychique intense. Ou encore avec Vakho Bugadze, un peintre ombrageux, un peu taiseux, dont l'œuvre nous a immédiatement marqués. Là, dans un labyrinthe de bureaux désaffectés d’un étage d'un immeuble administratif banal, il œuvre en solitaire à de grands formats sur toiles libres. Ce sont des œuvres fantomatiques à la subjectivité affirmée qui voyagent, au gré des besoins, de la mémoire collective aux souvenirs intimes.
C’est encore la directrice du Tbilissi Photography’s Multimedia Museum, la première institution de Géorgie entièrement dédiée à l’image contemporaine, qui m’a montré avec enthousiasme et pendant plusieurs heures les images des meilleurs photographes géorgiens et qui m'a, la première, mentionné les noms que nous allions exposer à Paris : Natela Grigalashvili (voir son portfolio pages 6-7) et Guram Tsibakhasvili, l'une des figures les plus remarquables des artistes contemporains géorgiens. Totalement dévoué à la photographie, il a initié et contribué à de nombreux projets pour montrer un vaste panorama de la photographie géorgienne, qui circule de l'image documentaire aux images conceptuelles.
C'est toujours une responsable de galerie qui, bien qu'elle ne représente pas l’artiste, nous a remis gracieusement un catalogue de Nino Kvrivishvili. L’artiste, qui travaille aux frontières entre arts appliqués, design et arts plastiques, s’inspire de l'histoire des industries textiles qui ont joué un grand rôle en Géorgie. Elle dessine et crée des œuvres sur tissus aux motifs narratifs ou abstraits qui révèlent les moments perdus du passé et remettent en cause les stéréotypes de genre.
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Rencontres parisiennes
Dans cet énergique panorama, il est difficile de ne pas évoquer les rencontres parisiennes, celles avec Guela Tsouladze, un peintre et sculpteur hâbleur, toujours déterminé qui fait la navette entre la Géorgie et la France. Il a étudié aux Beaux-Arts de Tbilissi mais aussi aux Beaux-Arts de Paris. Imprégné des œuvres de Basquiat, Combas, Boisrond, il développe une œuvre colorée et joyeuse qui cite également Matisse et Miro. Mais aussi de remercier les toutes jeunes artistes peintres Nino Kapanadze et Elene Shatberasvili, diplômées des Beaux-Arts de Paris, qui circulent entre abstraction et figuration pour rappeler que la peinture est avant tout une affaire de pigments sur un support et pas une image. Elles m'ont permis de suivre bien des pistes et de rencontrer les toiles de Sopho Kobidze. Mais surtout, par les nombreuses discussions menées dans les cafés et ateliers entre rires, soupirs et confidences, de m'informer de la vitalité de l'art géorgien.
Désormais à la veille de l’ouverture de Un Week-end à l’Est où plus d’une quinzaine d’artistes visuels seront présentés, il est temps de vérifier auprès des publics la validité des intuitions qui ont déterminé les choix de l'équipe artistique.
Article paru dans le journal du festival, La Gazette de l'Est
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