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Festival Un week-end à l’Est

Festival pluridisciplinaire du 18 novembre au 1er décembre

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Billet de blog 21 novembre 2023

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Cette voix de la littérature allemande contemporaine est Géorgienne

Née à Tbilissi, la romancière de 40 ans, Nino Haratischwili, invitée d’honneur du festival "Un Week-end à l'Est", est déjà considérée comme une des voix les plus importantes de la littérature allemande contemporaine. Ses livres sont des fresques vertigineuses, dont les personnages se retrouvent pris dans les tourments de la grande histoire.

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« Ce sont les époques qui gouvernent, non les rois ». Ce proverbe géorgien, cité en exergue de La Huitième Vie de Nino Haratischwili, donne la clé des grandes sagas historiques qui ont fait le succès de cette jeune romancière géorgienne de langue allemande. Traduite en de nombreuses langues, elle a reçu des prix prestigieux en Allemagne et en Géorgie.

Prenez son quatrième roman, le plus récent, Le Chat, le Général et la Corneille. C’est une fresque vertigineuse dont les personnages sont, dit-elle, « coincés entre deux époques », celle de l’URSS « en miettes » et celle de la renaissance d’une puissance russe toxique. Qu’est-ce qui pouvait réunir une jeune Tchéchène, une comédienne géorgienne, un journaliste allemand et des soldats russes, sinon le hasard et la guerre ? En l’occurrence, la première guerre de Tchétchénie. 

Nous sommes entre Berlin, Moscou et une base militaire russe en Tchétchénie. Chaque chapitre du roman est daté et attribué à un personnage. En 1995, la première guerre contre les « séparatistes » tchétchènes était à son comble, Grozny prise sous une avalanche de bombes. En 2016, une génération plus tard, les anciens combattants russes ont pris leur retraite ou se sont reconvertis dans les affaires. Un ancien agent du KGB règne sur la fédération de Russie, allié des oligarques et mentor, après une seconde guerre, d’un satrape qu’il a installé à Grozny.

Les ravages de la guerre

Née à Tbilissi en 1983, Nino Haratischwili a vécu en Allemagne avec sa mère entre 12 et 14 ans. « J’ai eu le mal du pays et je suis revenue à Tbilissi, dit-elle. A l’école, j’ai fondé une troupe de théâtre bilingue, j’écrivais les pièces et ça m’a plu. »

Illustration 1
La romancière Nino Haratischwili © Archive personnelle

A 20 ans, elle retourne en Allemagne, s’y installe pour de bon et étudie la mise en scène à Hambourg. Avec le recul, elle comprend que ses années d’enfance, en Géorgie, ont été très dures, marquées par les guerres d’Abkhazie et d’Ossétie, la corruption, la violence issue de l’écroulement de l’empire soviétique.

Tout cela se retrouve dans ses romans, dans un style cinématographique qui tient le lecteur en haleine. La Huitième Vie retraçait le destin d’une famille géorgienne au travers d’un siècle agité : c’était la longue lettre d’une femme à sa nièce disparue. Le Chat, le Général et la Corneille, lui, dénonce les ravages durables que la guerre exerce sur les hommes.

En 1994, Nura, une jeune Tchéchène révoltée par l’autorité familiale et les règles de la communauté, rêve de fuir son clan. Quelques chapitres plus loin, situés en 2016, on apprend qu’elle a été violée et tuée par plusieurs soldats d’une base russe, qu’un procès n’avait pas réussi à établir les responsabilités, que l’avocat de la victime a été abattu à Moscou tandis que les soldats ont refait leur vie. L’un d’eux, que l’on appelle « le Général » sans qu’il en ait le grade, est devenu un puissant oligarque. Il a toujours refusé de dire ce qui s’était passé, notamment à sa fille qui a eu vent de soupçons.

Le récit progresse en multipliant les mystères, les rebondissements inattendus. On se demande pourquoi, par exemple, ce Général offre une fortune à une jeune comédienne fauchée, sosie de la victime, pour réaliser une vidéo où elle s’adresse aux meurtriers. Le messager qui contacte la comédienne surnommée « Chat » est un journaliste d’investigation allemand, la Corneille. Auteur d’un livre sur des oligarques, il est sous la menace du Général, qui en a fait son obligé.

Les courants du fleuve

Chaque chapitre sonne comme un monologue et le lecteur est emporté par un fleuve aux courants multiples. Chat est un des plus beaux personnages de ce roman. Nino Haratischwili, qui excelle dans l’art du portrait, la raconte en suivant sa généalogie féminine.

Sa grand-mère, Sesilia, « était tout son monde » : professeure de physique-chimie dans un collège de Tbilissi, elle « était terre à terre dans toutes les fibres de son être, c’était une femme factuelle et d’un pragmatisme presque immatériel ». Fille d’un archéologue renommé, « ennemi du peuple » déporté dans les années 1930, Sesilia a donné naissance à Tina, la future mère de Chat, une femme « créative et débordant d’idées », artiste peintre, qui, comme son père, crut à une Géorgie libre puis se maria avec un médecin idéaliste qui partit au front lors de la guerre en Ossétie.

Il en est revenu fou, « cinq mois qui avaient fait de lui un autre homme (...) un homme contaminé par la mort ». Tina s’enfuit en Allemagne avec ses deux filles, mais tire le diable par la queue. A Berlin, Chat entreprend une carrière de comédienne. Elle accepte le rôle que lui désigne le Général, pour rembourser les dettes de sa mère mais aussi parce qu’elle s’identifie de plus en plus à Nura, la jeune Tchétchène qu’elle doit interpréter.

Le fait que ce beau roman soit l’œuvre d’une femme n’est pas anodin. Les personnalités féminines, plus fortes, sont attachantes, avides de liberté et d’indépendance. Qu’elles soient amantes, mère, ou traitées de putains, elles assument leur destin, l’affrontent avec courage et même, comme Chat, avec témérité. Le Général n’en revient pas, qu’il s’agisse de sa fille, de sa mère ou de sa femme.

Les hommes évidemment peuvent avoir de belles qualités et la romancière ne tombe pas dans un manichéisme facile. Elle insiste sur l’éducation, le charme ou le goût artistique, l’amour même de certains, tels le Général ou Petrouchov. Ce dernier, un des violeurs, « venait de l’une des familles d’intellectuels les plus estimés et les plus influents de Moscou. Ses grands-parents, victimes réhabilitées des répressions staliniennes, étaient des géologues de renom, sa mère était chercheuse en littérature à l’université Lemonossov, son père régisseur dans une radio publique et lui-même musicien ».

Beau gosse, il devient pendant la guerre une brute cruelle et fascinée par le pouvoir. D’autres refusent, s’attachent à leurs illusions, vomissent ou se suicident de désespoir quand la violence leur paraît insupportable. Aussi n’est-ce pas par hasard que le crime au centre du récit soit un viol qui va jusqu’au meurtre.

Article paru dans le journal du festival, La Gazette de l'Est


Retrouvez Nino Haratischwili à la 7e édition du festival "Un Week-end à l’Est".

Illustration 2
Du 22 au 27 novembre 2023 © Zura Mchedlishvili
  • « Menaces sur la démocratie : les artistes géorgiennes en équilibre » : Kathia Buniatishvili, Emmanuel Carrère, Nana Ekvtimishvili, Nino Haratischwili, animé par Ulysse Mahnes

Lundi 27 novembre à 20h, au théâtre de l’Odéon (Paris 6e).

Le programme du festival est à retrouver ici.

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