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Co-fondateur du Parti républicain de Géorgie en 1978, Levan Berdzenichvili est envoyé au goulag soviétique en 1983. Ses trois années passées dans un camp de Mordovie (ex-URSS) ont inspiré son roman, Ténèbres sacrées (traduit du Géorgien par Maïa Varsimashvili-Raphael et Isabelle Ribadeau Dumas, Les éditions Noir sur Blanc, 2022), qui raconte la vie de ses codétenus. Une fiction basée sur des faits réels, avec une bonne dose d’humour et d’ironie. Entretien.
Pourquoi avoir choisi l’humour pour raconter le goulag ?
Levan Berdzenichvili : C’est impossible de rester vivant au goulag sans le sens de l’humour. Si vous êtes sérieux, que vous songez à cet endroit terrible où rien ne peut vous aider, alors vous vous consumez. L’humour, c’était ma stratégie la plus efficace pour tenir dans le camp. Alors avoir un ton ironique dans ce livre, c’était très important pour moi. Bien sûr, si j’avais pris la plume un an après le goulag, cela aurait été un autre livre.
Aussi, il faut savoir que c'est assez commun en Géorgie de parler de manière humoristique ou ironique, quel que soit le sujet. Même si vous êtes membre du parlement, cela paraît normal pour nous Géorgiens.
Dans votre roman, vous pointez l’absurdité du système soviétique avant son effondrement. Est-ce une raison pour laquelle vous avez employé l’humour ?
C’est impossible de raconter la profonde vérité du goulag tellement certaines situations sont invraisemblables ! Je me souviens d’un homme, une personne vraiment sensée, qui était du MVD [ministère de l’Intérieur soviétique]. Il était absolument sûr qu’il pouvait demander à l’administration du camp de me prendre dans sa maison pour lui faire le ménage. C’est difficile de croire que cet homme, qui semblait très sincère, ait pu penser qu’il pouvait ramener des prisonniers politiques chez lui (rires).
J’avais besoin d’une autre langue, l’ironie, pour raconter ces derniers jours invraisemblables au goulag. J’ai vu des situations tellement étranges que cela me paraissait impossible de décrire cette réalité du soviétisme dans un langage courant.

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Vous décrivez ces années comme « les plus belles de votre vie ». L’ironie n’est-elle aussi pas un moyen pour vous d’oublier un passé douloureux ?
C’est sincère lorsque je dis que ce furent les plus belles années de ma vie. J’ai eu tant de bonnes personnes autour de moi ! Au goulag, j’en ai rencontré près de quarante. Il n’y avait pas de Géorgiens, mais des Russes, des Ukrainiens, des Lituaniens, etc. Vous aviez besoin du KGB [police secrète soviétique] pour les rassembler en un seul lieu ! Parce que sinon vous n’aviez pas la chance de tous les rencontrer dans votre vie, d’autant plus dans ce pays immense qu’était l’URSS. Au goulag, ces gens étaient très ouverts, car ils n’avaient rien à cacher étant donné qu’ils étaient déjà arrêtés. À l’époque soviétique, si vous aviez rencontré ces personnes en dehors du goulag, elles n’auraient pas été aussi ouvertes à vous. Parce qu'elles n’auraient pas été sûres que vous ne veniez pas du KGB. Donc, je dirais que c’était une société ouverte qui existait au sein du goulag, une société merveilleuse.
En tant que lecteur, cela peut être difficile de rire lorsque vous évoquez un sujet aussi dur que celui de prisonniers politiques détenus dans un camp. Aviez-vous une intention particulière sur le lecteur en utilisant l’humour ?
Les métaphores humoristiques que j’utilise ont bien sûr une intention. De ce que je sais, les lecteurs sont contents de ce roman. Parce que beaucoup savent déjà ce qu’est le goulag grâce à de très forts, très dramatiques et très tragiques livres. Ce sont des choses lourdes, qui le sont également dans mon livre. Mais elles ne sont pas accentuées, hormis l’humour.
Je comprends que cela soit inconfortable pour certaines personnes. Je connais quelques héros de mon roman qui ne sont pas contents de mon livre. Ils ne s’aiment pas tel que je les ai décrits, même si j’ai réalisé leur portrait avec beaucoup d’amour et non pas seulement de l’humour. Mais d’autres prisonniers sont aussi très heureux de leur portrait. L’un d’entre eux m’a confié qu’il était bien mieux représenté dans mon livre que ce qu’il est réellement dans la vie (rires).
Retrouvez Levan Berdzenichvili à la 7e édition du festival "Un Week-end à l’Est".

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« La littérature : une frontière soluble » : Levan Berdzenichvili et Elena Botchorichvili
Samedi 25 novembre à 14h30, à la Librairie Polonaise (123 boulevard Saint-Germain, Paris 6e)
Animation : Serge Michel, directeur de la publication de Kometa. Entrée libre.
Le programme du festival est à retrouver ici.
L'auteur sera également présent à l'Université Paris Nanterre le jeudi 23 novembre à 17h