Les jeunes gens que nous rencontrons dans notre association ont tous au moins un point commun : venus de loin, ils ont tout mis en œuvre pour trouver sur notre sol la perspective d'une scolarisation, d'un avenir professionnel, d'une vie digne.
Pour cela, ils ont traversé de nombreux pays, la mer, ils ont rencontré la brutalité de certains pays. Beaucoup ont été torturés, mis en esclavage, ont vu la mort de très près.
Tous ceux que j'ai pu côtoyer gardent en mémoire l'affreux parcours vécu pour certains pendant plusieurs années, une forme de syndrome de stress post traumatique, mais ils ont gardé un espoir : ici, au pays des Droits de l'Homme, ils vont pouvoir se reconstruire.
L'un d'eux m'avait dit : « ce qui est derrière moi, je ne le vois plus et je ne veux pas en parler ».
Ce qu'ils ne savent pas, c'est qu'ils vont rencontrer le soupçon de l'administration sur leur identité, sur leur âge, et que la barre pour obtenir un titre de séjour est quasiment hors de portée.
Pourtant, ils font tout pour ça : ils apprennent la langue française avec acharnement, ils obtiennent un premier diplôme, cherchent du travail, le trouvent, ils consacrent l'essentiel de leur vie à bosser, dans des métiers difficiles, avec des horaires décalés et à rallonge ; certains employeurs abusent de leur vulnérabilité en les faisant travailler jusqu'à l'épuisement physique et mental.
Ce jeune Bengali arrivé mineur, a fait une route longue de plus de deux ans, a appris les rudiments de la langue française « sur le tas », tenté un CAP en cuisine, en travaillant dans un restaurant en même temps.
Son patron a souhaité garder ce garçon frêle dans son équipe, parce qu'il est volontaire, impliqué, qu'il travaille bien.
La ritournelle est très souvent la même : ce jeune homme paie ses impôts, les charges, notamment celles liées à la santé, et pourtant il n'a pas de couverture santé. Comme bien d'autres.
Il coche toutes les cases pour obtenir, enfin, un titre de séjour. Mais l'administration reste silencieuse. Pourtant nous tentons de réactiver son dossier en y apportant les démarches qu'il entreprend, telles un autre CAP, la signature du Contrat d'Engagement Républicain, un courrier de soutien du patron. Il ne se passe rien.
Je rencontre ce jeune qui se confie peu à peu sur sa solitude liée aux horaires décalés, le peu d'évolution dans l'apprentissage du français, parce qu’au restaurant, tout le monde parle une autre langue.
Et puis un jour, il me confie la terreur qu'il ressent, parce qu'il est hanté par des idées suicidaires contre lesquelles il a du mal à lutter.
Comme il n'a pas de couverture santé, je l'accompagne voir une toubib solidaire, et il lui exprime son double désespoir : les envies de suicide, et la terreur que ce geste (se trancher la carotide) lui inspire. Elle va trouver les mots, et les démarches à faire pour le protéger à minima d'un acte fatal. L'administration est également informée.
Face à l'indifférence, ce jeune se sent insignifiant, réduit à l'état de « travailleur non régularisé », un genre de clandestin malgré lui, sans la possibilité de projection vers un avenir serein, qui est pourtant une aspiration universellement partagée par toute personne dès l'adolescence.
Nous ne savons pas plus que lui si sa situation administrative évoluera positivement.
Malgré les nouvelles directives encore plus restrictives concernant un droit au titre de séjour, le jeune homme coche toujours toutes les cases.
Ce dont nous sommes sûrs, c'est que les embûches administratives conduisent des jeunes rendus vulnérables à un sentiment d'insignifiance, d'abandon, et au désespoir qui mène à la dépression.
Alors que l'État devrait être honoré d'avoir été choisi comme pays de destination par des jeunes fermement convaincus de pouvoir apporter leur propre richesse culturelle, leur dynamisme et leur esprit d'entreprise, et y vivre dignement.
Margot Wolf
--
Voir la chronologie du blog depuis novembre 2008.
Abonné à Mediapart ou non, on peut s'inscrire ici pour être informé par courriel de la mise en ligne de nouveaux billets.