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Billet de blog 5 novembre 2023

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Immigration : à quoi bon une nouvelle loi ?

Est-il vraiment vraiment indispensable de promulguer une trentième loi en vingt ans pour durcir l'accueil des exilés en France ? L'administration le fait déjà très bien.

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Pendant une trentaine d'années, la reconstruction en France suite aux dégâts de la deuxième guerre mondiale avait nécessité le concours d'ouvriers étrangers, tout comme cela avait été le cas à la suite de la guerre de 1914-1918. Autre parallèle entre les deux après-guerre : après avoir été chercher des soldats dans les colonies, on les avait enrôlés pour la reconstruction. Le titre de séjour a d'ailleurs été instauré après 1918 pour tenter de garder le contrôle de cette partie de la population.

En 1974, une décision abrupte est prise : il ne sera plus question de faire venir des étrangers pour les mettre au travail. Une décision évidemment irréaliste, pour des raisons aussi bien de fond - la migration étant consubstantielle à l'humanité – que de conjoncture : ces travailleurs étaient avant tout des humains, avec des liens de famille ; une partie d'entre eux s'étaient installés en France et comptaient bien y poursuivre leur vie. Sans compter l'attraction sur les citoyens des anciennes colonies africaines, officiellement indépendantes mais maintenues dans la dépendance économique de la Françafrique.

Depuis, le pouvoir – de droite comme de gauche - n'a cessé de tenter de reprendre le contrôle d'un mouvement de fond. C'est ainsi que depuis 1980, pas moins 29 lois sur l’immigration ont durci les conditions d’entrée et d’installation sur le territoire national, tout comme pour le droit d’asile1. Et depuis 2022, dans une atmosphère de surenchère avec l'extrême droite, recommence à rôder un fantasme de mesures de rejet encore renforcées, et ''en même temps'' de régularisation du séjour des étrangers travaillant sans papiers, au prix d'acrobatiques contournements de la loi. Après une succession d'annonces et de contre-annonces, un projet de loi doit être examiné par le Sénat à l'automne 2023, puis par l'Assemblée nationale début 2024, nous dit-on. Le contenu affiché pour ce projet de loi fluctue autour de mesures de fermeture renforcée ou de pseudo ouvertures, au rythme des modes médiatiques. Le GISTI en tient la chronique2. Le coup de tonnerre de la grève de centaines d'ouvriers des chantiers des JO 2024, brisant le mur du silence de la presse – même à TF1 !3 - sur la réalité de travailleurs surexploités car sans papiers (souvent depuis des années) rendra-t-il quelque lucidité aux législateurs ?...

*

Mais, dans la réalité du quotidien des personnes en quête de titre de séjour, les préfectures ont recours à un moyen d'une efficacité redoutable : un labyrinthe de procédures administratives, récemment enrichi par l'obligation de passer par le truchement de plateformes informatiques ; après tout, ces indésirables ont tous des smartphones. Un récent rapport de Conseil d'État le décrit dans son inimitable jargon distancié4 : « Il arrive que la numérisation s’accompagne de l’introduction de nouveaux ''objets juridiques non-identifiés'', qui faute d’avoir été annoncés, compris et intégrés dans la chaîne de production des autres administrations provoquent des incompréhensions, le rejet du dossier d’usagers de toute bonne foi et des contentieux purement artificiels dans les tribunaux administratifs. [...] Bien qu’anodin en apparence, ce changement d’appellation et de format [...] est à l’origine de nombreuses difficultés : les organismes sociaux (tels que les CAF), n’en ayant pas été informés et n’ayant pas modifié leurs référentiels, renvoient les usagers vers les préfectures, ce qui nourrit encore le contentieux de référés devant les tribunaux administratifs ».

Un exemple concret local : dans un courrier adressé en septembre 2023 au préfet de leur département, avec demande de rendez-vous, quatre associations locales (Cimade, LDH, FASTI, MRAP), ont dressé un état des lieux de la maltraitance administrative des étrangers demandeurs d'un statut.

Évoquant les « plusieurs centaines de personnes [qui] nous sollicitent pour les accompagner dans leurs parcours individuels afin de présenter une demande de titre de séjour avec l'espoir de faire reconnaître leurs droits de vivre en France et à envisager leur avenir avec un peu plus de sérénité », ils relatent un accompagnement « chaque jour rendu plus difficile en raison de la complexité du droit des étrangers, du manque d'informations des personnes étrangères sur l'évolution des procédures, mais aussi de leur mise à distance des guichets de la préfecture qui en complique l'accès, le rend impossible alors même que ce sont des usagers parmi les plus fragiles ». Missive accompagnée d'une liste précise d'obstacles sans cesse répétés. Cela va de l'obligation de communication numérique faute de solution de remplacement et même d'assistance (pourtant imposées par la loi) à des demandes de pièces complémentaires manifestement infondées, des délais de réponse au delà de l'année (alors que la loi accorde quatre mois de réflexion à l'administration), la non délivrance de récépissé en cas de demande de renouvellement de titre, privant les personnes de leur droit au travail, sans compter la fréquente contestation des pièces d'identité délivrées par le pays d'origine.

Une délégation des quatre associations a été reçue le 3 octobre 2023 par des représentants de haut niveau de la préfecture. L'entretien a laissé aux participants une impression étrange : leurs interlocuteurs ont affiché une écoute polie, mais ils n'ont proposé aucune avancée vers des solutions concrètes, se retranchant derrière un manque de moyens humains, sur un fond d'obsession de la fraude ; ou encore des incidents du rodage des outils informatiques piloté par le ministère. Faisant miroiter la perspective d'un fonctionnement satisfaisant... à l'horizon 2025 !

*

Alors que la discussion politique pour renforcer les contrôles tourne en rond, on a appris au détour de la publication d'annonces de recrutements que le ministère de l'Intérieur lance un Programme Expérimental de Réforme des Services étrangers (PERSée5) visant à une rationalisation de l'analyse des demandes de titre de séjour par l'administration, avec le développement probable d’une instruction dite ''à 360°'' des demandes de titres comprenant l'analyse exhaustive des circonstances de vie des intéressées et intéressés, ce qui justifierait le rejet automatique de toute demande ultérieure, sauf en présence de circonstances nouvelles. Finies les analyses à répétition des demandes à tiroirs, finies les contestations à répétition devant la justice administrative, dont elles représentent la moitié de l'activité6. Un outil de rejet qui ne nécessite pas l'adoption d'une nouvelle loi.

Le projet a aussi un objectif plus général : « Identifier à moyen terme les organisations les mieux à même de répondre aux défis posés par la situation migratoire actuelle ». Il serait bien temps d'introduire dans la loi ces dispositifs de rêve... au cas où ils existeraient !

Et si on commençait par cesser de parler de défi ?

Martine et Jean-Claude Vernier

1Voir 1980-2022 : lois sur l’immigration, le mille-feuilles législatif, sur le site du Musée de l'histoire de l'immigration.

2 Tout savoir sur la future loi asile et immigration

3 "Pas de papiers, pas de JO". 17 octobre 2023

4 L'usager du premier au dernier kilomètre de l'action publique. Juillet 2023.

5 Le graphisme ''PERSée'' est parlant : majuscules pour l'administratif, minuscule pour les personnes concernées !

6Rapport du Conseil d'État, 12/10/2020

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