Dernier perfectionnement en date : la mise en route progressive depuis 2021 de l’obligation d’échanges dématérialisés via l’outil ‘‘Administration Numérique pour les Étrangers en France’’ (ANEF) et une série de voies numériques annexes. Finies les files d’attente de centaines de personnes attendant dans la nuit l’ouverture des guichets de la préfecture !
Il n’y a pas si longtemps, les bénévoles associatifs, comme les avocats ou certains professionnels, pouvaient librement accompagner les requérants étrangers à la préfecture, aussi bien pour les demandes de titre de séjour que pour déposer une demande d’asile. Ils n’étaient pas les seuls à entrer à la préfecture en tant qu’accompagnateurs : on y croisait des professeurs de langue française, des hébergeurs, des assistantes sociales, des employeurs, des amis, etc.
Cet accompagnement avait plusieurs intérêts pour les personnes concernées - soutien moral pour les personnes vulnérables, traduction - mais aussi pour les associations: observation des pratiques de la préfecture, production dans certains cas de témoignages écrits qui pouvaient être utilisés dans l’intérêt des requérants.
Mais le Covid est passé par là, et ces accompagnements sont maintenant interdits. Chacune et chacun se retrouve face à son smartphone pour ‘‘interagir’’ avec une téléprocédure dont on ne compte plus les dysfonctionnements et les impasses.
Voici quelques exemples.
Les délais de traitement des demandes de titre de séjour
Un homme a demandé la régularisation de son séjour en raison de ses dix ans de présence sur le territoire, avec une multitude d’attestations de soutien et de preuves de ses activités associatives intenses depuis son arrivée en France. Une réponse arrivera au bout de... 19 mois, lui indiquant que les documents fournis sont obsolètes et qu’il doit remettre à jour toutes ses attestations pour prouver la poursuite de son implication associative. Entretemps, il est devenu compagnon chez Emmaüs et n’a plus de disponibilités pour d’autres activités. On lui reproche en outre son manque d’insertion professionnelle, alors qu’il a plusieurs promesses d’embauche mais pas d’autorisation de travail.
L’accompagnement au guichet de dépôt d’une demande d’asile
Une femme érythréenne venue déposer une demande de réexamen de sa demande d'asile, avec un récit solide des persécutions subies et des documents traduits, a été empêchée de la déposer car elle a mal exprimé ses motivations : au lieu d’invoquer le danger bien réel pour elle de retourner en Érythrée en tant que déserteuse, elle explique que sa carte de résident, qui porte la mention « X se disant… » faute d’avoir pu produire un acte de naissance ou un passeport érythréen à son nom pour prouver son identité. Cette erreur d’aiguillage l’empêche de détenir un passeport, une carte vitale, de voyager, de passer son permis de conduire… etc. Avec un accompagnement associatif, les agents de la préfecture auraient compris la légitimité de sa démarche. Il faudra un mail d’explication et un nouveau rendez-vous pour qu’elle puisse finalement déposer sa demande de réexamen.
Les échanges avec l’administration relèvent plutôt du dialogue de sourds : une jeune femme a détenu un titre de séjour « étudiant », qu’elle n’a pas renouvelé. Elle est mariée depuis plus d’un an avec un réfugié reconnu, preuves de vie commune à l’appui. Comme sa demande de renouvellement du titre « étudiant » ne peut être clôturée sur l’ANEF en dépit de tentatives répétées et des sollicitations auprès des services compétents, elle ne peut pas faire enregistrer sa demande de titre de séjour en tant que « conjointe de réfugiée » ; elle restera sans papiers et sans droits pendant plus de deux ans. Un mail à la préfecture expliquant en détail la situation, avec une multitude de captures d’écran, recevra une réponse huit mois plus tard : « Madame peut se présenter au guichet avec l’acte de naissance et la décision OFPRA accordant le statut de réfugié à son enfant ». Le couple n’a pas d’enfant…
Difficultés d’enregistrement des demandes de visas
Dans les permanences associatives d’accès aux droits, on rencontre de nombreuses personnes qui sollicitent un accompagnement pour une réunification familiale pour leur conjoint.e et/ou leurs enfants après l’obtention d’une protection internationale. Pour pouvoir valider et obtenir le visa nécessaire il faut commencer par décrocher un rendez vous au consulat de France dans le pays de résidence de la famille. La plupart des consulats délèguent désormais ce service à des prestataires privés, à la gestion parfois assez imprévisible, ce qui augmente d’autant plus le stress et l’angoisse de familles déjà très éprouvées.
Souvent, ces personnes réfugiées ont attendu une stabilisation de leur situation matérielle (logement, emploi) pour entamer la démarche, ce qui a pu prendre plusieurs années. Certains avaient déjà vécu un parcours migratoire long et compliqué avant d’arriver en France, ce qui a eu pour conséquence une séparation plus ou moins longue des membres de la famille. Ils ont vécu séparément des expériences très différentes : pour celles et ceux qui sont en France, une précarité administrative et l’ajustement à une nouvelle culture, l’apprentissage d’une nouvelle langue, etc. Pour la famille restée au pays ou déplacée dans un pays tiers, l’isolement, l’insécurité, le combat quotidien pour la survie.
Ces expériences disparates et la durée prolongée de la séparation ont creusé un fossé qui les a séparés de manière souvent irrémédiable. Des couples ne parviennent plus à se retrouver. Ils ne se comprennent plus car ils n’arrivent pas à se représenter ce que l’autre a vécu en leur absence. Les liens se sont distendus entre les enfants et le parent absent. Des femmes ont gagné leur autonomie en France et ne supportent plus la vie commune avec le conjoint qui a gardé des réflexes culturels qu’elles n’acceptent plus.
Les délais démesurément prolongés des procédures de réunification familiale, dont la difficulté à obtenir un rendez-vous au consulat de France pour y déposer leur demande de visa, participent grandement à ces ruptures familiales parfois irréparables.
Aux conséquences humaines pour les familles, il faut ajouter les difficultés financières engendrées par les coûts exorbitants des droits de visas ou taxes imposées dans certains pays (Éthiopie pour les Somaliens, Iran pour les Afghans, par exemple) aux ressortissants étrangers qui attendent un visa pendant des mois, voire des années.
Informations recueillies par Martine Vernier
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