Et vous avez cru, peut-être, y trouver un peu de bienveillance.
Une once d’humanité.
Un mot d’hospitalité, même timide.
Mais à Calais, vous avez dormi dans des tentes trouées,
dans le froid, les pieds mouillés, les os transis.
Gazés pourchassés, votre toit éventré.
Et vos voisins hurlant parfois comme s’ils s’adressaient non pas à des êtres humains,
mais à des ombres qu’on voudrait faire disparaître.
Ils vous parlent comme on parle à ceux qu’on ne veut pas voir, qu’on méprise…
Un animal, dans sa vulnérabilité, mérite la douceur.
Pourquoi pas vous ?
Hassan, Youssef, Moussa, Zahra, Samira… Imrane et les autres …
Vous regardez cette terre avec les yeux mouillés,
laissant derrière vous une terre asséchée,
et un ciel qui n’en finit plus de vous tomber dessus, ceux qui sont censés être vos hôtes
et qui sont souvent à l’origine même de vos départs
n’ont pour vous aucun mot,
aucune tendresse, aucun accueil, aucune main, seulement la répression. la sanction.
La peur panique de devoir partager ce qu’ils croient leur appartenir.
Mais cette peur les rend violents. et orgueilleux… j’en ai honte !
Leur coeur est comme une main fermée entourée de piques.
Faut-il être sacrément vivant pour fuir un pays qui se dit être celui des droits de l’homme.
Mais comme l’a dit un des mes frères de lutte Saïd :
ici, on a déclaré les droits de l’homme,
mais pas de tous les hommes et on oublie que c’était une déclaration.
Une promesse, un vœu pieux mais
pas une réalité.
Alors, le 4 juillet, déterminés peut-être et encore mineurs pour certains ,
vous avez tenté de monter sur un float boat.
une embarcation légère, mais chargée d’espoir.
devenue, malgré elle, le radeau de l’espoir, et quand on n’a plus rien à perdre,
quand on a déjà été dépossédé de sa vie,
quand on a tout quitté la langue, les odeurs, les visages,
alors on tente.
On prend le risque ! Parce qu’enfoui sous la peur,
Ii reste la dignité.
Ce qu’ils appellent sécurité,
c’est le contrôle, la peur de l’autre.
Le refus d’ouvrir.
Ils ont tranché votre espoir.
ils ont percé votre passage comme on sabote un souffle.
Et si, au lieu de dresser des murs,
on avait ouvert une porte ?
Si, au lieu des barbelés, il y avait eu des bras ? Du peau à peau ? Du coeur?
La terre ne leur appartient pas.
Elle nous tolère. elle nous abrite.
et elle souffre tout autant que vous…
Eux, les forces qu’on aimerait nommer les gardiens de la vie en ont fait fi,
ils obéissent.
Ou bien ils n’ont même plus besoin d’ordres.
la répression est devenue réflexe.
Un fluide autoritaire qui tourne en boucle…..
Et qui frappe ce qu'il ne comprend pas…
Dans cette détresse je vous le crie vous êtes beaux.
même cabossés.
Vos histoires sont puissantes.
Même sans majuscule.
Même sans fards. ce que vous recevez ici, ce n’est pas une main tendue.
C’est un revers.
Et parfois un coup de pied.
Le 4 juillet vous avez vu le vrai visage de cette France.
Celle qui cogne ceux qu’elle refuse de connaître.
Et qui s’abîme, à force de frapper à l’aveugle.
Mais vous, vous êtes restés dignes, animés par cette force de ceux dont les âmes sont meurtries par le froid de l’exil, el ghorba comme disait mon père
Cet exil qui a fait chanter tant de poètes en Algérie et ailleurs. Cet exil qui vous fait vous sentir si seul, loin de votre terre nourricière.
Cet exil qui vous plonge dans une solitude immense. Cette solitude qu’on retrouve au milieu de l’océan, des mers, de la Manche, de la Méditerranée devenues des tombeaux … vos vies ont de la valeur.
Une valeur que rien ne pourra effacer.
Ce soir, je voulais vous le dire, vous rendre vos noms.
Parce que vous n’êtes pas des ombres.
Vous n’êtes pas des nombres.
Vous êtes Samira.
Nassim.
Hassan.
Bilal.
Lina.
Ahmed.
Et tant d’autres.
Mornia Labssi
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