Une rencontre sur "La preuve et l'intime conviction en droit d'asile" était organisée à l’occasion de l’ouverture à Nantes d’une chambre territoriale de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), devant laquelle on peut contester un premier refus de protection, avec l’assistance d’une avocate ou d’un avocat.
Selon le Code pénal, « le juge décide d'après son intime conviction », une non-définition troublante, après tout. Et qui fait écho, dans le contexte de la demande d'asile, au souci des professionnels comme des simples citoyens qui accompagnent les demandeurs d'asile de les éclairer sur les enjeux de leur entretien à l'OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) et/ou de leur recours devant la CNDA - la plus grosse juridiction administrative française.
Au cours de la matinée, on a pu entendre sept intervenants : la travailleuse sociale dans un centre d’accueil des demandeurs d’asile (CADA), le médecin, la psychologue dans une association de soutien, l’avocate, le rapporteur à la CNDA, le président de la chambre territoriale, et… un public averti composé d’avocates et avocats, et de membres d’associations d’accompagnement des migrants.
La matinée a tout eu d'une tragédie classique: la large palette des protagonistes, le séquençage des interventions, leur dignité, l'écoute intense entre toutes et tous ; dans le même temps, la force de l'empathie face à la rigueur du Pouvoir, les moments déchirants et les rires de délivrance…
Voici quelques notes en écho de ce moment mémorable.
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La travailleuse sociale dans un CADA
Il existe tout un dispositif officiel d’accueil et de soutien des personnes qui, menacées dans leur pays, viennent demander protection à la France. Après un passage en préfecture où leur demande est encodée, elle doivent, en principe, être hébergées dans un centre d’accueil, CADA ou autre, où elles bénéficieront d'un accompagnement (social, sanitaire, apprentissage de la langue, …). En principe seulement, puisqu’une forte proportion d’entre eux n’ont pas trouvé de place dans ce dispositif et qu'ils en sont réduits à la débrouille, à la rue, y compris avec des enfants, avec les appels au 115 (qui sature) ou le recours à des associations de soutien – elles aussi débordées.
Le médecin hospitalier
Les sévices subis au pays que l’on a fui laissent leurs traces dans les corps et dans les âmes. Un enjeu important de la demande d’asile est donc de pouvoir produire des preuves et des signes éventuels de ces réalités. L’expertise en est confiée à des médecins spécialisés, une ‘‘médecine de la violence’’.
À la différence des traces corporelles de tortures et autres mauvais traitements, le trauma psychique ne se voit pas, et l’on sait que le plus souvent il reste enfoui – alors que la préparation du dossier de recours demande des signes, sinon des preuves, des mauvais traitements.
L’examen médico-légal est lui-même peut être un traumatisme.
Il est déjà long et difficile de décrire des dégâts psychiques dans sa propre langue, mais dans une langue que l’on connaît peu, ou pas du tout ?… Et les transposer d’un monde mental et social vers celui dans lequel il va falloir se faire entendre ?… Et si les interprètes dans ma langue manquent ?…
Imaginer la nouvelle violence infligée à la personne dont les souffrances n’ont pas été entendues à l’OFPRA : « ils ne m’ont pas cru... ».
La psychologue
Alors que les personnes accueillies dans le dispositif national d’accueil, outre la sécurité matérielle, peuvent s’appuyer sur un accompagnement psychologique et un appui dans leurs démarches, pour les autres, la précarité de la situation matérielle entraîne une rapide dégradation de leur état psychique. Des associations tentent de leur apporter un accompagnement individuel et collectif.
Signalons un essai d’Élise Pestre1, selon qui « les États présupposent que la majorité des demandeurs d'asile mentent pour obtenir la qualité de réfugiés. Ils exigent donc des preuves, qui ne peuvent passer que par le témoignage. Mais comment témoigner quand on ne parle pas la même langue ? Qu'implique le fait de se remémorer dans l'urgence une série d'événements traumatiques ? »
Comment entendre, comment aider à l’exposition des maux et de leurs séquelles, sans ignorer que la seule experte de son état mental est la personne elle-même ?
L’avocate
Le métier des avocats et avocates est de mettre en avant sur les arguments juridiques propres à contester un refus de protection. Mais, au fil des entretiens avec leurs clients ils découvrent la difficulté de construite une passerelle avec le monde de leur souffrance psychique, exercice pour lequel ils n’ont pas forcément été formés.
Comme aussi la profonde rupture culturelle dans le cas de certains pays. Un exemple tout simple : l’OFPRA et la CNDA accordent une grande importance à la datation des événements relatés. Or tous les pays n’ont pas adopté le calendrier en cours en France ! Sans compter le brouillage des repères provoqué par la mémoire des trauma.
Dans les entretiens au cours desquels on recueille des éléments pour le plaidoyer, attention à ne pas faire revivre le trauma, tout en cherchant à le circonscrire.
De son côté, et dans une recherche d’efficacité, le législateur raccourcit les délais d’examen et de recours. Une rapidité incompatible avec le temps long nécessaire pour faire venir au jour la réalité des atteintes subies.
Le rapporteur public à la CNDA
Un élément important d’une audience devant la CNDA est l’intervention du rapporter public, chargé de présenter aux juges une analyse juridique du dossier. Il « expose publiquement, et en toute indépendance, son opinion sur les questions que présentent à juger les requêtes et sur les solutions qu’elles appellent. » (source)
Le rapporteur public examine le récit de la personne demandeuse de protection au regard de la loi en cours, le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Ce code est remanié très souvent par le législateur (des dizaines de révisions depuis 30 ans).
Le rapporteur public présent à la table ronde - qui précise qu’il est aussi délégué syndical - partage plusieurs constats.
La dernière révision du CESEDA (loi dite Darmanin du 26 janvier 2024) introduit de nouvelles contraintes, avec notamment une exigence accrue de preuves matérielles, et un raccourcissement des délais de procédure, qui percute le temps nécessaire à la reconstruction de la mémoire, et donc du récit. Mais, aussi, tandis que la plus grande précarité des conditions de vie demandeurs, trop souvent en errance, augmente leur fragilité psychique, les avocats eux-mêmes sont parfois démunis devant des situations aux multiples facettes. Sans parler des conditions matérielles de la communication des dossiers entre instances – un exemple : une photo couleur produite à l’appui d’une déclaration du demandeur est transmise à la CNDA,… en noir et blanc !
Le président de la chambre territoriale de la CNDA
En résumé, sont recevables principalement les preuves normalisées, des documents en français, la cohérence avec la description géopolitique délivrée par les services de la Cour.
Avec, omniprésente, l’idée de crédibilité. Un exemple de témoignage trouvé sur la toile : « Je ne fais pas grand cas du récit écrit fait pour saisir la Cour, généralement rédigé dans de mauvaises conditions. On exige qu’il soit rédigé en français, sur un format A4 et souvent des charlatans ou des amis en produisent un, mal rédigé, contre rémunération. (...) Soit on croit à l’histoire telle qu’elle ressort de l’audience, soit on n’y croit pas. » Peut-être un peu caricatural, mais assumé.
Il y a une sorte de hiérarchisation des preuves – un demandeur qui n’a pas été accompagné dans sa démarche aura plus de mal à se faire entendre.
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Et au milieu de la pièce, tout au long des échanges, cette présence forte,
Arlésienne poignante, la personne en besoin urgent d’écoute et de protection.
Martine Vernier
1Élise Pestre, Le vie psychique des réfugiés, Petite Bibliothèque Payot, 2019.
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