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Billet de blog 12 mai 2025

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Côte d’Ivoire, France, retours d’expérience (3/4)

On entend dire que les Français sont racistes, que les Français ils sont comme ci, ils sont comme ça. Ce n’est pas ce que j’ai vu de la part des Français que j'ai connus. Tandis que du côté de la Côte d’Ivoire, on dirait que la décolonisation n’a rien changé.

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Et le racisme?

Je n'ai pas vu de racisme chez celles et ceux que j'ai côtoyés, des amis, des bénévoles, des militants français, des personnes qui sont vraiment de bonne foi envers moi, qui m'ont toujours proposé des aides; qui m'ont entouré de joie, de gaité, qui ont toujours été là pour me soutenir de près et de loin durant mes moments difficiles, même quand j'étais en situation irrégulière.

Le racisme, je l'ai connu autrement ; j'ai été visé par des propos racistes, parfois dans des administrations, parfois dans la rue et parfois aussi par des personnes que je dirais... de nature méchante, ou des personnes vraiment ignorantes. J’ai toujours considéré le racisme comme de l'ignorance ; ces personnes qui n'ont rien compris dans la vie, on peut vraiment dire qu’elles sont racistes, en fait.

Ce qu'il faut savoir, c’est que le racisme prend plusieurs formes. Dans les administrations où j'arrivais, par exemple, on me demandait si je parlais le français, alors que je les avais salués en français, que je m'exprimais en français. Et on me demandait parfois, dans l'administration, si je savais écrire. Je pense que c'est du racisme, c'est de l'insulte, une l'insulte à mon intelligence. Dès que tu salues une personne et que tu t'exprimes bien en français, la personne devrait comprendre qu’elle a en face d’elle une personne instruite. Alors, si la personne ne comprend pas, c'est une forme de racisme.

Mais le racisme prend aussi d’autres formes. Par exemple, quand je cherchais un logement alors que j’étais sans abri. Une fois remplis tous les dossiers, on m’orientait souvent vers des quartiers qui étaient connus pour être uniquement soit pour les Arabes, soit pour les Africains, soit pour les étrangers. Ça aussi c’est une forme de racisme.

C’est un racisme sans réflexion. Par exemple, je me rappelle d'un de mes anciens collègues de travail dans un restaurant qui a eu l'audace un jour de me dire : « Tu travailles vite sinon je t'emmène au quai ». Au départ je n'ai pas voulu réagir, mais j'ai compris qu’en me disant « je t'emmène au quai » il me faisait revenir à l'époque de mes ancêtres, au temps de l'esclavage, quant on les emmenait : « Je t'amène au quai, je te chicote, je te fouette et puis je te mets dans le bateau ». Ça c'était vraiment du racisme. Alors je lui ai fait savoir que je n'étais pas content : soit il s'excuse, soit je vais chez le directeur ou le chef du restaurant pour me plaindre. Il croyait être drôle, et moi je ne trouvais pas ça vraiment drôle. Oui, il croyait que c’était drôle ; je lui ai dit que non. Et là, je lui ai demandé de s'excuser. Et il a présenté ses excuses.

Et après, je n'ai pas voulu en faire une histoire et lui créer des ennuis. Par la suite, continuant à travailler avec lui, je m’en suis méfié parce que je ne le trouvais pas vraiment intéressant ; des personnes qui ont ce genre de réflexion... C'était une personne de nationalité française. Il ne me l'a pas dit devant les autres, il me l’a dit en privé.

J’ai aussi subi du racisme dans le monde du travail, avec des Français qui, eux-mêmes, sont mal placés dans la société, sinon ils ne feraient pas ce travail-là. Eux étaient souvent racistes. Parfois ils ne te le disent pas, mais ils te font savoir que tu es venu dans leur pays pour pouvoir profiter de leur système. Ils te le disent autrement, mais tu le comprends, en fait. Parfois ce sont des personnes qui sont un peu frustrées de la vie. Ils ont toutes ces idées, ils ont toutes ces paroles, et pourtant ils voient bien qu'on travaille sur un pied d'égalité avec eux, et ils savent très bien qu'on n'est pas là pour profiter du système, comme ils le pensent. Oui, ça existe.

Ça arrive, ça arrive partout, partout en fait. Des réflexions comme ça, j’en ai souvent eu par plaisanterie. Il y a des collègues qui disaient, par exemple, « Il paraît que vous les noirs, chez vous, vous dormez au dehors, ou vous dormez dans la brousse ». Parfois ils ont ce genre de mentalité. Ils se croyaient drôles mais pour moi ce n'est pas le cas. C'est blessant, oui.

C'est courant en fait, c'est courant. Des gens qui disent des paroles racistes de très mauvais goût, ils sont de tous les âges, des hommes, des femmes - les femmes pas trop, mais généralement ce sont des hommes, souvent dans la vingtaine. Mais si on doit toujours réagir, toujours discuter, je pense qu'on ne va jamais en finir.

Au contact des Français, en dehors du travail et de l’administration, je n'ai jamais vécu de comportements de racisme.

Les suites de la colonisation de la Côte d’Ivoire par la France

Je pense - c'est ma vision personnelle en tout cas - que la décolonisation n'a rien changé, nous sommes toujours tenus par la France et si, au départ, on était colonisés par les blancs dans notre pays, aujourd'hui ça continue là-bas, et en Europe. Le fait qu'on vienne en Europe pour pouvoir travailler, et dans de mauvaises conditions, c'est toujours de l'esclavage.

Nous n'intéressons la France que pour notre travail. Et aujourd’hui encore, la France part en Afrique, dans les pays qu’elle a colonisés, pour piller les ressources et monter les politiciens de ces pays les uns contre les autres. On se dit que l'indépendance n'a rien changé, en fait.

On ne peut pas dire que l’on donne l'indépendance à un pays et toujours surveiller ce pays. Avoir des bases militaires dans des pays, ça veut déjà dire que la surveillance existe toujours. Par exemple, il y a l'armée française en Côte d'Ivoire. Et la Côte d'Ivoire, ce n'est pas la France. Il y a l'armée française à Djibouti, au Sénégal. Si l'armée est implantée dans ces pays, ça veut dire que la France a un œil sur ces pays, et sur l'Afrique. Donc, on ne dirait pas qu'on a eu notre indépendance. On dirait que ça continue toujours.

La France s'est fait renvoyer de plusieurs pays d’Afrique, et je dirais qu'il était temps. Parce que les Africains veulent l'indépendance sans surveillance, être indépendants et faire ce qu'ils ont envie de faire, ne pas continuer à avoir comme monnaie le franc CFA, qui fait toujours partie de la colonisation et est fabriqué en France et, en plus, dont la commission administrative est à moitié française. Alors donc on pense que pour le Mali, le Niger, le Burkina Fasso le Tchad, il était temps de se réveiller, et on espère que d'autres pays suivront ces exemples.

Amara Diomande

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