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Billet de blog 15 septembre 2018

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Personnes exilées à la rue, habitants solidaires

À Rennes comme à Paris, Nantes, etc, des habitants sont obligés de recourir à des actions "illégales“ et ”perturbatrices" pour faire ce que les pouvoirs publics refusent de faire, au mépris de la loi : permettre l'accès à un logement à tous et toutes, avec ou sans-papiers ou, à défaut, assurer l'hébergement de toute personne à la rue.

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Mercredi 12 septembre 2018

Le Collectif de soutien aux personnes sans-papiers a lancé une occupation du Centre Régional Information Jeunesse de Rennes (CRIJ, place du général De Gaulle) avec trois familles à la rue, venues d'Azebaïdjan, de Tchétchénie et de Géorgie. Nombre de militant-e-s de l'association Un Toit c'est Un Droit ont aussi rejoint l'occupation.

Avec un accueil très bienveillant et très compréhensif des salarié-e-s du CRIJ, l'occupation a été lancée pour une vingtaine de personnes qui devaient investir le seul troisième étage mais, en quelques heures, c'est tout le bâtiment du CRIJ qu'il a fallu investir. En effet, le préfet a ordonné hier soir vers 20 h et à la surprise générale l'évacuation rapide d'un campement de 25 géorgien-ne-s à la rue (dont six enfants) qui occupaient, en totale auto-organisation et depuis deux semaines, le parc Saint-Cyr à Rennes. Cette évacuation a été vécue comme une provocation par le secteur associatif et, de manière consensuelle, il a été décidé d'accueillir dans le CRIJ les expulsé-e-s, donc d'occuper tout le bâtiment. Ce sont donc près de 60 personnes – dont 20 enfants, plusieurs étant scolarisé-e-s – qui ont dormi la nuit dernière et dormiront sans doute la nuit prochaine si aucune solution publique n'est trouvée. Ces personnes ont des statuts divers : demandeuses d'asile politique pour la quasi-totalité, certaines sont "dublinées", c'est-à-dire privées de leur droit de demander l'asile parce qu'elles sont traitées comme des “patates chaudes” entre les États européens1. Une assemblée générale ouverte à tous et à toutes aura lieu ce soir à 19 h dans les locaux du CRIJ. D'autres actions devraient être décidées : pour les occupant-e-s actuel-le-s et pour les autres personnes à la rue car le ras-le-bol du secteur associatif a atteint des sommets...

Jeudi 13 septembre 2016

S'il fallait résumer la journée, on pourrait utiliser la formule suivante : "la préfecture donc l'Etat ne peut rien faire pour les pauvres sans logement et la mairie est obligée de le remplacer dans ses fonctions mais ne veut pas non plus tout gérer, seulement les familles avec enfant mineur-e". L'État sait quand même expulser les campements dans lesquels les migrant-e-s s'auto-organisent faute de mieux.

La journée de jeudi a été marquée par quelques arrivées supplémentaires qui ont fait monter l'occupation du CRIJ à 70 personnes, avec une continuité totale de l'accueil solidaire des salarié-e-s du CRIJ.

Dans l'après-midi, après des bruits selon lesquels l'État allait faire procéder à une évaluation sociale de la situation, c'est la mairie de Rennes qui a débarqué et fait des propositions concrètes. Point d'État en vue de toute la journée donc - ni administration, ni rois de l'expulsion.

A 19 h, l'Assemblée Générale appelée hier au CRIJ s'est réunie ; elle a rassemblé entre 100 et 150 personnes, migrant-e-s et soutiens. Deux traducteur-e-s (russe, géorgien) étaient là et nous avons vraiment essayé (pas facile) de traduire au maximum et de faire participer les migrant-e-s (un seul parle français). À noter que plusieurs élu-e-s de la mairie ont participé à l'AG comme tout le monde, notamment pour exposer devant le peuple réuni les propositions concrètes.

Après un historique de la situation afin de mettre tout le monde au même niveau d'information, la mairie a proposé l'ouverture d'un gymnase pour les seules familles avec enfant ("pas d'enfant à la rue à Rennes"). Ce gymnase serait géré matériellement par une société mandatée et la Croix Rouge. Une évaluation par l'État serait faite aujourd'hui et, à partir de lundi, des hébergements (pour les demandeurs d'asile "normaux") et des nuits d'hôtel ou autres solutions seraient proposés aux migrant-e-s, avant fermeture du gymnase au plus vite. Tout cela serait géré par la mairie qui ne demande rien aux associations de soutien mais accepte une entrée libre (sous conditions de nom déclaré à l'avance) dans le gymnase afin de garder contact avec les familles.

Une fois tout traduit et un peu débattu (notamment pour dénoncer le manque d'ambition politique de la mairie quant à ne pas héberger aussi les 17 célibataires non prévu-e-s dans cette ouverture de gymnase), les migrant-e-s se sont réuni ensemble et ont débattu de la proposition.

Sous la pression des célibataires qui vivent sans doute mal - comme nous - la vision d'enfants de 1 à 3 ans en train d'errer et de pleurer dans une occupation, les familles ont été invitées à accepter la proposition de la mairie.

Tout s'est ensuite accéléré :

* la Croix Rouge est arrivée pour prendre les affaires des 50 personnes en famille ;

* un grand repas collectif - migrant-e-s, soutiens, élu-e-s, Croix Rouge - a eu lieu grâce à la cantine des luttes qui avait tout prévu en bouffe ; on s'active dans tous les sens, beaucoup rient, d'autres pleurent, on s'échange les numéros et on se dit qu'on se reverra ;

* et d'autres essayaient tant bien que mal d'organiser en une AG réduite de 60 personnes la suite des événements, notamment pour les célibataires.

Décision a été prise de rester au CRIJ tout le week-end et de profiter de ce dernier pour rendre visible la lutte et aller perturber un peu les routines de l'ordre étatique. De même on fait une AG chaque soir. L'occupation n'est pas à l'abri de voir arriver d'autres familles puisque la liste est pour l'instant close (définitivement ?) en ce qui concerne le gymnase.

Nous discuterons samedi soir d'une éventuelle nouvelle occupation car nous ne voulons pas que le CRIJ subisse cette situation trop longtemps.

Nous avons toujours besoin de gens pour dormir (me répondre en perso). Cela se passe super bien pour l'instant, tellement bien que nous diminuons les équipes de nuit de quatre personnes à trois personnes. A noter que des migrant-e-s participent aussi à ces équipes de nuit qui dorment mais que d'un oeil.

A ce soir ou demain et n'hésitez pas à passer car ça fait toujours du bien de pas se sentir trop isolé-e-s (c'est même une des conditions de la réussite).

Le collectif de soutien aux personnes sans-papiers de Rennes

1 NDLR. Le Règlement de Dublin stipule que c'est le pays par lequel un exilé est arrivé en Europe qui est responsable de l'examen de sa demande d'asile. Même si l'article 17 de ce Règlement prévoit qu'un autre pays peut décider d'examiner la demande, son application reste exceptionnelle. En 2017 la France a ainsi refusé d'entendre environ la moitié des demandes d'asile qui lui ont été soumises.

Informations recueillies par Martine et Jean-Claude Vernier
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