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Billet de blog 22 novembre 2022

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Contre l'arbitraire politique, la force de la solidarité alliée au droit

Épilogue (provisoire) de l'affaire de l'Ocean Viking: les rescapés vont enfin pouvoir exercer leur droit imprescriptible de demander l'asile. Il aura fallu en passer par dix jours de souffrances incompréhensibles résultant de d'actes d'autorité du pouvoir, dix jours de chaos administratif, dix jours de batailles juridiques obstinées.

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Une fois de plus en Méditerranée, un navire, chargé de naufragés secourus alors qu'ils cherchaient à rejoindre l'Europe, peine à trouver une autorisation d'accoster pour les débarquer. L'Italie, Malte refusent d'accueillir les 234 passagers de l'Ocean Viking, navire affrété par l’association humanitaire SOS Méditerranée. Finalement, le gouvernement français annonce qu'il accepte leur débarquement à Toulon, port militaire – alors que Marseille et la Corse s'étaient déjà proposés pour le faire. Ils touchent terre le 11 novembre 2022.

Accueil organisé dans l'urgence, avec la création d'une « zone d'attente » comme on en trouve dans les aéroports, espace dont les arrivants ne pourront sortir qu'après que les autorités auront dûment vérifié leur droit à entrer en France. Ici, la zone d'attente sert à commencer le « tri » : les mineurs non accompagnés sont confiés à l'Aide sociale à l'enfance (ASE) ; on en dénombre 44. Quant aux personnes majeures, il va leur falloir, avant même d'avoir eu le temps de reprendre haleine, convaincre dans l'urgence une antenne de l'OFPRA (Office Français de protection des réfugiés et apatrides, relevant du ministère de l'Intérieur) qu'ils ont bien le profil de demandeur d'asile, sous la menace d'un prolongement de rétention en vue de leur expulsion.

Ils sont donc 189 à être confinés dans un centre de vacances sur la presqu'île de Giens, à une trentaine de kilomètres de Toulon. Le centre de vacances ne disposant pas de clôture, 300 policiers et gendarmes sont affectés à leur contrôle.

Extrait d'un reportage de Mediapart publié le 13 novembre : « Ici, sont donc accueilli·es 190 hommes, femmes et enfants d’une quinzaine de nationalités : érythréenne, malienne, guinéenne, bangladaise, soudanaise, syrienne, égyptienne... Sur la base navale, à l’abri des regards, ''l’accueil était complètement glacial, avec des militaires et des policiers armés et des chiens fouilleurs'', raconte par téléphone Morgane Lescot, présente à bord du bateau. ''Le premier contact que les personnes ont eu, c’est une fouille au corps.' ». Selon 20 Minutes, « le manque d’interprètes sur le site se fait criant. Quelques policiers et bénévoles parlant l’arabe se retrouvent à aider. Pour les autres langues et dialectes, les autorités doivent faire appel à un service téléphonique. »

De son côté, l'Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé) dénoncera dans un communiqué du 15 novembre « un traitement brutal de ces personnes, qui sont victimes de violations de leurs droits fondamentaux dans ce lieu d’enfermement qui n’a rien d’un village de vacances : violations du droit d’asile, personnes portant des bracelets avec numéro, absence d’interprétariat, absence de suivi psychologique effectif, pas de téléphones disponibles et pas de visites de proches, pas d’accès à un avocat ou à une association de défense des droits ».

En effet, dès l’annonce de leur arrivée à Toulon, les organisations de bénévoles et de juristes rodées au soutien des exilés étaient prêtes à agir de concert. La mobilisation exceptionnelle de l’Anafé et des avocat.es ne faiblit pas : présence permanente, discussions avec toutes les autorités et/ou partenaires, formations express d’avocat.es, préparation des argumentaires et des audiences,… : du beau boulot collectif !

S'ensuivent des centaines de contentieux juridiques : après quatre jours de rétention, la loi fait intervenir le Juge des libertés et de la détention (JLD) qui statue sur la demande de libération des personnes retenues. On comptera 180 saisines du JLD, qui ordonnera la libération de la quasi totalité des demandeurs et demandeuses. Le préfet ayant fait appel contre les ordonnances de mise en liberté rendues par les JLD, la Cour d'Appel d'Aix en Provence examinera sur deux jours 124 dossiers au pas de charge. Elle confirmera massivement les décisions de libération, surtout sur des points de procédure, du fait de l'impossibilité de tenir les délais légaux en raison du grand nombre de requêtes. « Les dossiers arrivent en même temps que les gens, c’est ubuesque. Aucune juridiction n’est armée pour absorber un tel flux », constate bâtonnier du barreau d’Aix en Provence.

Selon le GISTI, « Les audiences, qui ont débuté et se sont terminées tard, se sont déroulées dans un climat souvent éprouvant pour les personnes et dans des conditions parfois inacceptables quant au respect de leurs droits et de leur dignité : on a pu voir un avocat général tendre son téléphone portable, en position haut parleur, en direction de la salle pour faire entendre à la personne concernée ce qui était censé être la traduction des débats assurée par un interprète resté à distance : inutile de préciser que l’incompréhension était totale. ».

En date du 18 novembre, il restait au plus 16 personnes enfermées, mais elles disposaient encore de moyens juridiques de contester la situation qui leur est faite. Alors que le ministre de l'Intérieur affirmait devant l’Assemblée nationale qu’au moins 44 personnes seraient « reconduites », en bon français : expulsées – et encore à condition que leur pays d'origine accepte leur retour.

Les quelques dizaines de personnes déclarées éligibles à la demande d'asile à la suite du premier entretien avec l'OFPRA ont été orientées vers des centres d’accueil des Bouches-du-Rhône où elles pourront poursuivre la procédure de demande d’asile. Rappelons que demander l'asile est un droit universel, reconnu dans les conventions internationales ratifiées par la France, ce dont n'a cure le ministère de l'Intérieur.

Dans un premier temps, on annonce que les quelque 120 personnes libérées sur décision du JLD mais déclarés non éligibles à la demande d'asile recevront un visa de régulation de huit jours, également appelé sauf-conduit, période lors de laquelle ils doivent se présenter à la préfecture pour faire une demande de titre de séjour... ou de disparaître dans la nature, ce qui peut aussi leur permettre de déposer une demande d'asile. Finalement, ces personnes seront dirigées vers un accompagnement à leur demande d'asile...

Quant aux 44 mineurs pris en charge par l'ASE, après quelques jours de repos, et sans doute une reprise de contacts avec des proches fixés en France ou en Europe, 26 ont quitté leur « abri » pour poursuivre leur voyage. Les 18 autres déclarent vouloir rester en France. Mais les « fugueurs » sont inscrits dans le fichier des personnes recherchées, selon le gouvernement.

On peut suivre le détail de ces événements sur le fil d'actualité du Gisti.

Bilan le 21 novembre :

  • 234 rescapés sont arrivés le 11 novembre, dont 44 mineurs non accompagnés.

  • Parmi les 189 adultes (il y aurait donc un seul enfant voyageant avec quelqu'un de sa famille) :

    • 66 sont « autorisés » dans un premier temps à déposer une demande d’asile ;

    • dans un premier temps, 123 personnes restaient enfermées dans la zone d'attente, mais le JLD ordonne leur libération. Rejet des recours du préfet, confirmé en Cour d'appel dans presque tous les cas ; ils rejoindront finalement les autres demandeurs d'asile.

  • Selon le gouvernement, ces 185 personnes pourront encore être envoyées d'autorité dans l'un des 11 pays européens qui ont accepté d’accueillir jusqu’à 175 migrants.

  • Seules 4 personnes sont encore retenues dans la zone d'attente.

  • 26 mineurs non accompagnés manquent toujours à l'appel !...

Informations recueillies par Martine et Jean-Claude Vernier
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