Fini de rire

Abonné·e de Mediapart

488 Billets

3 Éditions

Billet de blog 23 juin 2025

Fini de rire

Abonné·e de Mediapart

Vivre en France, pays étranger, c’est être encore plus fiché

L’invention du titre de séjour pour les étrangers vivant en France remonte à la première guerre mondiale, quand on a fait venir massivement des travailleurs originaires des colonies d’alors pour remplacer dans les usines, aux côtés des femmes elles aussi enrôlées, les jeunes hommes envoyés au front. Ce dispositif centenaire s’appuie aujourd’hui sur un dispositif de fichage tentaculaire.

Fini de rire

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Comme le rappelle le GISTI1, en France, « Les personnes étrangères (...) ont été les premières à être astreintes à la détention de documents d’identité : une circulaire de 1916, officialisée par un décret de 1917, leur a imposé la possession d’une carte d’identité, délivrée par le préfet, qui devait être visée à chaque changement de résidence, afin de pouvoir contrôler leur présence et leurs déplacements sur le territoire. Ce dispositif, ancêtre des actuelles cartes de séjour, était complété par la tenue d’un fichier central des étrangers au ministère de l’intérieur.
Aujourd’hui, les étrangers et les étrangères sont encore la cible prioritaire des traitements informatisés dont le nombre s’accroît au gré des préoccupations sécuritaires ou gestionnaires et qui se perfectionnent au fil des progrès technologiques. »

Le contrôle des étrangers vivant en France repose sur deux fichiers fondamentaux concernant d’une part l’ensemble des étrangers vivant en France dès qu’ils ont eu un contact avec une préfecture (en charge du suivi administratif des personnes étrangères), et d’autre part les mineurs ayant été en contact avec un Conseil départemental (en charge de la protection des mineurs).

> AGDREF. C’est le fichier fondamental des ressortissants étrangers en France. Il est au coeur du système de suivi détaillé de leur vie en France. Créé en 1993, il a été largement modifié au cours des années. Il est à la base de l’établissement des titres de séjour et des titres de voyage (les passeports délivrés aux réfugiés statutaires). Il contient des informations personnelles et administratives, l’historique, la motivation et des données sur les ressources, les liens familiaux, les études, les diplômes, le type d’emploi,... Il répond à de nombreuses autres fonctions : coordination du suivi administratif, vérification de l’authenticité des documents présentés, gestion des procédures d’expulsion, statistiques sur le séjour et l’éloignement, détection des demandes faites sous des identités différentes, etc.

La liste des organismes qui ont un accès à ces informations, ne cesse de s’allonger : agents du ministère de l’Intérieur, des préfectures, des missions diplomatiques et des postes consulaires, police judiciaire, police et gendarmerie nationales, agents des douanes, des services fiscaux, de la sécurité sociale, de la protection de l’enfance, du ministère du travail, d’agences régionales chargées de l’emploi, l’OFII2, l’OFPRA3, l’INED4, l’INSEE5.

Voici quelques exemples de situations dans la vie des exilés ou le contenu du fichier AGDREF peut être sollicité.

  • Fabrication du titre de séjour
    Réglementation des étrangers, accès à la nationalité
    Missions diplomatiques, postes consulaires
    Police, gendarmerie, contrôles aux frontières
    Délivrance des autorisations de travail
    Travail illégal : inspection du travail, police(s)
    OFII : aide au retour
    OFPRA : demandes de protection
    Naturalisation, déchéance de nationalité
    Fraude documentaire
    Validité et authenticité du titre de séjour
    Enquêtes et procédures de l’autorité judiciaire
    Infractions financières : douanes, services fiscaux
    Aide à l’entrée et au séjour irrégulier
    Sécurité sociale : contrôle de la régularité du séjour
    Autorisation d’activités privées de sécurité
    Évaluation de la minorité
    INED, INSEE : statistiques

...mais aussi, quand même, le ou la titulaire, dans le cadre de la dématérialisation des procédures.

> AEM. Un décret de 2019 a créé le fichier d'« appui à l’évaluation de la minorité des mineurs », suite à la loi sur l'immigration de 2018. Il a pour objet de recueillir les données biographiques et biométriques (empreintes digitales, photographies) des « mineurs non accompagnés » (MNA) sollicitant la protection du département où ils vivent. Ces données, recueillies lors d'un entretien en préfecture, sont ensuite mises en relation avec celles des fichiers VISIABO6 et AGDREF. Les objectifs du fichier AEM sont, d’une part, de repérer si le jeune a été enregistré comme majeur dans le cours de son parcours migratoire et, d’autre part, d’empêcher le « nomadisme » de jeunes qui tenteraient « leur chance » dans plusieurs départements.

Ont accès aux données : les agents habilités des préfectures en charge de l'application de la mesure et ceux du ministère de l’Intérieur en charge des systèmes d'information concernant les étrangers. En outre, sont destinataires des données en raison de leurs attributions : le Procureur de la République, les agents désignés et habilités du département, en charge de la protection de l'enfance.

Le contrôle de la régularité du séjour et de l’ordre public : français ou étranger, même surveillance

Par ailleurs, les fichiers présentés succinctement ci-dessous, qui sont des outils de surveillance de l’ensemble des habitants du pays, sont une autre source à la disposition de l’administration.

> Le casier judiciaire. Géré par le ministère de la justice ; ses données peuvent être utilisées dans les procédures de demande de titre de séjour ou de naturalisation (« menace à l’ordre public »), ainsi que dans les cas de déchéance de nationalité.

Les fichiers suivants relèvent du ministère de l’Intérieur.

> FAED. Le fichier automatisé des empreintes digitales a été créé en 1987. Primitivement destiné au contrôle de la délinquance, il est aujourd’hui également utilisé dans un but de contrôle du séjour des étrangers.

>TAJ. Le traitement des antécédents judiciaires, créé en 2012, centralise des données relatives aux auteurs potentiels et aux victimes de certains crimes, délits ou contraventions de 5ème classe (les plus graves). Il peut être consulté dans un cadre de police des étrangers, pour la délivrance, le renouvellement ou le retrait d’un titre ou d’une autorisation de séjour.

> Pasp, Gipasp, EASP. Les fichiers ‘’Prévention des atteintes à la sécurité publique’’ (Pasp, police nationale) et ‘’Gestion de l’information et prévention des atteintes à la sécurité publique’’ (Gipasp, gendarmerie nationale) ont été créés respectivement en 2009 et 2011. Le traitement ‘’Enquêtes administratives liées à la sécurité publique’’ (EASP) a été créé en 2009. Dispositions considérablement modifiées en 2020.
En ce qui concerne la police des étrangers, peuvent en prendre connaissance les autorités administratives compétentes en matière de séjour, d’éloignement ou d’accès à la nationalité française, ou pour les personnes sous le coup d’une mesure d’éloignement.

> FPR. Le fichier des personnes recherchées, créé en 2010, comporte de nombreuses informations concernant les étrangers : suspicion de menace à l’ordre public, mesure d’interdiction d’entrée prise par l’UE, OQTF non exécutée, interdiction de retour, de circulation en France, personnes faisant l’objet d’un arrêté d’expulsion, d’une assignation à résidence, d’une interdiction administrative du territoire.

Pour la personne fichée: quel droit de regard, quels recours possibles ?

Les droits de la personne concernée sont de plusieurs natures : droit à l’information, droit d’accès et de vérification, à l’effacement des données, droit à la limitation ou à l’opposition au traitement des données. Le cadre légal de l’exercice de ces droits est défini au niveau de l’Union européenne.

Ce droit de regard sur le contenu des fichiers européens ou nationaux est en principe assuré, avec toutefois de nombreuses restrictions tenant à l’objectif même de la mise en place du système, qui est de contrôler les personnes étrangères pour protéger l’ordre social au sens large. Dans ces conditions, l’autorité administrative peut mettre obstacle à la communication de certaines des données enregistrées, même s’il est prévu que la CNIL peut être saisie en soutien aux contestations.

Au total, en ce qui concerne la mise en œuvre de ces droits, selon le Gisti, « les protections prévues par la loi paraissent souvent bien formelles. D’abord parce qu’elles sont fortement amenuisées dès lors que les traitements ont un objectif de sécurité publique – notion largement entendue et incluant la police des étrangers. L’accès aux informations contenues dans certains fichiers, énoncé comme un droit, est en pratique peu connu et difficile, parfois même impossible, de sorte que les personnes concernées ont du mal à contester les allégations des préfectures. (En cas de contestation), l’expérience montre que, dans la très grande majorité des cas, le juge valide les allégations de l’administration qui y sont contenues, faute pour le requérant de pouvoir contredire ces informations ».

Martine Vernier

1GISTI. Étrangers fichés, Note juridique (Octobre 2022).

2OFII : Office français de l’immigration et de l’intégration

3OFPRA : Office français de la protection des réfugiés et apatrides

4INED : Office national d’études démographiques

5INSEE : Institut national de la statistique et des études économiques

6VISABIO : La partie française du système européen de traitement informatisé de données personnelles biométriques des demandeurs de visas.

--
Voir le sommaire complet du blog.
Abonné à Mediapart ou non, on peut s'inscrire ici pour être informé par courriel de la mise en ligne de nouveaux billets.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.