Arrivé de la Sierra Leone en plein hiver, ce jeune demandeur d'asile n'a pas obtenu de place d'hébergement par les structures dédiées. Nous avons appris fortuitement par un de ses amis qu'il dormait dans les rues de Nantes. C'était en décembre 2024.
Ce jeune homme au visage grave venait assidûment à nos cours de français, toujours digne, appliqué et sérieux dans l'apprentissage de la langue. Et impeccable, soigné dans ses tenues.
Nous n'aurions pas pu imaginer...
Il apprenait vite, posait des questions très pertinentes et quand il n'arrivait pas à expliquer en français les problèmes de grammaire ou d'orthographe qu'il rencontrait, il le faisait en anglais.
Nous nous sommes mobilisé.es pour l'héberger, et pour l'accompagner, lui apporter un peu de (ré)confort.
Il a ainsi pu entrer dans des foyers de familles françaises, découvrir des modes de vie divers, et se sentir peu à peu en sécurité. Nous l'avions assuré qu'il ne dormirait plus à la rue, qu'il n'aurait jamais faim et plus jamais froid.
Soigneux jusqu'à la méticulosité, son lit était fait presque au carré, sa chambre nette.
Il s'est beaucoup attaché aux ami.es qui lui ont offert un toit, il a pu quitter un peu son air grave et soucieux, pour plus de sourire et un peu d'insouciance retrouvée.
Nous avons découvert un jeune homme respectueux, serviable, curieux des autres, sensible et fin.
Un philosophe sage, doué d'un humour teinté d'ironie et d'un soupçon d'autodérision.
Il a peu à peu construit sa vie, avec beaucoup de cours de français, l'apprentissage de l'outil informatique et la rencontre de toutes sortes de gens d'ici.
Rien n'était gagné pour lui du point de vue administratif, sa demande d'asile était en cours.
À mots pudiques, il m'a parlé de son père, ouvrant peu à peu son cœur à la confiance et, petit à petit, il est sorti de sa réserve.
Il y a un mois, il a appelé chacun.e de ses hébergeurs/hébergeuses pour annoncer son transfert imminent dans une autre ville de France, où il serait hébergé jusqu’à la fin de sa démarche de demande d’asile. Un refus de cet hébergement éloigné de ses hôtes le priverait des 344 € mensuels (un demi-RSA) qui lui sont alloués pour se loger et se nourrir pendant la durée de la démarche.
Au téléphone, il a craqué pudiquement, disant que ça allait, et finissant par : « Je suis triste, je suis très triste ».
Nous lui avons fait une petite fête avec quelques cadeaux à emporter, comme s’il nous emmenait dans sa valise. C'est ce qu'il avait évoqué : nous emmener dans sa valise...
Et il a pleuré.
Ses mots pour exprimer sa reconnaissance et son attachement aux personnes qui l'ont tiré des nuits hostiles et glacées de la rue, je ne les ai pas. C'était beaucoup d'émotions mêlées de sanglots.
Je l'ai accompagné à son train le surlendemain. Il avait retrouvé une posture flegmatique, un peu fataliste.
*
On demande aux étrangers de s'intégrer socialement, mais comment faire quand on est arraché de force à une vie sociale construite peu à peu dans un peu de stabilité et de chaleur humaine, une famille de solidaires chez qui retrouver espoir?
Ose-t-on encore s'attacher, quand on a vécu successivement l'arrachement à son pays, à sa famille et qu'on a retissé des liens forts ici ?
Peut-on imaginer comment on vivrait ce type d'événements successifs, nous, qui n'avons jamais eu à subir ces successions de violences ?
L'administration, elle, ne se pose pas ce genre de questions…
Margot Wolf
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