Il est arrivé chez moi en février 2017. Selon l'association qui tentait - et tente toujours- de trouver un toit à des jeunes étrangers non reconnus mineurs, il était particulièrement vulnérable, car laissé seul, à la rue et, surtout, épuisé. Il n'avait pas 17 ans. Il ne parlait pas le français, sauf "bonjour", "merci".
Ce soir-là, à la maison, il a mangé comme un piaf, puis il est parti se coucher dans un vrai lit, au chaud, au sec, au calme, dans SA chambre, celle qu'il occuperait durant quatre ans de sa vie chez moi.
Le lendemain, il est arrivé avec un petit cahier, un manuel d'apprentissage de la langue d'ici. Il s'est posé à un coin de la table de cuisine, il voulait dans un premier temps apprendre la calligraphie de l'alphabet. Il n'avait jamais été scolarisé dans son pays, alors tenir un crayon, déjà!...
Ce jeune garçon a passé des jours entiers à travailler sur son coin de table de cuisine, encouragé par mes chats, paisibles à ses côtés.
Neuf heures par jour, chaque jour, même le dimanche, me sollicitant quoi que je fasse, pour l'aider. EXIGEANT!
Il n'avait qu'un objectif : apprendre, savoir, connaître le français, la culture française, les habitudes françaises, les normes françaises, la vie ici, en somme.
Mais aussi, obtenir le niveau requis pour aller à l'école, le DELF (diplôme d'État de la langue française, niveau A1/A2).
Un bosseur sans relâche, un acharné, malgré la non reconnaissance de sa minorité, malgré les embûches, malgré son histoire, malgré les traumas de son périple depuis le Mali, en passant par la Libye, puis la Méditerranée.
Son Graal, c'était l'école, aller enfin à l'école, apprendre plein de choses, vivre une vie d'ado à l'école, une vraie vie d'adolescent avec le peu d'insouciance qui lui restait.
Le Delf (Diplôme d'étude sen langue française), il l'a obtenu avec les meilleures notes, classé 3ème, en trois mois au lieu de douze. Un bosseur infatigable, un guerrier, une Tête avec un T majuscule, j'insiste.
Mais aussi un "relou" : "tu ne vas quand même pas exiger que tes droits soient respectés, non?", ben si, ses droits c'était le minimum qu'il revendiquait, haut et fort : le droit d'aller à l'école, si son niveau était bon.
Il l'était, largement!
Mais il n'a pas été inscrit sur la liste de celles et ceux qui allaient enfin pouvoir aller à l'école, parce qu'il était "relou".
J'ai été mise au courant de cette injustice par la responsable de la structure qui conduisait ces jeunes au Delf. Elle pleurait de cette injustice, et m'a demandé de prendre le relais pour trouver une école.
Combien en ai-je appelé? Je ne sais plus. On était quatre-cinq jours avant la rentrée scolaire, il n'y avait jamais personne au bout du fil.
Pour finir, la responsable m'a demandé si j'étais capable d'appeler un proviseur sur son numéro de portable personnel.
Quand j'ai appelé ce proviseur, je suis tombée sur sa messagerie, alors j'ai expliqué la situation, mais vaincue par l'injustice, la fatigue, j'ai fini en sanglots, et j’ai raccroché.
Le lendemain, le secrétariat de cette école m'a appelée.
Avec une immense simplicité, ce jeune gars a été reconnu pour ce qu'il était : un ado qui voulait juste aller à l'école et apprendre des choses, voire un métier.
Un jour, il m'a dit qu'il n'avait jamais imaginé qu'il y avait tant de métiers à connaître grâce à l'école.
Il a obtenu son CAP boulangerie, puis la Mention complémentaire. Il n'en a pas fait un plat, c'était normal pour lui : étudier, obtenir un diplôme, travailler.
À la suite de ça, depuis, il travaille tôt le matin comme boulanger, sans compter ses heures, il a obtenu son permis de conduire, un appartement, et son objectif maintenant, est d'accéder à la nationalité française.
En toute simplicité.
Un jour, il m'a dit : je voudrais porter ton nom, et si tu le veux aussi, ce sera quand il n'y aura plus de problèmes de papiers pour moi, quand tout sera clair.
Clair? Il est mon fils de coeur, depuis le premier jour. Il m'a appris qu'on peut avoir plus de courage que celui qu'on croit avoir, plus d'exigences que celles tolérées, plus de simplicité quand on veut aller et qu'on va droit à ses buts.
En toute simplicité, parce que c'est comme ça qu'on devrait vivre au pays des Droits de l'Homme.
Margot Wolf
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