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Billet de blog 8 octobre 2025

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Procès du policier B. : la « cellule déontologie » à la barre

Le 9 septembre dernier, au Palais de Justice de Lyon, le policier Denis B. était jugé par voie de citation directe pour des violences commises sur le mineur Abdelkader en septembre 2020, à Villeurbanne. Exceptionnalité de cette audience : deux témoins étaient citées à comparaître, dont une fonctionnaire de la « cellule déontologie » qui avait contribué à faire classer l’affaire.

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Illustration 1
Illustration de Laffrance

Mardi 9 septembre dernier, plus de 4h d’audience avec deux témoins citées à comparaître se sont déroulées pour revenir sur une affaire vieille de 5 ans, qui peine à trouver justice. Sur la chaise des accusés, Denis B., la trentaine passée au moment des faits, chauve, « athlétique » décrira Le Monde,  et tout de blanc vêtu. Derrière lui, dans un costume noir, Abdelkader, 14 ans au moment des faits il y a 5 ans.
Aujourd’hui, le délibéré est tombé et c’est assez rare pour être souligné : coupable. La justice a reconnu coupable le policier Denis B. pour ces violences sur mineur par personne dépositaire de l’autorité publique. Il est condamné à 8 mois de prison avec sursis, à une peine inéligibilité et à une interdiction de port d’armes.

« Je suis soulagé, soulagé mentalement. C’est pas que je flippais mais j’y croyais pas trop. Tout jouait en mon avantage mais il y a tout le temps une chance que Justice ne soit pas faite » réagit Abdelkader au sortir du délibéré ce mardi 7 octobre. « Je me dis que j’ai bien fait de pas lâcher, que ça a porté ses fruits. »

Pour ses avocats, cette peine n’est pas anodine : « ce n’est pas une petite peine, d’aller au-delà des six mois ce n’est pas neutre. Et ça aura des conséquences sur sa carrière puisqu’avec la mention sur son casier, il ne pourra plus exercer » détaille Me Forray.

Ce délibéré vient aussi marquer plusieurs choses : le rôle du procureur et son action dans cette affaire (la première plainte d’Abdelkader avait été classée sans suite et ce classement avait été confirmé par le parquet général ; et, lors de l’audience du 9 septembre, le parquet n’avait rien requis) ainsi que le rôle de la « cellule déontologie ». « L’évidence qui sautait aux yeux de tous ceux qui prenaient connaissance de l’affaire sauf le parquet, cette évidence est enfin reconnue par le tribunal. C’est la démonstration que le parquet est incapable de gérer des dossiers de violences policières, c’est un parquet qui travaille dans une confiance aveugle et qui se ne pose jamais la question de savoir s’il y a dysfonctionnement d’un fonctionnaire. Lorsqu’on dit que le parquet est à la botte des policiers, c’est un constat en fait. Ça doit nous interroger sur le rôle du procureur de la République et sa capacité à jouer pleinement sa fonction qui est aussi de permettre la poursuite d’un policier qui a fait n’importe quoi ! » expose Me Forray. Avant d’ajouter : « cette condamnation surligne aussi la parodie de la cellule déontologie ».  

Retour sur l’audience du 9 septembre dernier et le témoignage de la policière de la « cellule déontologie ».

Un procès qui pointe les défaillances de la « cellule déontologie », « une vaste fumisterie » qui « sert la soupe de la version policière »  

La singularité de ce procès du 9 septembre dernier ? Une ancienne fonctionnaire de la « cellule déontologie » de Lyon (appelée Pôle Commandement Discipline et Déontologie) cité en tant que témoin à la barre. C’est elle qui a supervisée la procédure pour ces violences policières. « On est mal vus de tout le monde » a-t-elle relevé, pour qualifier son travail. Cette cellule, chargée d’enquêter sur les affaires administratives et judiciaires mettant en cause des policiers, est opaque : les informations sur leur fonctionnement sont rares et difficiles d’accès. Cet après-midi-là, au Palais de Justice, la policière raconte qu’elle avait en charge chaque année « 40 à 45 dossiers judiciaires et une vingtaine de dossiers administratifs » pour un effectif de 5 policiers, « sans formation spécifique », rattachés à l’état-major de la Direction Interdépartementale de la Police Nationale de Rhône-Alpes (DIPN69). Concernant la répartition des affaires entre l’IGPN et la cellule, « deux entités différentes » qualifie-t-elle, la policière note qu’il y avait « une sorte de protocole mais c’est le procureur qui tranchait sur ce qu’on devait traiter. »

C’est ce que pointe Me Olivier Forray, l’un des deux avocats d’Abdelkader, réaffirme : « le problème, c’est qu’il faudrait avoir un parquet réactif et critique envers la parole policière. (…) le traitement judiciaire de ce dossier est ridicule et c’est profondément choquant qu’on soit obligé d’attendre la majorité d’Abdelkader pour voir s’il veut aller jusqu’au bout ; (…) ce sont des questionnements fondamentaux sur la façon dont fonctionne la police et la capacité de critique de la police envers elle-même ». La fonctionnaire de la « cellule » estime, elle, que « ce n’est pas à moi de remettre en question l’indépendance du procureur ou de notre service ».

Alors quelles investigations la cellule a-t-elle menées ? La fonctionnaire affirme qu’au moment des faits, il n’était même pas d’usage de réinterroger les policiers mis en cause ! Autrement dit, l’enquête menée s’est appuyée sur les Procès-Verbaux (PV) établis dans le cadre de la procédure contre Abdelkader, alors poursuivi pour violences avec armes sur les policiers puis pour rébellion, avant d’être relaxé par le juge des enfants. C’est là que le bât blesse : si ce pôle, cette cellule, n’est pas indépendante et qu’elle s’appuie sur une procédure menée à charge contre Abdelkader, comment garantir qu’il n’y a pas de « précondamnation » du plaignant comme l’a souligné Me Agnès Bouquin, avocate du jeune homme ? Au-delà, c’est aussi la question de la confiance dans le système judiciaire qui est fragilisée. Me Bouquin dénoncera d’ailleurs un « soutien vaille que vaille du parquet général qui, malgré la demande du conseil d’Abdelkader de rouvrir le dossier à l’époque, confirme le classement sans suite. »

Très peu d’actes ont été réalisées par la cellule ; concernant la vérification des caméras présentes sur place, alors que Me Bouquin lui signale la présence d’une autre caméra qui n’a pas été vérifiée, la témoin répond : « il n’y a pas eu de contre vérification par la suite, effectivement. »

Et la bonbonne ? « On n’a pas su me dire où se trouvait la bonbonne » lâche la policière. Pourquoi ne pas être retournée sur les lieux ? « On a attendu qu’ils finissent leurs investigations pour ne pas interférer. » Ce n’est que deux mois après les faits que la cellule déontologie placera la poignée sous scellés. Me Forray pointe : « le problème c’est que vous ne remettez pas en doute. Vous récupérez une poignée sans qu’on sache si c’est la fameuse poignée… » Réponse : « je ne vois pas pourquoi on m’aurait remis une autre poignée. » Seule ‘‘une’’ poignée de bonbonne est donc ‘‘retrouvée’’ : « la seule partie qui n’est pas concernée par les violences » notera Me Bouquin dans son réquisitoire.

Autre défaillance : la cellule aurait pu vérifier l’abonnement au transport d’Abdelkader, le trajet du bus C3 et son arrêt forcé à Laurent Bonnevay ce soir-là auprès des Transports en Commun de Lyon (TCL). « J’ai fait ce qu’on m’a demandé. (…) on aurait pu faire des investigations supplémentaires si on nous avait demandé ; sur la poignée, réentendre les policiers … » se justifie à la barre la policière.

            La policière se voit aussi reprocher d’avoir balayé d’un revers de main le certificat médical des Unités Médico-Judicaires (UMJ) qui constataient une compatibilité entre les blessures de l’enfant et ses dénonciations de violences policières.  Dans son rapport, la cellule dira que les blessures du mineur sont compatibles avec une chute, appuyant la version policière. « Le certificat atteste des blessures mais de mon point de vue, ce n’est pas suffisamment probant pour confirmer ou infirmer des violences policières » détaille la témoin. Pourtant, ce faisant, c’est la version des policiers qu’elle soutient. Dans sa plaidoirie, Me Forray qualifiera l’action de la cellule de « vaste fumisterie, un nuage de lacrymogène destiné à aveugler et éviter de voir ce qu’il se passe réellement. » Il estime que son rôle n’a conduit qu’à un « enterrement de première classe des plaintes déposées contre les policiers » et que le rapport « ser[t] la soupe de la version policière à plusieurs reprises. (…) si on fait les vérifications, on va se rendre compte que les policiers sont en train de mentir, de donner une version pour sauver leurs copains. »

La défense : renversement des responsabilités et victimisation de la police

Du côté de la défense, après avoir exposé la sensation d’être victime d’un « acharnement », les déclarations se font à nouveau vagues, à contre-sens – tout comme dans les PV pointeront d’ailleurs les avocats d’Abdelkader.

Dans leurs questions, ces derniers souligneront les défaillances de la procédure lorsqu’il y a violences policières : ils soulèvent le fait que les policiers ont accès à l’ensemble de la procédure (« c’est notre procédure à nous » dira le policier B.), que ce sont leurs collègues qui enregistrent leur déclaration « sans trop de questions » (sur l’explosion de la bonbonne ou même ensuite, lorsque Denis B. est accusé de violences sur mineur) mais aussi qu’ici, le policier B. brise l’interdiction de s’entretenir avec son témoin dans l’enceinte du palais de justice puisqu’ils sont aperçus en train de discuter plusieurs minutes avant d’entrer dans la salle d’audience. 

Sur les blessures de l’enfant, le policier semble estimer, éhontément, qu’elles ne sont pas assez cuisantes pour correspondre à un coup de bonbonne. La Présidente lui fait toutefois remarquer :

« –Il fallait une certaine violence pour entraîner l’explosion. Il n’y a pas forcément de trace significative dans le dos d’Abdelkader, comment l’expliquez-vous ? 
-Je ne sais pas, ça s’est passé comme ça, je n’ai pas d’autre explication. Une bonbonne ça fait plus d’un kilo, si je l’avais heurté au visage (…) il y aurait eu des points de suture et pas juste une dent en moins. (murmures dans la salle)
-On peut convenir qu’elle est bien abimée cette bouche malgré tout.
-Je n’ai pas vu de photo.
-Approchez.
(elle lui montre une image)
-Ca peut sembler impressionnant… »

Toujours est-il qu’Abdelkader garde des séquelles à vie de ce soir-là et qu’il soigne toujours ses traumatismes avec un psychologue, cinq ans après les faits.

Denis B. a annoncé qu’il ferait appel de cette condamnation. « J’ai l’impression que c’est infini… » soupire Abdelkader. Ses avocats sont plutôt confiants : « Le dossier est clair : on a un gamin droit dans ses bottes, qui relate les mêmes faits depuis le départ, et en face, des policiers qui disent tout et n’importe quoi. Il dit qu’il n’a pas relu ce qu’il a déclaré en PV, qu’il était fatigué… D’habitude, quand un prévenu dit ça, ça fait rire le parquet ; aujourd’hui, c’est un policier. »

La rédaction de Flagrant Déni


Article à retrouver sur le site de Flagrant Déni.

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