L'impasse
Citoyen de gauche nourri au biberon de la désillusion, j'essaie de me relancer, de ne pas sombrer dans un désabusement stérile, de faire ma part, quoi, à l'image du colibris. Quand le couvercle menace de sauter sous la pression d'une rhétorique ânnonnante et récurrente, d'une sémantique de cour d'école, j'écris.
Et oui, personne n'est parfait, écrire et lire restent mes seuls vices...sous toute réserve. Deux doigts de Sancerre et un zeste de Boris Vian me permettent aussi de passer certains caps. Et puis la lecture de Médiapart - prendre des nouvelles de Tapie, rêver des millions de Macron, ou plus sérieusement, réfléchir sur l'article publié très opportunément par La Revue du Crieur, "Comment sortir la gauche de l'impasse"-, ce n'est quand même pas rien.
Pour me défouler, j'aurais pu tailler un nouveau costard à Fillon, l'habiller pour l'hiver, mais je ne suis pas de taille à rivaliser avec son couturier, lui-même soumis au sens de la démesure de son client. Client un tantinet mégalo qui n'a pas pris la mesure du costume gaullien qu'il prétend endosser, empêtré qu'il est dans des affaires de famille, des guenilles usées jusqu'à la corde, qui sentent l'examen de passage, voire le redoublement.
J'aurais pu railler la couardise de La Grande Blonde avec un Brassard Noir devant la justice de son pays qui, hypocritement, se camoufle derrière l'immunité parlementaire que lui confère une institution qu'elle vomit par ailleurs, et dont elle dilapide allégrement la monnaie honnie. Elle aussi empêtrée dans des affaires de famille politique et de famille tout court, qui fleurent bon la combine, les patrimoines sous évalués et l'évasion fiscale.
Oui, j'aurais pu démontrer que ces droites parallèles ont tout pour se rencontrer, puisqu'issues des mêmes conservatismes étriqués et abonnées au même manque d'éthique. La différence, qui reposerait sur leur allégeance ou non au capitalisme mondialisé, n'est qu'apparente, de l'ordre de la prosopopée. Dans les folles années trente d'abord, fascistes, nationaux-socialistes, franquistes, salazaristes, puis sous les traits des colonels grecs ou d'un général chilien, l'extrême droite s'est toujours appuyée sur le sabre, le goupillon et le capital. Moins de libertés et plus d'inégalités.
J'aurais pu alerter une opinion déboussolée sur le leurre que constitue La Samaritaine Macron : on y trouve tout, de Madelin à Dany le Rouge, en passant par Minc, quelques cocos égarés et un raton-laveur. MEDEF et Finance en font leur joker, les couvertures de magazines en témoignent. Alors, bien sûr, j'entends déjà mes propres amis clamer que c'est le seul rempart au FN. Peut-être, dans le contexte délétère que nous connaissons. Dans une configuration de second tour où il serait face à La Grande Blonde avec un Brassard Noir, il n'y aurait pas photo, et BCBG (Banquier Coco Belle Gueule) serait le seul choix possible. Ce ne serait pourtant qu'un rempart de court terme : les inégalités s'aggraveraient (voir l'article de Médiapart sur "Macron le Bruxellois"), la Cinquième perdurerait malgré quelques ripolinages de façade, l'urgent virage écologique ne serait pas pris, les lobbies industriels continuant à faire la loi. Au style arrogant d'Agitato et à celui, gnangnan, de Gelato, succéderait le sourire marketing de BCBG. Et dans cinq ans, rebelote avec un FN survitaminé.
Pas très gai comme horizon ? Effectivement, c'est pourquoi j'en viens maintenant à ce qui alimente nombre de conversations citoyennes et pas seulement dans l'arrière-salle du Café du Commerce où certains-nes ont l'habitude de se réunir.
Disons-le simplement : de nombreux électeurs de gauche attendaient un rapprochement entre Hamon et Mélanchon. On ne peut passer par pertes et profits le rejet de la politique suivie pendant le quinquennat Hollande-Valls, rejet concrétisé d'une manière significative par le résultat de la primaire socialiste. On ne peut pas non plus faire comme si l'accord avec les Verts n'existait pas. On devait à ce fameux peuple de gauche dont on nous rebat les oreilles dans des discours au lyrisme enflammé, une vraie tentative de négocier une plate-forme commune de gouvernement.
Il n'en a rien été. Et l'on ne nous fera pas croire que le "Chile sin carne" avalé sur un coin de table de restau parisien, fût-il populaire, ait constitué un travail sérieux de négociation. Le "fameux peuple de gauche" se sent trompé, il est déçu, démotivé, voire en colère. Ce qui a primé, sur le dos de l'intérêt collectif, ce sont les stratégies individuelles, tactiques et politiciennes des deux protagonistes.
Et cette stratégie, elle est très claire, mais insuffisamment reprise par les médias, me semble-t-il : aucun ne vise réellement une victoire présidentielle, mais seulement un score suffisamment honorable pour se positionner le mieux possible dans le cadre de la refondation de la gauche. Mais dans quel état de délabrement sortira-t-elle, cette gauche, de cette stratégie irresponsable et suicidaire ? La réflexion, hélas, ne s'est pas nourrie de l'article du "Crieur" qui évoque ces "impasses stratégiques qui condamnent (ceux qui les prônent) à rester ultra minoritaires".
Ne voyez pas là qu'élucubrations théoriques d'un frustré politique ; non, cette argumentation s'appuie sur des réalités de terrain. Je ne prendrai que deux exemples significatifs, l'un dans ma région, Occitanie, l'autre sur Paris.
Localement, dans la perspective des législatives, la recherche négociée démocratiquement n'est pas à l'ordre du jour entre les partenaires de l'ex-Front de Gauche et La France Insoumise. Donc là, il ne s'agit même pas de s'allier avec les démons du PS. Il y a bien, l'honnêteté intellectuelle m'oblige à le dire, une volonté de JL Mélanchon et de La France Insoumise d'y aller seuls. Leurs militants le confirment : l'objectif n'est pas de gagner, mais d'amener JLM autour de 17% - chiffre donné également par l'économiste Liem Hoang Ngoc sur France Inter ce matin – afin de préparer la recomposition post-électorale.
Un exemple parisien est également intéressant pour comprendre le poker menteur qui se joue : Caroline de Haas se présente contre Myriam El Khomri ; elle est soutenue par les Verts et les partenaires de l'ex-Front de Gauche. La France Insoumise ne s'associe pas et impose une candidature concurrente. Cherchez la cohérence, alors que la candidature El Khomri a été désignée comme blocage à toute entente !
Les arguments ne sont pas sérieux. On ne peut s'appuyer que sur le fait que le PS ne serait pas fréquentable, c'est un peu court, surtout lorsque l'on sait qu'il est en train d'imploser. La dynamique ne sera pas là, aucun des candidats de gauche ne sera présent au second tour pour des raisons bassement tacticiennes. Il y a de quoi rejoindre les rangs de ceux qui, comme Antoine Peillon (auteur d'un livre sur l'évasion fiscale par ailleurs), dénoncent la mascarade qu'est cette élection et appellent à une abstention active.
Le temps est révolu où l'on pouvait entraîner la masse des électeurs sur des slogans. Nous voulons comprendre. Comprendre par exemple pourquoi réclamer sur tous les tons une sixième République, organiser même bientôt une marche, alors que l'on ne se donne pas les moyens politiques de parvenir à cette indispensable transformation démocratique. Telles que les choses s'annoncent, elle a encore de beaux jours devant elle la Cinquième. Que chacun des leaders de gauche pense à sa responsabilité.
La peste, quelle soit brune, bleu marine ou bleu horizon bouché, rôde à nos portes. Certains n'en prennent pas la mesure, et même en jouent. Relisons La Fontaine, "Les animaux malades de la peste" :
"Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés"
Daniel Flamant