Florence Massena (avatar)

Florence Massena

journaliste

Abonné·e de Mediapart

41 Billets

0 Édition

Billet de blog 2 septembre 2013

Florence Massena (avatar)

Florence Massena

journaliste

Abonné·e de Mediapart

Moto, espace de liberté pour des Libanaises (publié le 2 septembre 2013 dans Le Courrier)

Florence Massena (avatar)

Florence Massena

journaliste

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Eprises de vitesse et de grands espaces, elles sont une poignée de femmes à rouler en Harley Davidson ou appartenir à un club de moto féminin. Quitte à le cacher à leur entourage.

Elles ont entre 25 et 50 ans, n’ont ni la même religion ni la même situation familiale, mais une même passion pour le «ride». Traverser les plus beaux endroits du Liban en moto, le vent sifflant autour du casque, leur donne une irrésistible impression de liberté, le sentiment de s’émanciper.

Pour pratiquer cette activité, elles se retrouvent le plus souvent possible, en couple, en solitaire ou en groupe. Afin d’affirmer leur indépendance et leur amour des sensations fortes, ces passionnées se sont réunies en deux clubs: le Women Motorcycle Club of Lebanon et les Lady Harleys, la branche féminine du groupe local de Harley Davidson.

Les Lady Harleys, la Davidson au féminin
«Alors, comme ça tu t’intéresses à nos femmes?», demande Ghassan, jeune conducteur de Harley. Une remarque révélatrice de l’attitude générale à l’égard des femmes dans le pays. En effet, les femmes disposent de moins de droits que les hommes, en particulier au niveau des lois confessionnelles régissant le mariage, le divorce et l’héritage. Elles sont considérées comme des personnes au statut inférieur et souvent reléguées au foyer, sous l’autorité d’un homme.

Signe d’une évolution, les Harley Davidson libanais (HOG, 300 membres) ont créé une branche féminine début 2013, les Lady Harleys, qui compte 27 femmes conduisant leur propre moto. «Nous avions l’habitude de rouler avec les hommes, en conductrices ou accompagnatrices, du fait des capacités physiques, d’endurance et de puissance musculaire, demandées par leurs excursions», explique Talar Bogharian, première femme à avoir dirigé le groupe. «Nous nous sommes regroupées afin d’organiser des balades plus courtes et adaptées à notre résistance.»

Des débuts timides qui promettent des avancées plus poussées en matière de mixité sportive. «Nous cherchons à inciter d’autres Libanaises à nous rejoindre et promouvoir les plus motivées au rang de capitaines de route, afin qu’elles puissent aussi décider des chemins et des mesures de sécurité à prendre lors de nos sorties», ajoute Nan, la première femme capitaine de route à avoir dirigé une sortie, c’était le 18 août dernier.

Un sport réservé aux classes aisées
De son côté, le Woman Motorcycle Club of Lebanon, ouvert à tous les types de motos, a été lancé cette année par Michelle et Suzanne, la quarantaine, travaillant respectivement dans l’immobilier et la traduction, avec la volonté «d’encourager les femmes à faire de la moto, sans être intimidées par la présence d’hommes».
Environ 70 femmes font partie du groupe, mais toutes ne sont pas actives. «Cela dépend de chaque situation personnelle», explique Michelle. «Mais on remarque que les femmes les plus intéressées sont jeunes, car elles ne dépendent pas encore de leur mari. Les autres sont mariées à des motards, il y a donc moins de pression sur elles», ajoute-t-elle.

Le budget moyen à l’achat d’une moto est de 10 000 dollars, auxquels s’ajoutent 20 000 dollars annuels d’accessoires (équipement, éléments de customisation). C’est un loisir coûteux, réservé à des femmes disposant de revenus élevés.

Malgré cette aisance financière, les motardes ont souvent connu des difficultés à vivre leur passion, à l’image de Rana, qui a roulé pendant deux ans sans que ses parents le sachent. Raya, «maman rider» dirigeant son atelier de couture, n’a avoué à son père qu’elle conduisait une moto qu’au moment où elle est tombée
enceinte.

Une activité qui peut également poser problème dans un couple, comme l’explique Michelle, actuellement célibataire et mère de deux enfants: «Mon père m’interdisait de conduire, et après mon mariage mon mari a voulu de faire de même, me priver de liberté, donc j’ai divorcé.»

Se battre contre les clichés
 Les motardes libanaises ne se revendiquent pas féministes, même s’«il faut avoir de l’indépendance d’esprit et estimer qu’une femme peut faire autant qu’un homme», selon Michelle. L’épanouissement individuel compte plus que les revendications sociales. «Ces femmes ont une conscience personnelle des discriminations, mais en tant que groupe nous ne souhaitons pas nous engager politiquement», justifie Diana Jarmakani, représentante du HOG.
Selon Joëlle Moufarrege, militante du collectif féministe libanais Nasawiya, «c’est très courageux de leur part d’affirmer leur passion face aux barrières sociales et aux stéréotypes du pays». Elle n’est pas pour autant admirative. «Être une motarde devrait être considéré comme normal.»

Pourtant, leur engagement à avaler les routes et les paysages libanais permet de changer les mentalités. «Bien sûr il y a des hommes qui nous insultent ou nous lancent des ordures quand ils voient une femme en moto», raconte Kareen Nahas, artiste urbaine célibataire qui se décrit comme «mariée à sa Harley». «Mais les gens s’habituent et nous ne retenons plus que le positif, comme les sourires des enfants impressionnés», s’amuse-t-elle. Un bilan que retient aussi Suzanne: «Au final, nous sommes très encouragées.»

Florence Massena

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.