Une personne que j'interviewais il y a quelques mois m'a dit que « les Syriens ne sont pas seulement des statistiques, c'est une nation vivante ». Il semblerait que le monde ait oublié ce fait. A coups de chiffres de l'agence pour les réfugiés des Nations Unies, de mots tels que « réfugiés », « migrants », « clandestins », on en dénature même leur origine humaine.
2014 a été l'année la plus meurtrière du conflit syrien, avec plus de 76 000 morts, selon l'Observatoire syrien des Droits de l'Homme. 2014 a aussi été l'année pendant laquelle la Turquie s'est associée à l'Union Européenne afin de traquer les personnes passant sur son territoire afin de rejoindre des pays où, espèrent-elles, un avenir est possible. Cela a même un nom, l'opération « Mos Maiorum ».
Donc, en gros, personne n'essaie de régler quoique ce soit sur le terrain syrien, les opinions étant vaincues par la prophétie auto-réalisatrice de Bachar Al-Assad, seul « rempart » face au barbarisme des extrémistes. Porteurs de fantasmes, ceux-là sont cherchés partout en Occident, chaque Syrien étant considéré comme un potentiel terroriste souhaitant se faire sauter devant la Tour Eiffel ou la Maison Blanche. D'autres gouvernements moins suspicieux ouvrent leurs portes, mais à certaines conditions : il vaut mieux être médecin ou ingénieur et souhaiter vivre à la campagne pour vivre en indépendance en Suède et en Allemagne !
Pendant ce temps, les personnes les plus à risques, qui ont le plus souffert et le plus perdu, se trouvent dans des taudis dans les campagnes libanaises, jordaniennes et turques. Dans la Bekaa et autour de Tripoli, j'ai rencontré des enfants qui m'ont parlé de leur logement,- des planches, du carton et des couvertures -, inondé régulièrement par les pluies hivernales libanaises. Pendant ce temps, les aides alimentaires mondiales baissent. Parait-il que les donateurs se lassent. Bah oui, quatre ans de conflit et rien de nouveau sous le soleil, ça casse le rythme voyez-vous. Or, la situation ne s'améliore décidément pas.
Dernière nouveauté : un décret de la Sûreté Générale rendant obligatoire le visa aux Syriens arrivant sur le territoire libanais, au prix d'impossibles conditions. C'était le dernier jour de l'année 2014. Autour de moi, chez moi même, des amis se demandent ce qu'ils vont devenir, ils s'appellent, se donnent des idées pour sortir de ce bourbier. Le Liban, le dernier bastion d'accueil de cette « nation vivante » disséminée et déshumanisée, les laisse tomber. Mais les Libanais ne devraient pas blâmer leur gouvernement plus que de raison. Cette année, l'année passée, le monde entier a tourné le dos aux Syriens. Qu'ils crèvent, donc. Merci, Humanité.