Ressortant des plans urbains datant des années 50 en 2005, la municipalité de Beyrouth et le Conseil du développement et de la reconstruction ont mis huit ans à achever les nouveaux plans de ce qui devrait constituer l’axe Fouad-Boutros, et continue à y amener des modifications jusqu’à présent.
L’axe Fouad-Boutros, ce sera une autoroute reliant la rue Mar Mitr par le pont de Hekmeh, qui passe au-dessus de l’avenue Charles Malek, à Mar Mikhael, par un tunnel de 230 m de long débouchant derrière la rue Saleh-Labaki puis prolongé par un autre pont enjambant la rue d’Arménie pour arriver sur Charles Hélou. Le but déclaré ? Désengorger les quartiers d’Achrafieh et de Rmeil, particulièrement encombré de voitures aux heures de pointe, en offrant un axe de circulation alternatif, et relier l’autoroute de Hazmieh à celle longeant la côté Libanaise. Le coût ? De 70 à 75 millions de dollars selon la municipalité (195 selon la societe civile, en plus de l’équivalent d'environ 100 millions de US$, déjà payés dans les années 70 - 80), comprenant la construction des structures ainsi que les expropriations partielles et totales d’une trentaine de bâtiments restants, les autres, soit dix-huit ayant déjà été expropriés en 1973 et 1974. Au total, inclus les parcelles de terrains vides, cela constitue 26950 m2 dont 14 450 m² non encore expropriés, surtout entre la rue d’Arménie et l’avenue Charles Hélou, pour 300 m de tunnel et 1200 m d’infrastructure autoroutière.
L’étude d’impact socio-environnemental sera menée cette année, alors qu’elle aurait dû normalement être réalisée avant la validation du projet en Mai 2012. En constatant l’absence de cette étude, la société civile a contacté le ministère de l’Environnement, qui s’est rangé à ses côtés pour l’exiger. C’est la société Al Arb qui en est chargée en Novembre 2013 seulement, liée au CDR par un contrat, ce qui met en question son objectivité sur le sujet. Elle devrait être achevée avant la fin 2014, et permettre de constater les conséquences de la construction d’une telle route dans Beyrouth. Cette étude démarre mal car elle se base sur un projet différent que celui décidé par décret présidentiel 8228 du 30 mai 2012, sans compter que c’en est qu’au stade de préparation du rapport d’étendue de l’étude d’impact (le ‘scoping report’), et que les experts contactés pour décider de la démarche à suivre (la Méthodologie) ont refusé de discuter du contenu de ce rapport car il n’y a eu aucune étude préalable urbaine, légale et financière, et de faisabilité. L’étude de l’impact de la circulation a quant à elle été commencée en janvier dernier par TMS Consultant ; le projet actuel se basant auparavant sur une étude de 2002, qui ne prenait donc pas en compte l’augmentation du trafic en douze ans. Mais encore un problème : il n’existe aucune étude de trafic sur la totalité de la ville (Master Traffic Model), ce qui rend celle-ci impossible ! Face à la contestation générale, le juge chargé des expropriations a demandé toutes les pièces du dossier de la part du CDR, qui ne lui avait été transmis que partiellement et le CDR a reçu dans le même temps l’accord de la Municipalité pour la mise à disposition de cinq millions de dollars afin de procéder commencer les expropriations, et la coalition civile d’opposition au projet, composée de différentes ONG et associations, a déjà présenté une plainte auprès des autorités judiciaires pénales compétentes contre le CDR et la municipalite de Beyrouth ainsi que d'autres, pour faute grave, fraude, falsification et 'gaspillage' de fonds publics.
En décembre dernier, Ibrahim Charhour, directeur de la programmation du CDR, était convaincu du bien-fondé de ce projet : “Il est encore plus valable, car peu d’expropriations sont prévues alors que le volume du trafic a augmenté sur cet axe. Il s’agira d’une petite route urbaine alliant pont et tunnel, sans habitants sur le chemin du fait des expropriations en amont, même si des habitants sont restés illégalement. Le projet a été beaucoup critiqué, mais nous comptons les contacter lors de consultations publiques afin d’exposer nos rapports d’études”. Cette réunion publique a bien eu lieu le 22 avril, mais seulement sept personnes, dont l’avocat des habitants en voie d’expropriation, y ont assisté, établissant que légalement le projet ne peut être exposé au public comme il est différent de celui établi en 2012 et n’a pas été confirmé par un décret présidentiel. Le CDR a en effet informé le comité chargé des expropriations fin avril de modifications du projet en cours, en particulier sur la zone de Charles Malek, changements et même démarche sans aucune valeur légale et dont les détails n’ont pas été encore communiqués.
Des plans soumis aux attaques des opposants

Confrontée à de nombreuses critiques pour ce projet, la municipalité a présenté récemment des plans montrant exclusivement le boulevard ‘Salameh’, soit 250 m sur les 1,5 km de l’axe total. Pour Raja Noujaim, coordinateur de la coalition, ces plans sont irréalistes, par exemple : “On nous montre une foret d’arbres devant l’Archevêché, mais sur une dalle de 50 cm en béton, alors qu’ils ont besoin de beaucoup de terre pour se développer”. Autre critique : “Une zone verte de promenade est proposée, mais longue de 100 m seulement et qui n’aboutit a rien avec pour le reste des 250 mètres, sans possibilité de traverser la route, car de vrais espaces piétons n’ont pas été prévus. Les images montrées sont également disproportionnées”, ajoute-t-il. “On peut penser qu’il y a suffisamment d’espace pour un trottoir, un passage cycliste, des buissons et deux voies routières, alors qu’il ne s’agit que de 6,4 m de largeur de route asphaltée, avec quelques mètres de trottoirs de part et d’autre ! De plus, le pseudo - boulevard présenté est coupé de 5 routes sur les 250 m, et pas moins de dix directions différentes au giratoire en comptant les immeubles et leurs parkings, avec en cerise de gâteau des feux de signalisation a l’intersection avec Salah Labaki. Imaginer que cela réglera les problèmes de circulation est impossible, car le manque d’espace et organisation de l’espace mènera à des encombrements routiers certains sur toute la zone…” Sans compter le manque de parkings : “750 places de parkings vont être détruites, et même si la municipalité a ajouté à la dernière minute la construction de deux ou trois parkings sous les ponts au niveau de Charles Malek et de la rue d’Arménie, aucune indication d’entrée ou de sortie n’est mentionnée, et cela ne compense pas les 400 places perdues situées le long de la région de l’Archevêché maronite et de la rue ex. Nicolas Turk. Résultat, les gens se gareront le long des routes et sur les trottoirs, encombrant davantage la circulation et empêchant le déplacement des piétons”.


Concernant les expropriations, la situation n’est pas aussi simple que décrite par Ibrahim Charhour. En effet, des maisons et des parcelles devraient être coupées, mais non compensées financièrement, car pas expropriées. Pour l’instant, la municipalité n’est propriétaire que de neuf parcelles construites (dont 8 habitées) sur 35 concernées par le projet : les propriétaires en grande partie n’ont pas été encore totalement payés, l’expropriation est en litige ou seulement partielle pour les autres. De plus, les habitants restants de la région de l’Archevêché se retrouveront collés au pont, “sans respect du recul obligatoire des 6 m selon la loi libanaise”, avec dans certains cas des cuisines ou des salons amputés pour faire passer la route. “Les jardins, le grand verger à terrasses et d’autres surfaces, d’un total de 10000 m², les 25 belles maisons, anciennes et traditionnelles… tout va être sacrifié”, s’indigne Raja Noujaim. Les habitants des quartiers concernés n’ont été prévenus que récemment par les associations, et se sont dès lors engagés dans une mobilisation fortement médiatisée, notamment lors de manifestations sur les futurs lieux des travaux les 1er et 2 mars derniers.
“Deux façades de l’immeuble familial (datant de 1945) vont être détruites”, se désole ainsi Amal Awad, 57 ans, résidente du quartier Hekmeh. “S’il n’y a plus de mur de support devant et derrière, il va être détruit ! J’ai été prévenue par les associations fin janvier, et j’ai tenté de contacter le CDR pendant un mois, sans aucune réponse”. Elle est aujourd’hui représentée, ainsi que d’autres familles, par l’avocat Charbel Rizk, et attend des nouvelles quant à sa possible évacuation, “mais personne n’est au courant”, s’indigne-t-elle. La femme montre du doigt plusieurs immeubles qui se retrouveront collés au pont : “La route va passer à côté des chambres à coucher des gens, c’est dangereux !” C’est le cas de l’immeuble de Randa Abi Fares, avocate, qui a été bâti en 1965. “Le pont va passer à quelques centimètres de l’immeuble, et sera presqu’attaché en son coin d’angle. pile au nouveau de ma chambre à coucher”, dit-elle. “C’est un bâtiment ancien, pas très solide avec des fondations peu profondes. Quand les camions vont passer, cela va devenir dangereux, sans compter le bruit et la pollution ! De plus, ils vont élargir la route devant chez nous, détruisant ainsi le trottoir et comblant les vides d’aération au-dessus des fenêtres des résidents du sous-sol. Dans quoi vont vivre ces familles ? Une prison ?” Elle a appris l’existence de ce projet quatre mois plus tôt, au hasard d’une conversation avec ses voisins.


Des projets alternatifs à proposer
Face à cette situation, la coalition ‘Stop the highway – Build the Fouad Boutros Park’ s’est mobilisée afin de mettre en relation les familles concernées par le projet afin que leurs intérêts soient défendus en justice. Elle a aussi mobilisé les médias et diffusé massivement des informations afin de conscientiser les Beyrouthins sur les conséquences du projet d’autoroute et ainsi ralentir le développement de celui-ci. Une manière de gagner du temps pour peaufiner des solutions alternatives à la municipalité et au CDR.
Première proposition : le nouveau parc Fouad-Boutros, qui pourrait être aménagé sur les terrains déjà expropriés dans les années 70. Il descendrait comme un escalier des hauteurs d’Achrafieh, au niveau de Mar Mitr, jusqu’aux quartiers de Mar Mikhael, incluant dans son sillage une vingtaine de bâtiments historiques et des milliers de m² de jardins déjà existants. Selon la coalition, ce parc “comporterait des jardins aménagés, des arbres anciens et de bâtiments pouvant abriter des aménagements de loisirs, de commerce et de culture. Ainsi que les habitants qui souhaitent rester dans leur maison”.
Mais pour répondre à l’argument de la congestion routière à Achrafieh, l’équipe associative a planché avec des architectes, des urbanistes et des ingénieurs pour arriver à présenter une solution de circulation alternative. “Nous avons eu l’idée d’un couloir routier de style métro qui relierait le Ring à l’avenue Emile Lahoud en passant sous l’avenue Charles Malek”, explique Raja Noujaim. “Ainsi, les automobilistes pourront choisir soit de se rendre dans Achrafieh, soit de se rendre directement à l’autre bout de la ville”. Actuellement, les détails de cette proposition sont à l’étude, mais l’idée générale s’avère possible et moins coûteuse, selon l’avis de consultants et d’experts avec lesquels la coalition travaille depuis plusieurs mois. Mais déjà, ces citoyens motivés ont réussi une première victoire : ralentir tout le projet de base et pousser le CDR et la municipalité de le remettre en question, amenant ainsi une preuve de son étude erronée et de sa conception inadaptée. “de toute façon, le projet de l'autoroute Fouad Boutros est beaucoup trop coûteux (150 millions de US$ / kilomètre) et ne pourra aboutir d'aucune façon. Ce coût est scandaleux, une première en milieu urbain, même au niveau international”, affirme-t-il.
Florence Massena