Résidant au Liban, je suis toujours avec attention l'actualité de mon pays, la France. C'est là que j'ai été élevée, éduquée, c'est là où je souhaite élever une famille. Et pourtant, chaque jour la nausée m'envahit en lisant ces nouvelles.
Au-delà de la Méditerranée, la vie n'est pas forcément rose tous les jours. Plus d'un million de Syriens s'est réfugié sur cette terre étroite, soit plus de 25 % de la population libanaise, fuyant la guerre, la misère et les missiles. A seulement deux heures de Beyrouth, les combats font rage entre un régime sanguinaire et des opposants tout aussi variés qu'opposés, sans que l'on ne s'en rende compte. Ici, la ville ne dort jamais, les fêtes abondent, l'alcool coule, il est facile d'oublier. Et pourtant... Pourtant des gens pauvres des régions frontalières se saignent pour aider ces familles dans le besoin tandis que d'autres préfèrent penser à l'occupation syrienne pour blâmer les réfugiés. Pourtant des centaines d'ONG, avec très peu de moyens, font de leur possible pour aider tandis que des miliciens « nettoient » leur quartier, et que des gens se battent, posent des bombes et tirent des roquettes, pour un conflit qui n'est pas le leur.
La situation est grave, le racisme ambiant, l'économie en chute libre. C'est parfois avec l'espoir de lire de bonnes nouvelles que je me tourne vers l'actualité française. Mais pendant ce temps-là en France, on cherche à jouer aux gros bras, on fait des promesses que l'on ne tient pas et on expulse à tour de bras. On se laisse aller à un racisme des plus pernicieux, que l'on dirige en bloc contre ceux qui ne vivent pas comme « nous ». Mais qui est « nous », au final ? Élevée dans la région parisienne avec l'idée que mon pays est un assemblage d'origines et de traditions, que la différence est notre force, je ne me reconnais plus dans les messages que porte aujourd'hui cette patrie dont j'avais toujours été fière. Bien sûr, notre passé colonial n'est pas glorieux, et continue d'empoisonner nos relations internationales. Mais j'étais fière de cette diversité, de notre territoire aux paysages, recettes et accents tous plus étranges et beaux, malgré ce passé, malgré nos erreurs. Je pensais que l'on ne retomberait plus dans les mêmes pièges et discours. Il faut croire que ce n'était qu'un mirage : on n'apprend pas du passé. Le pays dans lequel je vis désormais en est l'exemple parfait : victime d'un conflit civil qui a ensanglanté ses douces montagnes, le Liban n'avance pas, bloqué dans ces oppositions communautaires qui empêchent sa population de développer une identité nationale, toujours à la main des miliciens du passé, toujours dépendant des décisions que l'on prend au-delà de ses frontières. Quand je vois la situation libanaise, je frémis pour la France. A force d'agiter des valeurs historiques que l'on n'applique plus, on oublie que la chute est possible. Non, lire les nouvelles françaises ne me réconforte pas.
Jamais je n'ai entendu autant de réflexions de haine qu'ici, les nombreux « le problème au Liban c'est... » - le problème variant selon la confession de mes interlocuteurs – que je ne peux plus écouter. Mais qui suis-je pour juger ? Ce pays n'est pas le mien. Cependant, je ne peux m'empêcher de ressentir de la peine quand j'entends ces mêmes intonations de haine dans les discours des gens dans la rue lors de mes passages en France, quand je lis ces lignes simplistes et ces amalgames que diffusent médias et politiques. Je peux maintenant constater que le rejet de l'autre ne mène à rien, surtout en cette période de crise, économique et de civilisation, que nous traversons depuis une décennie. Que dire, quand dans mon quartier acrafiyote on me lance avec un grand sourire : « la France est un grand pays ! » ? Que penser de cette ombre omniprésente de mon pays au-delà de la Méditerranée ? Comment leur dire que mon pays ne viendra sauver personne ici?
Terre d'intérêts divers et variés, pays de divisions et de jeux internationaux, le Liban n'est pas encore capable de prendre son indépendance. Aujourd'hui, il est pris d'assaut économiquement et socialement par une présence étrangère à laquelle il n'a pas les moyens d'assurer une vie décente, et détruit politiquement par des notables qui investissent plus dans leur entreprise familiale que dans le développement du pays. Sa seule force réside dans cette jeunesse pleine d'idées et de compétences qui croit en elle et en sa capacité à créer un monde meilleur... Si celle-ci ne part pas au plus vite réaliser ses rêves ailleurs, où on lui donnera les moyens de le faire.
Loin de ces drames, en France, on discrimine encore plus, on chasse de jeunes étudiants de leur classe, on oublie les précaires. Pendant ce temps-là, en France, on annonce le don de 500 visas aux réfugiés syriens. Je ne sais pas si je dois en rire ou en pleurer.
Au-delà de la Méditerranée, je vais écouter Marcel Khalifé et fumer une cigarette.
PS : deux sites internet qui pourront vous donner une idée de ce qui peut se passer au Liban, en économie et en culture :