Sur le territoire libanais, le nombre sans cesse croissant de réfugiés syriens se confronte à la baisse régulière des aides accordées aux organisations humanitaires pour les soutenir, avec des conséquences inquiétantes (publié sur Middle East Eye le 19/10/15)
Alors que les réfugiés affluent au Liban depuis le début de la guerre syrienne, l'Agence des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) estime que 1 078 000 réfugiés sont actuellement présents sur le territoire libanais.
Le 15 décembre 2014, des agences onusiennes et le gouvernement libanais avaient demandé 2,1 milliards de dollars pour faire face à la crise. À la fin du mois d'août 2015, seulement 35 % de cette somme avait été débloquée. Tous les secteurs de l'aide aux réfugiés sont affectés par cette situation, risquant de déstabiliser encore plus le fragile équilibre du Liban, ainsi que la vie, déjà précaire, des réfugiés.
Lassitude des donateurs et augmentation des besoins
Pour l’UNHCR, la baisse des aides fournies pour soutenir les réfugiés syriens au Liban vient de la lassitude et du changement d'intérêt des donateurs, ainsi que de la hausse des besoins dans la région. « Des crises se développent partout au Moyen-Orient, donc après cinq ans, le financement disponible n'est plus suffisant pour répondre aux besoins des réfugiés au Liban, dont la vulnérabilité ne cesse d'augmenter après des années d'exil », explique à Middle East Eye Lisa Abou Khaled, communicante de l'organisation.
« Malgré le soutien généreux des donateurs, la continuation des programmes d'aide est désormais en question, et même les réfugiés identifiés comme étant les plus vulnérables risquent d'être exclus du système d'assistance. »
Un constat exprimé également par le Programme alimentaire mondial des Nations unies (PAM), qui a vu ses coupons alimentaires par personne baisser de 27 à 13,5 dollars en un an, soit 50 % de ce qu’il estime être nécessaire pour la survie d'une personne. « Dès septembre, nous avons dû changer notre manière d'aider les bénéficiaires, en ne donnant que cinq rations par famille, même si elles comptent plus ou moins de membres », indique à MEE Edward Johnson, en charge des relations externes du PAM.
« Jusqu'à la fin de l'année, le nombre de bénéficiaires va rester stable, mais nous prévoyons de cibler les personnes les plus vulnérables afin de pouvoir maintenir une aide minimale, en excluant malheureusement les autres. »
Cette technique, appelée « ciblage », va être également appliquée par l’UNHCR cet hiver. Résultat : seulement 70 000 foyers seront soutenus pour rester au chaud et au sec. Même constat pour leur aide monétaire mensuelle, qui va exclure « près de 6 000 foyers très vulnérables », ainsi que pour les soins de santé secondaires, avec une baisse estimée de 5 000 interventions.
Des activités de soutien en danger
Les ONG internationales travaillant sur le terrain voient aussi leurs activités affectées directement, comme l'ONG italienne Terre des Hommes Italie, présente depuis 2006 au Liban et qui s'occupe de programmes d'éducation et de santé pour la mère et l'enfant. « Nous aidons aussi bien les réfugiés syriens et palestiniens que les Libanais vulnérables », souligne Natalia Fais, une coordinatrice de l'ONG.
« En 2014, 9 millions de dollars nous ont permis de soutenir directement 90 000 personnes, et indirectement 450 000 personnes, y compris la communauté hôte. Cette année, nous avons prévu de recevoir un maximum de 5,5 millions de dollars, qui iront à 63 000 personnes, toutes communautés à risque confondues. »
Conséquence directe de cette baisse, les opérations de Terre des Hommes ont été arrêtées dans la zone de Tripoli, au nord, et le soutien aux secteurs de l'éducation et de l'assistance de base a été réduit dans les autres zones.
« Depuis janvier 2015, l’UNHCR, sur instruction du gouvernement libanais [qui souhaiterait ainsi contrôler le flux de réfugiés et éviter qu'ils ne s'installent au Liban, ndrl] a arrêté les enregistrements des réfugiés, ce qui nous a poussés à nous adapter à une nouvelle donne », ajoute Natalia Fais. « Certaines activités, comme l'éducation, ont été prises en charge par le gouvernement libanais, par le biais du ministère de l’Éducation. Nous avons donc commencé à aider les enfants à accéder à l'école, par exemple en leur fournissant les transports gratuits. Mais nous avons dû aussi arrêter la distribution de biens non-alimentaires, les projets de soutien aux communautés, ainsi que certaines activités dans les camps de réfugiés palestiniens. »
Du côté d'Oxfam, la situation n'est guère meilleure. « Nous avons tenté, comme d'autres, de nous concentrer sur la question du service public libanais au vu de l'accroissement de 30 % de la population vivant dans le pays », détaille Fran Beytrison, représentante de l’ONG britannique au Liban. « Mais avec un montant en aides limité, et des besoins si importants, que ce soit du côté des réfugiés que de la communauté hôte, il est très difficile d'aider les plus affectés tout en évitant les tensions avec d'autres personnes vulnérables. »
Pour Ali Shaikh, co-fondateur de l'association syrienne Syrian Eyes, la crise syrienne « n'est plus considérée comme une urgence par la communauté internationale ». Il remet également en cause la décision du gouvernement libanais de se charger du secteur humanitaire. « Ce gouvernement est instable et je ne pense pas qu'il soit en mesure de gérer de telles crises. »