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Billet de blog 4 janv. 2023

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Lula, ou la victoire d’un peuple

A Brasília, le 1er janvier 2023 ressemble à une aube multicolore après une longue nuit de tempête. 300 000 personnes sont venues vivre l’investiture de Lula. Pour comprendre l'importance de ce moment, il faut revenir 7 ans en arrière. Depuis 2015 la haine et la violence sont entrées dans le quotidien de tant de personnes, à tel point que chacun.e a fini par y perdre une part de son humanité.

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Lula monte la rampe du palais présidentiel entouré de représentants du peuple brésilien © Midia NINJA / Ana Pessoa

Lire l'article en italien sur le blog du journal Il Fatto Quotidiano

Au Brésil, 2023 ressemble à cette aube multicolore, douce et parfumée après une longue nuit de tempête. Ce 1er janvier 2023, le soleil brille sur l’esplanade des ministères de Brasília. 300 000 personnes se sont déplacées du Brésil entier et d’ailleurs pour vivre l’investiture de Luis Inacio Lula da Silva, après son élection à la présidence de la République le 30 octobre dernier.

Crachant su le protocole républicain, Bolsonaro est le premier à ne pas remettre à son successeur l’écharpe présidentielle. Exilé aux États-Unis, il a préféré fuir le pays et surtout les lourdes poursuites judiciaires qui l’attendent.

Qu’à cela ne tienne ! Le peuple brésilien s’est très bien chargé d’investir le nouveau président. Et c’est sous le regard protecteur d’une incroyable diversité de personnes, jeunes, âgées, de toutes les couleurs de peau, tous les styles et classes sociales, les yeux emplis de larmes de joie, les poings serrés et le cœur battant, que Lula a revêtu l’écharpe présidentielle. C’est Aline Souza qui lui a remise, une jeune femme noire éboueuse depuis 3 générations, mère de 7 enfants. A ses côtés le vieux cacique Raoni de la tribu des Kayapo et d’autres personnes inconnues du grand public, qui représentent les travailleurs et travailleuses du pays.

Lula, investi par le peuple brésilien. Une image si simple et si forte à la fois qui marque la priorité du gouvernement Lula 3 d’œuvrer pour l’égalité, la justice sociale et la fraternité. La volonté de remercier chaque militant et militante pour l’avènement de cette victoire. La célébrer profondément sous le signe de la joie et de l’espoir pour chasser du souvenir collectif l’épisode Bolsonaro. Au cours de ces quatre années, la haine et la violence sont entrées dans le quotidien de tant de personnes, à tel point que chacun et chacune a fini par y perdre une part de son humanité.

Il fallait le vivre pour de vrai, serré contre des centaines de milliers d’autres personnes. Des larmes de soulagement pour expurger définitivement cette incompréhensible peur que malgré l’énorme dispositif de sécurité en place et la bienveillance ambiante, l’impensable puisse encore se produire.

Car des faits impensables, il y en a eu beaucoup depuis le début du processus de destitution de Dilma Rousseff en 2015 qui marque une lente et longue descente aux enfers pour l’État de droit brésilien et pour toutes celles et ceux qui ont cherché à la combattre.

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Desculpa qualquer coisa 2015. Photo de l'oeuvre de Joao Carlos Horta. Le leme national "Ordre et progrès" est remplacé par l'expression populaire "désolé si on vous a dérangés" avec une référence à la date 2015 © Florence Poznanski

Cela commence par l’acharnement contre la présidente Dilma Rousseff, réélue en 2014 et destituée en 2016. Elle est accusée de mauvaise gestion budgétaire, pratique que des dizaines de présidents en exercice auront déjà effectuée avant elle. Au soir du 17 avril 2016, lors de la séance plénière du congrès diffusée en direct sur toutes les chaînes de télévision, elle fera l’objet d’un déversement d’humiliations. A l’époque déjà, un certain Jair Bolsonaro, député, dédiera son vote en faveur de la destitution, au colonel Ustra, tortionnaire de Dilma Rousseff sous la dictature militaire.

S’en suit la trahison de son vice-président Michel Temer qui, à peine investi, changera radicalement le cap du programme gouvernemental. Au mépris du vote de ses électeurs, il s’appliquera à détruire le droit du travail, engrangera la privatisation des principales entreprises publiques du pays et réduira drastiquement les dépenses publiques.

Puis vint 2018 et ses élections présidentielles d’octobre. Dans un contexte d’accroissement des violences contre la jeunesse noire des périphéries, la conseillère municipale Marielle Franco est assassinée le 14 mars. Quelques jours après, le 7 avril, Lula est emprisonné après avoir été condamné sans preuves lors d’un procès aux multiples exactions que la Justice brésilienne finira par reconnaître, mais bien trop tard.

Cette année là, des millions de brésiliens et brésiliennes se sont mobilisés pour faire entendre leur rage de voir les principes démocratiques de leur pays ainsi bafoués. D’un côté Lula, empêché de concourir aux élections, de l’autre Bolsonaro, dont la popularité monte en flèche grâce à une campagne illégale et inédite de désinformation. Devant la possibilité de voir revenir les militaires et l’extrême droite 50 ans à peine après le coup d’État de 1964, c’est le mot d’ordre « Ele não » (« pas lui ») que brandiront les brésiliens et surtout les brésiliennes pour tenter en vain d’empêcher sa victoire.

Pendant les 4 ans qui ont suivi, les mouvements sociaux et tous les défenseurs des droits humains et de la démocratie ont tenu la promesse qu’ils se sont faite au soir du funeste deuxième tour d’octobre 2018 : « Ninguém solta a mão de ninguém » (personne ne lâche la main de personne). Déjà affaiblis par 3 années de combats quotidiens, de persécutions politiques, il leur faudra encore affronter la mort de 700 000 compatriotes causée par la politique sanitaire génocidaire de Bolsonaro durant la pandémie de Covid-19, l’assassinat de plus d’une centaine de défenseurs des droits humains, mais aussi le renforcement des milices paramilitaires dans les quartiers, le pouvoir grandissant de la police et de l’armée au sein du secteur public, la disparition de programmes gouvernementaux entiers dédiés aux femmes, aux jeunes, à la culture ou aux peuples autochtones, la montée en flèche des incendies criminels en Amazonie et les propos quotidiens injurieux, machistes et racistes du chef de l’État.

La victoire de Lula en octobre dernier est le fruit de cette promesse de peuple à peuple. Ne rien lâcher, même après avoir essuyé tant de défaites et d’humiliations. Continuer à se battre pour le juste, même lorsqu’on pense avoir touché le fond face à l’intimidation grandissante des puissants détracteurs, devant les conditions de vie de plus en plus difficiles. La victoire de Lula est le triomphe de toutes celles et ceux qui luttent.

Personne n’ignore pour autant les difficultés à venir : la cohabitation avec un congrès divisé qui ne fera aucune concession, les intimidations des bolsonaristes qui vont se poursuivre, les compromis déjà bien trop généreux pour former un gouvernement d’union qui n’ira pas assez loin sur les réformes structurelles ou encore l’instabilité latente du ticket présidentiel avec l’ancien conservateur Geraldo Alkmin qui rappelle des souvenirs bien trop récents.

Mais, à Brasília ce 1er janvier 2023, on laisse cela pour plus tard et on savoure la fête. On célèbre la présence de chaque personne. On se regarde en riant et on rend hommage en silence à tout ce que ces années on signifié pour chacun et chacune. On prend le temps de s’imprégner de ce moment historique, pour qu’il s’enracine au fond de la terre. On ouvre grand les bras, on chante et on saute pour qu’il se répande à l’infini, du nord au sud, sur toute la surface du Brésil.

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