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Billet de blog 20 février 2025

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L'extrême droite et l'article 11 de la Constitution

Récemment, le haut fonctionnaire Pierre-Yves Bocquet défendait dans les colonnes de Mediapart la constitutionnalisation de l’interdiction de recourir à l’article 11 de la Constitution pour réviser ce texte suprême. Ni sur le plan des principes, ni du point de vue de la situation actuelle, il ne paraît pertinent de permettre à des organes spécifiques d’opposer un véto à une réforme constitutionnelle.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Récemment, le haut fonctionnaire Pierre-Yves Bocquet défendait dans les colonnes de Mediapart la constitutionnalisation de l’interdiction de recourir à l’article 11 de la Constitution pour réviser ce texte suprême. La question ainsi soulevée est lancinante et la réponse proposée est classique.

Il est cependant essentiel de voir combien cette réponse pose un problème démocratique fondamental : est-il compatible avec la Démocratie que le seul moyen de réviser la Constitution implique de faire approuver cette révision par des pouvoirs particuliers – qu’ils soient exécutifs, parlementaires ou juridictionnels –, alors qu’ils ont tous à perdre d’une révision du texte constitutionnel allant dans le sens de davantage de participation populaire au pouvoir politique, autrement dit de davantage de Démocratie ?

Ce problème se double d’un second : à l’heure où des décisions fondamentales prises par référendum (le rejet du Traité portant Constitution pour l’Europe) ont été piétinées par le Parlement (qui a autorisé la ratification du Traité de Lisbonne), à l’heure où des réformes rejetées par l’immense majorité des personnes concernées ont néanmoins été votées par le Parlement (la réforme des retraites) et où, inversement, des réformes soutenues par l’immense majorité de la population (comme le Référendum d’initiative citoyenne) ne trouvent aucun écho au Parlement même après des mois de manifestations dans tout le pays, quel sens y a-t-il, d’un point de vue démocratique, à maintenir que le Parlement représente mieux le peuple, que le peuple lorsqu’il se prononce par les voies qu’on accepte de mettre à sa disposition ?

Ni sur le plan des principes, ni du point de vue de la situation actuelle, il ne paraît pertinent de permettre à des organes spécifiques d’opposer un véto à une réforme constitutionnelle.

Bien sûr, la probabilité de l’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite va croissant.Mais répondre à cette perspective par des crispations sur les institutions actuelles, ou pire par des reculs démocratiques ne peut être que contre-productif et ceci à deux titres : d’abord parce que maintenir le potentiel autoritaire des institutions et procédures actuelles aidera davantage l’extrême-droite à imposer son programme que si on essaie, au contraire, de démocratiser ces institutions et procédures ; ensuite parce qu’elle aura un boulevard devant elle pour se présenter, comme elle le fait toujours (et toujours à tort), comme un facteur décisif de rétablissement des libertés et de la souveraineté du peuple.

Pour ces raisons, la possible arrivée de l’extrême-droite au pouvoir invite, non à protéger par avance le pré carré d’institutions qui n’ont pas montré ses dernières années un attachement démesuré à la Démocratie et aux libertés, mais à organiser les conditions d’actions collectives coordonnées, et d’abord celle des personnes ordinaires, et de l’ensemble de la population.

En d’autres termes, c’est maintenant qu’il faut avancer avec force des propositions de démocratisation de la Constitution.

Prenons les dernières nominations au Conseil constitutionnel par exemple. Est-ce qu’elles ne montrent pas que, dans l’état actuel de la Constitution, l’extrême-droite au pouvoir pourra placer au sein de cet organe des amis politiques incompétents et extrémistes ? N’est-ce pas d’ailleurs ce qu’a fait l’extrême-droite dans ses nouveaux bastions ces dernières années ?

Bref, plutôt que de faire confiance au Conseil constitutionnel – quelle que soit sa composition – pour préserver les libertés et la Démocratie, et plutôt que de vouloir empêcher à tout prix un appel direct au peuple pour réviser la Constitution, la priorité pourrait être de modifier la procédure de nomination des membres du Conseil constitutionnel. Elle pourrait être de garantir enfin que ces membres se situent hors des réseaux politiciens, qu’ils ne doivent rien à un acteur politique particulier qui les aurait nommé, qu’ils soient compétents d’un point de vue technique et enfin attachés à la Démocratie.

Or, la meilleure garantie de la Démocratie n’est pas l’institution d’organes aristocratiques chargés de la préserver, mais la démocratisation même des procédures premières : pour garantir la compétence, l’indépendance et l’attachement à la Démocratie des membres du Conseil constitutionnel, le mieux est certainement une convention de citoyennes et citoyens tirés au sort, chargée de statuer sur les candidatures à ce poste.

L’opposition entre Démocratie ou souveraineté populaire d’une part, et contrôle de constitutionnalité d’autre part, n’aurait alors plus lieu d’être. L’extrême-droite ne pourrait plus s’en prévaloir pour nommer des juges à sa botte et piétiner les droits et libertés au nom du peuple. Par avance, la Démocratie serait efficacement préservée.

Mais dans l’état actuel de la Constitution, on voit évidemment l’obstacle radical auquel une telle proposition se heurte : le Conseil constitutionnel ne risque-t-il pas de mettre son véto à une réforme qui, tout en étant un progrès démocratique indéniable, mettrait en question l’autorité de ses membres actuels, peut-être de ses décisions passées ?

Et que pourrait-on lui répondre si, par corporatisme mais sous couvert d’interprétation de la Constitution, le Conseil constitutionnel s’opposait à la réforme ? Pas grand-chose à part le principe même de souveraineté nationale (préambule et articles 3, alinéa 1 et 4, alinéa 1 de la Constitution).

Ce n’est qu’un exemple. En fait, il est difficile d’imaginer une proposition de démocratisation substantielle de la Constitution qui ne serait pas bloquée, ou par l’exécutif ou les parlementaires au stade même de sa proposition, ou au stade de l’examen parlementaire ou devant le Conseil constitutionnel. Et de fait, toutes les propositions de démocratisation substantielle proposées, par exemple dans le cadre du mouvement des Gilets jaunes ou dans son sillage, n’ont jamais eu de chance sérieuse de prospérer.

Parallèlement, toutes les promesses de modalités alternatives de démocratisation du fonctionnement du régime – de la publication des cahiers de doléances du « grand débat », aux résultats de la Convention citoyenne sur le climat repris « sans filtre » – ont été bafouées.

Ces manquements ont mis le pays dans un état de colère compréhensible, dont on voit mal comment il pourrait être canalisé pour le meilleur par des institutions défaillantes, auxquelles on s’accrocherait désespérément. Plutôt que de vouloir les préserver et de s’opposer à l’intervention populaire directe, proposons des procédures alliant expression et décision populaires réelles, et débat informé, éclairé et délibéré.

C’est plus ambitieux mais ce n’est pas en étant « petits bras » qu’on se sort par le haut des situations de tensions. C’est en considérant les risques à venir comme de nouvelles raisons de lancer de véritables chantiers démocratiques.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.