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La 46eme Conférence ministérielle de la Francophonie (CMF) se tiendra à Kigali, Rwanda du 18 au 20 novembre 2025, sur un thème aussi noble qu’essentiel : « Trente ans après la Conférence de Beijing : le rôle de la femme dans l’espace francophone ». Parmi les objectifs de cette conférence, il y a la mise en lumière des avancées, des défis persistants et de l’importance cruciale du leadership féminin dans la gouvernance.
En 1995, la Déclaration et le Programme d’action de Beijing avaient tracé une feuille de route claire pour l’émancipation des femmes. Cela comprend, assurer leur participation pleine et entière à la vie politique, protéger leurs droits fondamentaux et libertés, encourager l’émergence d’une société civile féminine indépendante et garantir leur autonomie citoyenne et économique.
Trente ans plus tard, alors que le monde s’apprête à célébrer l’héritage de Beijing en faveur de l’émancipation des femmes, le choix du Rwanda pour accueillir la 46^e CMF sur le rôle de la femme francophone est un paradoxe troublant. Si la tenue de cette rencontre de haut niveau au Rwanda est positive et symbolique, elle se heurte toutefois à une réalité dérangeante.
Le régime de Kigali a certes érigé un modèle de parité politique impressionnant, avec 61 % de femmes au Parlement, un record mondial. Cependant, cette réussite apparente s'effondre dès lors que l'on examine le contexte : aucune de ces femmes n'appartient à un parti d'opposition indépendant et toutes évoluent dans un espace politique strictement contrôlé. Ce « féminisme d’État » repose sur la loyauté envers le pouvoir et non sur l’émancipation, ce qui est en totale contradiction avec les principes de Beijing.
Violation de la déclaration de Beijing par le Rwanda : le cas de Mme Ingabire
Mme Victoire Ingabire Umuhoza est une femme d’un courage exceptionnel. En 2010, elle a quitté son exil aux Pays-Bas pour se présenter à la présidentielle au Rwanda. Elle fut arrêtée et condamnée à quinze ans de prison à l'issue d'un procès largement critiqué pour ses motivations politiques. Elle fit appel avec succès devant la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, qui a condamné le Rwanda d’avoir violé son droit à la liberté d'expression et son droit à une défense adéquate. Libérée en 2018 après huit ans de détention, dont cinq en isolement, elle n’a jamais cessé de plaider en faveur de la démocratie au Rwanda, malgré les interdictions de voyager pour rendre visite à ses enfants et à son mari aux Pays-Bas.
Le 19 juin 2025, Mme Ingabire a de nouveau été arrêtée, à la suite de déclarations hostiles du président Paul Kagame et d’autres hauts responsables, révélant la mainmise du pouvoir exécutif sur la justice. Cette arrestation fait suite à un procès intenté à l'encontre de huit membres de son parti et d'un journaliste, emprisonnés depuis 2021 après avoir lu et discuté un livre, puis suivi une formation en ligne sur la résistance non violente. Le groupe de travail de l'ONU contre la détention arbitraire a jugé leur détention et leur procès illégaux, exhortant les autorités rwandaises à les libérer.
Le Rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté d'opinion et d'expression a également déclaré que l'arrestation de Mme Ingabire était une représaille pour ses activités politiques et l'exercice de son droit à la liberté d'expression. Human Rights Watch, Amnesty International, et le Parlement européen ont tous condamné la détention arbitraire de Mme Ingabire et ont exigé sa libération immédiate. Elle est actuellement détenue dans des conditions contraires aux Règles Mandela.
Comment célébrer alors l'héritage de Beijing en matière d'autonomisation des femmes au Rwanda, alors qu'une femme qui incarne ces mêmes principes, à savoir le droit d'exercer librement et pacifiquement son droit au débat politique, est réduite au silence dans ce pays ?
Une occasion d’interpeller les autorités rwandaises sur ces violations
Il est temps que les États membres et la société civile francophone exigent de la Francophonie qu’elle reste fidèle à ses valeurs. À défaut, la conférence de Kigali ne ferait que ternir son image et conforter son positionnement en tant qu'organisation complaisante envers les dictatures.
Par conséquent, les délégations présentes à la 46^e conférence ministérielle de la Francophonie au Rwanda sont appelées à condamner les mauvais traitements infligés à Mme Ingabire et à réclamer sa libération immédiate. Les pays membres de l’Union européenne, également membres de la Francophonie, doivent appliquer la cinquième clause de la résolution du Parlement européen, qui demande aux États membres de Kigali de rendre visite aux personnes détenues de façon arbitraire, de suivre les procédures judiciaires, d'aborder la question de la répression de l’opposition politique et du respect des droits de l’homme lors du dialogue politique au plus haut niveau avec le gouvernement rwandais, et de faire en sorte que la coopération avec le Rwanda soit cohérente avec la promotion des droits de l’homme et de la démocratie, notamment en ce qui concerne les normes relatives aux procès équitables.
La 46^e conférence ministérielle de la Francophonie au Rwanda, représente une occasion cruciale d'interpeller les autorités rwandaises sur ces violations. Ne pas le faire reviendrait à affaiblir la crédibilité de la Francophonie, qui est censée défendre la paix, la démocratie et les droits humains.