Titre complet:
Contre le déshonneur et le lâche soulagement des pyromanes, la vertu républicaine de l’alternative
L’absence de consigne pour le second tour des présidentielles du candidat de La France Insoumise Jean-Luc Mélenchon a suscité un déferlement d’imprécations et d’injures. Ce ne fut en réalité que prétextes pour flétrir encore davantage le candidat qui a fait trembler l’entre soi du système oligarchique. Vieux ressorts et poncifs éculés ont été conviés en un rien de temps. La situation politique induite par les résultats du 23 avril nous invite à dépasser le champ de l’émotion pour se rapprocher du domaine de la raison politique. Et surtout à se poser les véritables questions.
A qui revient le déshonneur qu’une telle situation ait pu survenir ? Principalement et prioritairement à ceux qui ont contribué à en créer les conditions objectives. Certainement pas à ceux qui la subissent ; encore moins à ceux qui ont été très proches de l’empêcher de se réaliser (il n’a manqué qu’un peu plus de 600 000 voix à Jean-Luc Mélenchon pour éliminer Marine Le Pen du second tour). Si cette dernière a pu se qualifier, la responsabilité en incombe lourdement à ceux qui ont fait de Jean-Luc Mélenchon leur cible prioritaire des dernières semaines de campagne. Honte à eux, qui par leur menées immondes ont de fait sauvé la mise à Marine Le Pen. Le déshonneur tombe également sur l’ensemble de la classe politique : tous les représentants du système ne tablent désormais plus que sur un duel avec le Front National pour être certain de l’emporter sans peine au second tour. Ils y consacrent une grande partie de leur énergie, avec leurs coups de billard à de multiples bandes. Le FN est de la sorte pleinement intégré au système dans un rôle de diable de confort et d’idiot utile.
Qu’est-ce qui a fait monter et fera monter le Front National ? Le déshonneur concerne pareillement ceux qui ont voulu faire et veulent faire d’Emmanuel Macron le rempart contre le Front National. Qui ne voit pas que l’application de son programme, avec son cortège de précarité, de pauvreté et d’austérité, conduira à alimenter la montée du Font National au cours du prochain quinquennat ? C’est la dialectique tant de fois rabâchée du pyromane voulant se transformer à peu de frais en pompier.
Une consigne de vote est-elle de nature à renforcer la digue contre le Front National ? Aucun candidat n’est propriétaire de ses voix. Les temps ont changé : difficile pour les tenants de l’ancien monde politique de s’y résoudre. Les improbables stratégies de front républicain ont fait la preuve de leur inefficacité notoire sur le long terme. Elles ont octroyé de manière inespérée au Front National une position centrale dont il se délecte : lui seul contre le reste du monde et le système, infusant dans certains esprits l’idée nocive que la seule alternative serait le FN et qu’au final il faudrait bien l’essayer un jour. A cet égard, nous ne reviendrons pas sur l’erreur de pyromane endurci d’Emmanuel Macron exigeant pour le second tour un vote d’adhésion. Quelle outrecuidance et quelle faute au regard de la situation ! Une consigne de Jean-Luc Mélenchon n’apporterait pas de voix supplémentaires des Insoumis à Macron. Elle procurerait au contraire des arguties au FN pour se victimiser à bon compte, offrirait des arguments supplémentaires à la droite conservatrice pour se décomplexer davantage en franchissant des frontières déjà poreuses pour voter enfin l’irréparable (ça les démange depuis longtemps…). Une absence de consigne est de nature au contraire à pousser le camp des macronistes et des macronistes compatibles (ils sont nombreux qui communient dans le libéralisme) à se mobiliser davantage. Aucun risque que l’absence de consigne augmente les chances de Marine Le Pen de l’emporter, sauf à vouloir jouer à se faire peur, ce qui relève de la basse tactique politicienne indigeste.
En quoi consiste la stratégie de La France Insoumise, au-delà de la liberté de vote à ses militants ? D’abord, le mot d’ordre est clairement « pas une voix pour le FN ». Ensuite, liberté de vote en conscience. C’est l’objet de la consultation lancée sur le site de La France Insoumise où trois propositions sont retenues (vote Macron, vote blanc ou nul, abstention). Et où une quatrième n’existe pas (vote Le Pen). Le résultat de cette consultation interne n’équivaudra d’ailleurs pas à un quelconque début de consigne. Enfin, il n’y a pas de campagne, tant collective qu’individuelle, pour convaincre d’une position particulière, contrairement à ce qui est insidieusement suggéré par certains. C’est la singularité de la stratégie de La France Insoumise qui en garantit son équilibre.
Qui peut voter Emmanuel Macron en toute logique ? Il est aisé de voter Macron quand on a voté Fillon avec son programme de politiques d’austérité et de casse du droit du travail. Cela l’est tout autant quand on est (membre du parti) socialiste et qu’on a gouverné avec Macron. Voter Macron n’est pas un si grand écart quand on gère des collectivités locales avec le PS et que l’on aspire à remettre cela lors des prochaines élections locales. Pour beaucoup d’entre eux, ce front républicain se résume à celui des pyromanes anonymes. Ils pensent obtenir une forme d’absolution en adoptant la posture du « lâche soulagement » sous la forme de l’engagement dans un front républicain. Celui-ci n’apporte pas davantage de garanties mais ouvre la voie à la prolifération du FN qui dans 5 ans deviendrait plus fort que jamais. Ils continuent de croire que la politique est une question d’arithmétique boutiquière, alors qu’elle est fondamentalement une question de dynamique, ce dont témoigne le score élevé de Jean-Luc Mélenchon qui résulte de la construction d’une dynamique citoyenne populaire. Dans cette perspective, la France Insoumise ne peut se commettre dans un quelconque improbable front républicain. Elle doit incarner cette double alternative : pour les principes républicains contre le FN, pour l’alternative sociale contre Macron. C’est en cela que réside l’honneur de La France Insoumise. C’est aussi en cela que réside le déshonneur de certaines belles âmes promptes à crier « au feu » après l’avoir allumé.
Pour ma part j’irai voter dimanche 7 mai. En pleine et entière conscience. Sans activisme militant pour la position adoptée, car j'ai déjà milité intensément pour éviter que cette situation s’impose à nous quand tant d’autres ont œuvré plus ou moins délibérément à ce qu’elle se réalise…