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Billet de blog 6 mai 2025

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Aux sources du désenchantement démocratique, la forfaiture post-29 mai 2005

Le 29 mai 2005, les français envoyaient un signal fort aux oligarchies européennes. Ils refusaient par référendum le traité constitutionnel européen qui leur était proposé. Le verdict de cette insurrection civique était sans appel. Le déni démocratique post 29 mai 2005 a généré dans la sphère politique des générations désenchantées.

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Le 29 mai 2005, les français envoyaient un signal fort aux oligarchies européennes. Ils refusaient par référendum le traité constitutionnel européen qui leur était proposé. Il s’agissait pour le coup d’un véritable acte d’insoumission, exprimé en toute conscience. Le verdict de cette insurrection civique était sans appel, la victoire du non étant incontestable par sa netteté. Le non recueillerait près de 55% des suffrages exprimés. Encore plus fortement, le taux de participation grimpait à 70%, niveau difficilement imaginable pour un référendum censé n’intéresser que peu de nos concitoyens.

Le peuple reprend en main ses affaires

 Pourtant, à peine quelques mois plus tôt, le oui était donné gagnant à une très forte majorité. Notons au passage la même perspicacité des sondages qui, quand ils se trompent, c’est toujours dans le même sens. Ou du moins, dans le sens des mêmes personnes et des mêmes intérêts. Certains allant jusqu’à avancer le chiffre de 80% pour le oui. Et bien entendu sans parler du taux de participation annoncé comme famélique pour un texte si complexe et si technique…

Il y eut au contraire une intense implication populaire. La dynamique était donnée par le non de gauche. Les citoyens se saisirent d’un texte particulièrement abscons de prime abord en raison d’un langage technocratique gangrené par le jargon néolibéral conquérant. Il s’ensuivit au contraire une multiplication de réunions de terrain, s’appuyant sur la lecture d’un texte long et indigeste. Les commentaires d’articles complexes à souhait témoignèrent d’un niveau de maturité politique que les possédants n’accordaient pas spontanément au peuple.

Un texte qui n’était visiblement pas pour le peuple, celui-ci s’en est pourtant saisi, sanctionnant une campagne à la vitalité extraordinaire. Avec comme résultat, un vote de classe, le non l’emportant dans les secteurs populaires, et ce qu’ils soient urbains ou ruraux. Autrement dit, le peuple reprit véritablement en main ses propres affaires.

La trahison du vote populaire

Deux ans plus tard, on assista à la forfaiture de Nicolas Sarkozy, élu président de la République entretemps. Le traité de Lisbonne fut adopté par la voie parlementaire, avec la réunion des deux chambres en Congrès. Il s’agissait d’un texte quasiment identique au précédent qui avait été rejeté sans ambages.

Cette injure adressée à l’expression de la souveraineté populaire se trouve aux sources de la crise démocratique dont nous subissons aujourd’hui les effets. Le désenchantement actuellement à l’œuvre se nourrit pleinement de cette forfaiture démocratique. En témoignent par exemple les nombreuses réactions que nous entendons régulièrement se demandant à quoi bon aller voter dans de telles conditions. L’abstentionnisme croissant y puise une partie de sa raison d’être. Pire encore, les prémices d’un complotisme de mauvais aloi s’y trouvent également.  

D’autres moments clés de forfaiture

 La délétère opération s’est réalisée en synergie avec un autre événement majeur, dont les conséquences désastreuses et destructrices ne doivent pas être sous-estimées. Nous voulons parler du tournant de la rigueur de 1983. Il promouvait déjà la tyrannie de la seule politique possible, synthétisée par la formule du TINA thatchérien (there is no alternative). Il traduisait en actes la même union de la droite néolibérale et de la social-démocratie engagée dans une dérive sociale-libérale, pour porter sur les fonts baptismaux un projet de société charpenté par le marché roi. On finira par dire en 2005, jusqu’à la nausée, concurrence libre et non faussée.

En réalité, n’était-ce pas déjà une forme de grande coalition avant l’heure ? Les propos de Lionel Jospin, à plus de vingt ans d’écart, illustrèrent ces dérapages idéologiques incontrôlés. Il était en 1983 l’homme de la « parenthèse libérale » qui ne s’est depuis toujours pas refermée ; il fut en 2005 celui de l’aveu de la compatibilité du oui de gauche et du oui de droite. En 1983, on parlait du tournant de la rigueur ; aujourd’hui on emploie le terme d’austérité ; dans les années trente, la déflation inspirait les politiques libérales menées avec brutalité à la suite du krach boursier de 1929. Si les mots changent, les maux persistent indéniablement.

En aval du vote référendaire, comment ne pas évoquer un autre événement politique qui constitua un motif de profondes désillusions pour de nombreux militants et électeurs, sur le mode de la douche écossaise ! Nous voulons parler de la tromperie du quinquennat de François Hollande. Cela débuta en premier lieu par le discours du Bourget proclamant que « l’ennemie, c’est la finance ». L’opération se poursuivit ensuite par une politique systématiquement en faveur des intérêts de la finance, entre politique de l’offre, exonérations fiscales aux plus riches, subventions à fonds ouverts pour les entreprises et lois El Khomri dépeçant le droit du travail. Il y eut enfin le renoncement du président sortant, réalité politique inédite, à défendre son bilan à la présidentielle de 2017. Ce à quoi on pourrait ajouter deux autres dommages collatéraux : son Premier Ministre Manuel fut entraîné dans la débandade en perdant à la surprise générale la primaire socialiste, son ministre de l’économie Emmanuel Macron en profita pour se faufiler à travers les ruines pour accéder, presque par effraction, à l’Elysée.

A l’issue de ce quinquennat de trahisons, le nom même de gauche se retrouvait extraordinairement démonétisé. Heureusement que par la suite d’autres surent le relever, notamment avec la création par Jean-Luc Mélenchon de La France Insoumise pour la présidentielle de 2017 et la main tendue en 2022 aux autres forces de gauche pourtant en déliquescence permettant l’irruption de la NUPES (Nouvelle Union populaire écologique et sociale), se prolongeant en NFP (Nouveau Front populaire) en 2024, non sans que ceux qui s’étaient vus tendre la main en 2022 se soient échinés entretemps à détruire la NUPES. Aujourd’hui, celles et ceux qui veulent abattre à nouveau les drapeaux de la NUPES et du NFP sont les mêmes, ou leurs héritiers, qui votèrent non le 29 mai 2005 ou permirent l’adoption par le Congrès du traité de Lisbonne. Il n’existe point de hasard en la matière, mais au moins des filiations décidément persistantes.

De l’art de bien voter, ou de ne plus voter !

Les oligarchies n’eurent pas de scrupules à considérer que les français avaient mal voté. En d’autres circonstances, des peuples furent enjoints de revoter. Ce fut le cas des Danois, des Irlandais et des Hollandais. Quant aux irréductibles français, ils n’obtinrent pas ce privilège : ils n’eurent même pas le droit de revoter, suspectés de n’avoir pas fait suffisamment repentance et de pouvoir retomber dans le péché, non pas véniel celui-ci. En lieu et place des citoyens, ce furent les représentants du peuple que l’on convia à se prononcer. Peut-être jamais n’ont-ils autant pas mérités de porter le titre de représentants du peuple, tant la discordance fut frappante et flagrante !

L’Union Européenne agit à l’égal d’un d‘un verrou démocratique, sans que nous abordions dans cette réflexion la dimension étouffoir social, d’une importance au moins équivalente. Les politiques européennes libérales promues sont corsetées par la concurrence libre et non faussée. On sait bien qu’il n’existe pas de voie possible en dehors des traités européens, selon l’aveu de l’ancien président de la Commission européenne, le luxembourgeois Jean-Claude Juncker. Les multiples embardées démocratiques des institutions européennes nous obligent à relever des défis gigantesques. Un des enjeux fondamentaux consiste à élaborer ce que nous pourrions appeler un « nouvel humanisme démocratique laïque ». Les trois termes ne sont pas utilisés de manière simplement rhétorique : ils possèdent une signification politique fondamentale qu’il convient d’expliciter.

L’humanisme démocratique laïque face à des obscurantismes renouvelés

A la fin du Moyen Age, il s’agissait de montrer que les hommes étaient capables et dignes de se gouverner seuls, par eux-mêmes, en dehors de tout dogme religieux et de toute vérité céleste révélée. Ce fut le pari fait par les humanistes d’accorder leur confiance en l’homme, en dépit de l’existence du péché originel qui le disqualifiait profondément en la matière. C’était ce que signifiait la formule de l’humaniste italien Pic de la Mirandole, qui ne voyait rien de plus admirable que l’homme. Par cette revalorisation de l’homme en tant que sujet pensant, étaient posés les jalons pour que le peuple se retrouve en capacité de devenir l’acteur central d’un éventuel champ politique à construire. C’était lui octroyer des prérogatives démocratiques que les obscurantismes lui avaient subtilisées.

Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un obstacle du même genre. Une succession d’événements, tantôt des faits plus ou moins  historiques, tantôt des interprétations plus ou moins hasardeuses, concourent à remettre en cause l’expression de la souveraineté populaire. On peut y verser l’avènement du marché-roi dans le cadre de la mondialisation conquérante, qui n’est rien d’autre que la nouvelle facette du capitalisme à la recherche constante d’une hégémonie jamais partagée. Il en va de même de la proclamation après 1991, au moment de la victoire du bloc étatsunien à l’occasion de la guerre froide, de la fin de l’Histoire, se traduisant, entre autres billevesées, par le présumé triomphe universel du capitalisme. Ou encore, car tout possède mécaniquement une équivalence géopolitique, de la théorisation du choc des civilisations par des penseurs décomplexés adeptes d’un néo-impérialisme tout aussi débridé.

Voici quelques exemples parmi les plus significatifs de ces obscurantismes renouvelés et les nouvelles formes de « cléricalismes modernes » contre lesquels la raison humaine se doit de lutter.

Contre le grand désenchantement démocratique…

Le déni démocratique post 29 mai 2005 a généré dans la sphère politique des générations désenchantées. « L’aquabonisme » a proliféré sur ces bases.  Lutter contre cet état de choses passe par la construction d’un nouveau récit mobilisateur. Le défi est celui d’un nouvel enchantement politique, ou plus précisément d’un ré-enchantement. Le verdict du référendum du 29 mai 2005 aurait pu être le détonateur d’un nouveau printemps des peuples. Sur les cendres de l’espérance du 29 mai 2005 bafouée par cet incroyable déni démocratique, agissons en conséquence pour contribuer à l’édification d’un autre printemps des peuples.

En effet, cette période d’intense implication citoyenne aurait pu et dû être un levier pour l’émergence d’un projet de transformations en tous domaines. C’est-à-dire d’une gauche fidèle à sa mission historique. Car le non rassemblait la gauche par un retour à ses fondamentaux historiques, tandis que le oui la divisait : la fameuse concurrence libre et non faussée provoquait des clivages insurmontables  quant à la vision de l’économie et de la société. Par ces prises de positions électorales, les deux gauches « irréconciliables » émergeaient, du simple fait qu’une des deux n’était tout simplement plus de gauche. 

Cette campagne, citoyenne, unitaire et dynamique, avait tout pour être un moment politique démocratique fondateur. Un succès aussi éclatant de la souveraineté populaire, en dépit de la coalition des forces du système en place, ne peut être que célébré. Vingt après, que reste-t-il de ce printemps démocratique ? Principalement, un double sentiment de gâchis et de trahison.

… la vitalité d’un nouveau printemps des peuples  

La campagne avait été perçue comme un printemps démocratique joyeux : aujourd’hui la fatalité et la résignation règnent en maîtresses. La confiance dans l’action politique avait été régénérée : aujourd’hui le discrédit de la chose politique a repris le dessus. Le non de gauche avait été l’élément moteur de la victoire : la concurrence libre et non faussée que l’on prétendait graver dans le marbre avait été rejetée : aujourd’hui l’austérité est devenue la règle d’or que l’on applique sur le dos des peuples à l’égal d’un fer rouge.

La loi d’airain du marché s’appesantit sur les peuples, mis en concurrence les uns contre les autres, pour mieux garantir les profits d’une minorité toujours plus avide. Pourtant il n’existe nulle fatalité à ce que ce sombre dessein se réalise. Les peuples peuvent et doivent se réveiller pour reprendre en main leur destin. A l’image de ce réalisa le peuple français le 29 mai 2005 en congédiant l’impitoyable férule de la concurrence libre et non faussée que les possédants voulaient lui appliquer sans ménagement. C’est à ces conditions qu’un nouveau printemps des peuples pourra advenir.

Pour nous persuader de l’ampleur du défi et de son caractère impérieux d’intérêt général, concluons en revenant à une citation que nous avons abondamment utilisée au cours de la campagne référendaire de 2005. Il s’agit de celle de Pierre Mendès-France qui avait établi un diagnostic juste des vices originels de la construction européenne et anticipait déjà sur nombre des enjeux qui résulteraient. En témoignent les extraits de son discours prononcé devant l’Assemblée nationale à l’occasion du débat du 18 janvier 1957  relatif à la ratification du traité de Rome.

« Le projet du marché commun, tel qu’il nous est présenté, est basé sur le libéralisme classique du XIX° siècle, selon lequel la concurrence pure et simple règle tous les problèmes. […] L’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes, soit elle recourt à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit à la délégation de ses pouvoirs à une autorité extérieure laquelle au nom de la technique exercera en réalité la puissance politique, car au nom d’une saine économie on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement une politique, au sens le plus large du mot, nationale et internationale ».

Francis DASPE

29 / 04 / 2025

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