Francis Daspe est président de la Commission Education du Parti de Gauche. Il est également secrétaire général de l’AGAUREPS-Prométhée (Association pour la gauche républicaine et sociale – Prométhée).
La mise en perspective du passé avec le présent immédiat est souvent enrichissante pour peu que l’on se défie du piège de l’anachronisme. Elle permet bien souvent d’éclairer de manière heureuse l’actualité pour mieux en décrypter ses enseignements.
Il y a 220 ans, les députés Montagnards de la Convention, pourtant submergés par de multiples tempêtes, celles du dedans et du dehors coalisées, posaient les bases républicaines de la France. C’était l’an II de la République. Le nouveau Premier ministre, Manuel Valls, vient de prononcer devant la représentation nationale son discours de politique générale en vue d’obtenir la confiance. L’an passé, pour désigner la période qui s’ouvrait, le Président de la République avait parlé de l’an II de son quinquennat. Ces circonstances politiques constituent le meilleur plan marketing pour la sortie du livre qu’avec François Cocq nous venons de sortir (1).
Le projet initial consistait à passer le hollandisme au miroir de la République montagnarde. La comparaison avait été suggérée de manière subliminale par le Président de la République lui-même. Elle était ambitieuse et risquée pour un pouvoir dont l’audace n’est pas la marque de fabrique. A l’usage, elle se révéla cruelle. Le volontarisme des « soldats et des hussards bleus » de l’an II de la République contrastait avec le renoncement érigé en règle par le gouvernement de solfériniens.
Chacun des paragraphes illustre un renoncement à transformer la société selon les principes de l’universalisme républicain. Réforme fiscale initiée à la suite des récriminations des pigeons alimentant un supposé ras-le-bol fiscal contre emprunt forcé sur les riches du 30 mai 1793 ; contresens idéologiques de la loi de refondation scolaire contre plan d’instruction publique présenté devant la Convention le 29 juillet 1793 par Robespierre ; autorégulation factice concédée au Medef contre maximum général adopté le 29 septembre 1793 ; acte III de la décentralisation contre consolidation de l’unité de la Nation tracée par le rapport de Saint-Just du 15 avril 1794 ; engoncement dans la monarchie présidentielle de la V° République contre souffle créateur de la constitution du 24 juin 1793 ; soumission aux injonctions de la Troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne, Fonds monétaire international) contre souveraineté populaire promue par le suffrage universel. Non exhaustive, la liste tourne en fin de compte au réquisitoire sans concession. La République en est bien la cible, son démantèlement la convergence visée.
La sanction démocratique s’est abattue sur les tenants de l’austérité à l’occasion des élections municipales. Curieusement, est alors promue chef du gouvernement une personne qui approfondira les politiques d’austérité pourtant durement rejetées. Le discours de politique générale de Manuel Valls ne se ressource pas aux hauts combats de la Montagne. Il s’échoue dans le Marais. Le pacte de responsabilité, colonne vertébrale du projet gouvernemental, est l’outil de ce démantèlement continu et méthodique : les services publics seront étranglés, la protection sociale rognée, les collectivités territoriales étouffées, l’emploi précarisé. Voilà l’horizon promis.
Ironique et cruelle coïncidence : tout cela au moment même où on célèbre les soixante-dix ans du programme du Conseil national de la Résistance. Ces autres soldats de la République qui s’étaient rassemblés dans d’autres Montagnes, celles du maquis, avaient adopté comme règle d’or, par une audace inouïe dans un pays ruiné et dévasté par la crise des années trente et la seconde guerre mondiale, le principe suivant : chacun cotise selon ses moyens et reçoit en fonction de ses besoins. L’historiographie militante de la pensée dominante a définitivement et sans appel possible condamné la République montagnarde. Elle a choisi d’encenser le Conseil national de la Résistance pour mieux en détricoter son programme au motif de l’adaptation au monde de la compétition et du profit.
Le socialisme puise ses sources dans la Montagne. C’est là que naissent l’exigence républicaine et l’ambition de transformation sociale censées se conjuguer dans le socialisme authentique. Il n’a pas vocation à se perdre dans le Marais ; et encore moins à finir dans le marécage. Si une telle chose devait advenir, il est alors sûr que dans quelques années nous ne célébrerions plus le Conseil national de la Résistance : à la place il ne resterait plus qu’à le commémorer tristement. C’est à l’esprit de la Montagne, de toutes les Montagnes, qu’il incombe de veiller à la sauvegarde et à la promotion de ces acquis si chèrement conquis.
(1) François Cocq et Francis Daspe, Hollande, la République pour cible, éditions Bruno Leprince, collection « Politique à Gauche », avril 2014.