Francis DASPE est secrétaire général de l’AGAUREPS-Prométhée (Association pour la gauche républicaine et sociale – Prométhée)
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Le délai supplémentaire de deux ans accordé à la France pour réduire son déficit à 3% à l’horizon 2015 ne constitue rien moins qu’une vaste supercherie. Il témoigne de la connivence régissant les rapports entre les instances européennes, en l’occurrence le commissaire européen aux affaires économiques, Olli Rehn, et les pouvoirs nationaux trop heureux d’accepter de facto les contraintes européennes pour mieux se dédouaner à bon compte de leurs conséquences prévisibles. Le ciment de cette connivence a un nom : l’austérité s’incarnant au quotidien dans les visages multiples de la misère et de la souffrance.
Il faut convenir que ce drôle de jeu de rôle est bien rodé. Sitôt l’annonce faite par Olli Rehn, le président de la République François Hollande se précipite pour y déceler un satisfecit à sa politique de réduction des déficits ; mieux encore, il affirme y voir la preuve d’une inflexion des autorités européennes en raison de son engagement résolu en faveur d’une politique de croissance et de relance. Avouons qu’il n’est pas compliqué de paraître volontariste en matière de croissance à côté de la chancelière Merkel…
Mais il se garde bien de dévoiler la conditionnalité d’airain posée en contrepartie : la France doit poursuivre les réformes structurelles implacablement préconisées aux quatre coins du continent par la sinistre troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international). Les actions exigées en matière de marché du travail, de système des pensions de retraites et d’ouverture des marchés sont même qualifiées de « substantielles ». Dans la novlangue européiste de la sainte-alliance des libéraux, on ne sait malheureusement que trop ce que cela signifie concrètement. C’est donc à moins de protection sociale, de services publics, de droit du travail, autrement dit à la dissolution même de l’intérêt général et de la res publica, que la France est conviée.
Le cynisme de ce jeu de rôle se poursuit avec la réaction faussement outrée de représentants de la coalition gouvernementale d'Angela Merkel, parlant de « mauvais signal » ou de « bonus spécial pour la politique d'échec ». Tout cela en fait pour dans un même élan conforter en France la politique d’austérité et lancer au partenaire français un avertissement à résister coûte que coûte aux contestations se développant de plus en plus au sein de la population hexagonale. Pierre Moscovici possède au moins la franchise, ou la maladresse, à moins que ce ne soit l’arrogance, de vendre la mèche en déclarant « qu’il n'est pas question de relâcher en quoi que ce soit l'effort de réduction des dépenses ».
Un blang-seing attribué à la France ? Non. Ni même un sursis. Mais une injonction en bonne et due forme. Le fruit d’une négociation de haute lutte ? Nullement, mais plutôt l’avatar supplémentaire de la méthode européenne fondée sur le stratagème et l’enfumage permanents érigés au rang de règle d’or.
Car comment croire que l’austérité puisse être un simple objectif de politique budgétaire ? C’est en réalité bien davantage : un prétexte et un levier. La grande famille libérale percluse de consanguinité veut s’en saisir à la fois comme d’un épouvantail et d’une épée de Damoclès pour mener sa lutte des classes toute personnelle. Méthodiquement et rationnellement. Pour parvenir à son sinistre dessein, toutes les formes de guerre sont utilisées : la guerre-éclair, la guerre de tranchées, la guérilla. La lutte des classes menée par les oligarques européistes est bien une guerre totale au nom de laquelle aucune méthode n’est écartée a priori. Ce qui peut être imposé sans ménagement au Portugal ne peut l’être de manière aussi frontale à la France : la quasi concordance de l’annonce d’un nouveau plan d’austérité pour le Portugal et celle-ci d’Olli Rehn pour la France est éclairante, montrant la savante individualisation des méthodes visant à administrer aux peuples une même bien amère potion. Pour la France, le détour du jeu de rôle reste encore nécessaire. Mais jusqu’à quand ?
A l’époque des plans d’ajustements structurels du FMI qui saignaient l’Amérique latine, l’Asie du Sud-Est ou l’Afrique, il apparaissait inconcevable que ces remèdes de cheval puissent être appliqués un jour aux pays développés. Les rares âmes lucides qui en pointaient le risque étaient taxées des pires qualificatifs : on s’acharnait en effet à les discréditer par tous les moyens avec une morgue inchangée.
Ce n’est pas l’Europe qu’il faille changer. Ce serait en pure perte. C’est donc bien d’Europe qu’il faut changer. Une Europe internationaliste ressourcée au respect de la souveraineté des peuples. Soit l’exact contraire de l’actuelle Europe de la gouvernance supranationale obéissant aux dogmes néolibéraux imposés par la troïka et diluant jusqu’à la faire disparaître la souveraineté populaire au profit du règne des oligarques et des experts habitués à la gestion opportune et opportuniste des conflits d’intérêts.
A cela il n’existe qu’un seul antidote : une prise de conscience de la réalité en guise de préalable à l’organisation d’une résistance des peuples afin de renverser la table. Pour que les « pigeons » de l’Union européenne cessent de transformer les peuples en dindons de la farce.