Toujours, des courants d'opinion inattendus, demeurer à l'écoute.
Le commentaire d'Edgard Pisani sur les perspectives citoyennes ouvertes (ou fermées) par les Jeux olympiques de Pékin 2008 pour le plus grand pays (peuple) du monde tenu à l'écart de l'aire de la Citoyenneté, ne peut qu'attirer la curiosité d'un observateur de la chose chinoise convaincu lui-même qu'il y avait là, en effet, matière à réflexion.
Il faut cependant tenter de cerner de quoi on parle.
On vous suit pour partie, Edgard Pisani, dans l'interrogation que suscite en vous le constat « adolescent » (en quoi l'âge est-il pertinent ?) selon lequel « le meeting a sûrement plus d'importance que le match mais il a moins de sens ; tout y est fait pour qu'on n'y comprenne rien ». On a plus de mal à se laisser convaincre par l'illusion que veut créer ce spectacle d'une promesse d'« équilibre subtil entre discipline du système et foisonnement des initiatives ».
On est, ici, dans le registre de la représentation, convenons en. Or, pour que cette représentation fonctionne, il faut que le spectateur y adhère. Libre à lui de démissionner de sa fonction critique, ou de l'assumer.
Depuis l'invention concomitante de la Tragédie antique et des Jeux du Stade, effectivement, rien de ce qui se passe autour des arènes ne semble offrir une lecture plus immédiate et complète que ce qui se passe en leur enceinte – hormis peut-être le Champ de Bataille, mais la mode en a passé.
La dérive des grandes rencontres sportives à l'ère de l'économie communicative planétaire, a démultiplié l'utilisation politique « artisanale » des Jeux tels qu'un Adolf Hitler a su les mettre en scène à ses fins. Elles agissent à présent à raison du plus grand dénominateur imaginable (PGDI).
Depuis lors, tout y est fait, précisément, pour qu'on en comprenne tout, d'emblée et sans discussion. Mais surtout, qu'on n'en comprenne rien que cela.
Un moment entièrement consacré à l'effort aussi physique que cérébral, l'intelligence du jeu et le jeu de l'intelligence réconciliés, l'indispensable communion mondiale de l'acteur et du spectateur... Alors, oui, les gradins du plus vaste, du plus moderne et dernier en date des grands stades du monde, peuplés d'un public lui-même planétaire ou presque (les plus pauvres en sont absents, mais ils ont l'habitude), peuvent paraître vibrer dans l'inquiétante abdication collective des espoirs individuels ou leur soumission à une ambition supérieure négatrice de l'homme.
Mais cette ambiguïté est inscrite depuis des siècles dans le combat du peuple chinois pour trouver une place à la hauteur de sa riche tradition humaniste – place que lui dénient précisément ceux qui prétendent incarner ce peuple : vieil Empire (au demeurant étranger à la Chine depuis deux siècles et demi lors de son trépas en 1911), Grand Imprécateur rouge ou présents héritiers...
Non, pas plus que le « peuple français » ne se réduit aux Ray-Ban de Nicolas Sarkozy ou le « peuple papou » à l'étui pelvien de ses mâles, « les Chinois » ne se reconnaissent pleinement, à travers les âges, dans les chapeaux hiérarchiques des anciens mandarins aux boulettes vibrionnantes, dans les protubérances à couverture de plastique rouge brandies au bout du bras des robots décervelés du maoïsme, dans les postures pseudo confucéennes, post-léninistes et sentencieuses du soi-disant parti dit communiste dit chinois.
Sans avoir attendu Hegel ou Guy Debord, ils sont su, eux aussi, apporter la contradiction à l'aliénation dans la société du spectacle avant la lettre que leur proposait le pouvoir comme sort inéluctable.
Il est même arrivé qu'ils le fassent dans un joyeux élan anarchiste bien plus ludique (et précoce) que la plupart de nos révolutionnaires européens.
Qui ne se souvient avec délectation, chez des millions d'amoureux de la chose littéraire chinoise, de Su Dongpo (1037-1101), l'immense poète / savant / calligraphe / pharmacologue / gouverneur de province / ingénieur métallurgiste / et last but not least gastronome, envoyé se faire manger par les moustiques dans une relégation de lointaine province insulaire pour avoir littéralement barbouillé le visage de l'empereur, là, devant lui, du bout de son pinceau encré, pour un différend d'ordre esthétique et donc philosophique ?
L'anecdote serait apocryphe ? Qu'importe. On y croit plus fortement qu'en toute autre Bible, chez quiconque sait un peu lire, en Chine.
Ne nous méprenons donc pas sur les formes du totalitarisme tel qu'il se complaît à s'afficher à Pékin (ou ailleurs), tâchons de gratter la surface des écrans plasma d'aujourd'hui comme il fallait déjà gratter, jadis, la couche d'huile séchée des chromos du maoïsme triomphant que tant et tant, ici, ont pris pour le seul argent comptant que la Chine ait alors à offrir.
Spectateur sans grande affinité sportive des cérémonies d'août à Pékin, aux accents certes foncièrement déplaisants dans leur nationalisme exacerbé, je ne pouvais m'empêcher de trouver dans les regards des officiants, comme des spectateurs chinois, cette pointe d'ironique interrogation : voilà ce dont nous sommes capables, mais que ne nous en demandez-vous pas mieux ?
En dépit des efforts de ses maîtres pour faire croire le contraire, et des nôtres pour les conforter dans cette propension, la société chinoise est capable d'apporter elle aussi sa contribution à un souffle d'air à faire trembler les mandarins confits et leurs dévots.
Prenons garde, certes. Mais à nos propres simplismes, d'abord.