Mediapart, combien d’abonnés en Belgique ? (Question à ne pas poser sur le ton de Joseph Staline : « le pape, combien de divisions ? »)Qu’importe. Contrairement aux apparences, ce qui suit ne concerne pas qu’eux. L’extrême stupidité ne connaît pas de frontières. Celles-ci, en revanche, s’accommodent plutôt bien de celle-là.
Soit un écrivain d’une certaine notoriété. Ceci pour dire qu’il ne manque pas d’entregent. Vous connaissez son nom de plume : Simon Leys. L’auteur – oui, celui-là – qui a commencé à déboulonner la statue de Mao Zedong sans attendre ses contemporains, voici plus de 35 ans (Les Habits neufs du président Mao, Bibliothèque asiatique, Champ Libre). Mais pas que Mao. L’homme, fin lettré des affaires chinoises (mais pas seulement), a aussi démontré que derrière le bordel criminel que le tyran avait semé en son pays, complaisamment admiré hors de ses frontières, survivait sous une forme stalinienne moderne, une implacable bureaucratie héritée du plus vieil empire du monde, et que c’est peut-être ce qui fascine, encore aujourd’hui, tant de zélotes plus ou moins inspirés (et retors): http://libcom.org/library/bureaucrats-simon-leys) et http://www.lacanchine.com/ChCL_Jullien_Leys.html .
Des bureaucrates belges ont décidé de priver de leur nationalité belge ses deux cadets jumeaux, Marc et Louis, nés Belges en 1967, de père belge, de mère chinoise naturalisée belge par mariage, à Hongkong, alors colonie britannique qui était menacée de sombrer dans le chaos de la « révolution culturelle » du continent. Exerçant maintenant le métier d’avocats en Australie où ils avaient émigré avec leurs parents, les deux fils ne sont pas australiens pour autant, et n’avaient aucune raison de souhaiter l’être puisque ils étaient restés belges. Croyaient-ils, les inconscients.
C’était compter sans l’ignorance (et quelques boulettes) d’une administration consulaire (belge) pour qui Hongkong, étant (aujourd’hui) chinois, il fallait désormais qu’ils s’adressent à son administration (chinoise) pour obtenir la nationalité chinoise (grâce à une loi chinoise de 1929 rendue caduque par une guerre mondiale suivie d’une révolution communiste, mais demeurée en vigueur en l’île de Taïwan). On résume ici à grands traits. « L’affaire » est détaillée depuis quelque temps déjà par la presse (belge, http://www.lalibre.be/index.php?view=article&art_id=367371 , mais pas seulement). Les Belges s’honorent d’un immense sens de l’autodérision et Pierre Ryckmans, un puits de culture littéraire (mais pas seulement), n’hésite pas à invoquer Kafka, Alfred Jarry et les Marx Brothers (mais pas seulement) dans ce dossier qui brasse neuf décennies d’imbroglios juridiques liés aux tourments de la Chine au XXe siècle…
« Un seul fonctionnaire intègre et responsable pourrait résoudre en cinq minutes [ce dossier qui] s’enfle depuis vingt mois et doit maintenant peser quelque dix kilos […] et nous n’en voyons pas la fin », m’écrit Ryckmans. Parce qu’évidemment, la hiérarchie de la bureaucratie couvre la bévue ; la justice protège la hiérarchie ; les pétitionnaires pétitionnent sans succès… (il ajoute craindre de ressembler au personnage du romancier qui, à force de raconter comme son enfant a été tragiquement dévoré par un loup, finit par arracher des éclats de rire à son entourage – roman chinois, pas belge).
« A un moment où notre pays est en crise, où les grandes institutions nationales titubent au bord d’une déliquescence presque terminale, n’allez pas croire que cette imbécile affaire de passeports ne vous concerne pas », déclarait-il à La Libre Belgique (mais ne s’adressant pas seulement à ses lecteurs) en juin 2008. « Ce n’est pas le sort de deux lointains inconnus qui se trouve en jeu – c’est de vous, c’est de nous tous qu’il s’agit », face à une bureaucratie « arrogante et stupide » (belge mais pas seulement).« Il serait bien naïf de penser que, dans nos régions bénies, la démocratie serait un acquis définitif – elle doit être perpétuellement reconquise et défendue ».
Une histoire vraiment belge ?