Dans la sphère politique le débat sur l’identité nationale a été imposé par le Front National à partir d’une problématique simple sinon simpliste : il y a « eux » et il y a « nous » ; et « eux » mettent en cause notre identité.
Cela a conduit à une surenchère politique pour définir le « nous ».
L’identité française c’est ceci, c’est cela…
Mais jamais la relation entre « eux » et « nous » n’est discutée ou mise en réflexion.
On ne peut parler seulement de l’identité nationale. La planète est devenue l’échelle de toute pensée et nous oblige à parler « des » identités qui se constituent, qui sont en mouvement et de leur rencontre.
L’autre peut nous surprendre, nous déranger. Sa culture peut-être à l’opposé de la nôtre ou simplement différente. Mais l’autre ne peut remettre en cause notre identité sauf par la destruction physique.
Faisons le choix de l’humanisme en se souvenant du poète et philosophe Édouard Glissant : « je peux changer en échangeant avec l’autre sans me perdre ni me dénaturer pour autant ».
C’est d’ailleurs toute l’histoire de la France et de l’accueil sur son sol de cultures différentes qui a enrichie notre identité et sans doute contribuée à la définir sur la base de valeurs pour toutes et pour tous.
Le caractère universel de notre devise : « Liberté – Egalité – Fraternité » a été reconnue par ces américains, ces belges, ces africains… qui lors des attentats en France affichaient le drapeau bleu blanc rouge à leur fenêtre.
La même pratique en France procédait d’un repli sur nous-mêmes, comme l’est la tentation de certains d’ajouter Laïcité à notre devise alors que la laïcité est un mode opératoire français de notre république qui n’est pas universel.
Si l’identité n’est « qu’une sorte de foyer virtuel » … « qui n’a pas d’existence réelle » comme l’exprimait Claude Lévi-Strauss (1) on ne peut en concevoir une seule définition et il y aura plusieurs définitions de l’identité française selon que l’on est riche ou pauvre, puissant ou pas.
Notre histoire a permis de définir des « imaginaires communs » dans lesquels le plus grand nombre se retrouvait. Ce fut sans doute des moments révolutionnaires dans lesquels les acteurs cherchaient à « faire trace ». Mais pour autant, ils ne voulaient pas imposer leur modèle à d’autres, ils répondaient aux espoirs du peuple français et s’attachait à défendre la maison commune qu’ils et elles avaient construit contre toute remise en cause interne ou externe au pays.
Bonaparte a pu apparaître comme l’ange Gabriel de la République mais il est devenu Napoléon. Margueritte Yourcenar dans « les mémoires d’Hadrien » a relaté combien est sage le conquérant qui reconnaît et préserve les cultures des pays qu’il conquiert.
Mais « la gauche » dont se serait pourtant la fonction, a abandonné depuis longtemps toute recherche d’imaginaire commun à proposer au peuple français, celui qui vit ici sur le même territoire. Elle n’a plus de projet culturel et nous sert à la place un galimatias « économiciste » insincère et peu à même de répondre aux aspirations d’un être humain.
Ainsi l’identité ne peut être abordée sans parler de la relation entre les identités. Cela concerne les relations humaines mais aussi les relations entre les états. Voici un autre développement bien peu traité dans le débat politique sur l’identité.
La « guerre des civilisations » annoncée par Georges Bush est pourtant bien là. Certes il s’agit de promettre la sécurité au peuple américain pour lui faire oublier combien l’ultralibéralisme et les guerres nombreuses qu’il détermine détruisent les valeurs mêmes de « leur » civilisation ainsi que leur sécurité. Mais cette « guerre » entretien aussi un mode de relation inégal entre les pays et bien peu respectueux de la diversité des identités.
Et Manuel Valls ne fut pas long en France à s’inscrire dans cette logique. On se souvient de ses propos lors de nouveau affrontements en Palestine. Il demandait qu’on n’importe pas dans nos quartiers une guerre de religion tout en désignant des ennemis de l’intérieur… bien français pourtant, comme nombre de terroristes aujourd’hui.
(1) Claude Lévi-Strauss cité dans un article de « Regards » de début octobre 2016
Les rapports entre le nord et le sud sont marqués du refus historique de reconnaissance des identités. La colonisation nie l’identité propre des peuples dont le territoire est occupé. Nos ancêtres les gaulois est une formule bien plus choquante appris pendant des années à des millions de jeunes du Maghreb de l’Afrique sub-saharienne ou du sud-est asiatique.
Et la religion catholique elle-même n’a pas lambinée à se tracer des chemins de « civilisations » dans l’ombre des occupants en foulant aux pieds tout autre croyance tout autre mode de vie et tout autre civilisation.
Aujourd’hui la domination dans les rapports entre le nord et le sud est d’abord économique mais elle reste marquée par un refus de reconnaître l’autre, les autres états, comme égaux dans la relation. Bien sûr ces rapports évoluent au fur et à mesure qu’émerge de nouvelles puissances économiques au sud. Mais c’est l’ensemble des rapports internationaux qui ne peuvent s’accomplir correctement sans que chaque pays puisse développer sa propre identité, socialement, culturellement et économiquement.
Il en est de même de la « belle idée européenne ». L’Europe ne peut se développer dans le cadre d’affrontements inégaux entre états. La règle unique ultra-libérale imposée par Bruxelles est directement issue de la position dominante de l’état dominant (l’Allemagne aujourd’hui) qui veut imposer son modèle en refusant d’autres « sociétés » à l’intérieur de l’Europe. Ce modèle n’a pourtant aucune chance d’être efficace dans d’autres pays que l’Allemagne. Et Sarkozy comme Hollande ont tort de vouloir l’imposer en cassant ce qui fait l’originalité sociale de notre identité nationale.
L’issue est dans la coopération librement développée ce qui suppose la reconnaissance d’identités économiques, sociales et culturelles différentes. Tout échange humain fructueux gagnant/gagnant ne peut se faire que dans la reconnaissance de l’autre, de son identité et de son altérité à nous même.
Ce n’est pas de l’angélisme, c’est de l’efficacité humaine.
Alors Messieurs et Mesdames les politiques arrêtez de vous empailler sur la définition de l’identité nationale et répondez simplement à la question de la relation entre « eux » et « nous ». Il s’agit de savoir dans quel monde nous voulons vivre et cela concerne au plus haut point toutes celles et tous ceux à qui vous vous adressez.