La querelle perpétuelle faite à Jean-Luc Mélenchon a-t-elle un sens ?
Oui bien sûr, pour au moins deux raisons.
D’abord parce qu’il symbolise la seule opposition à Macron porteuse d’une alternative à ce système libéral insupportable. C’est tellement vrai que « la nouvelle droite » des Macron Darmanin et autres Ciotti n’ont pas hésité à rompre avec leur tradition de républicain qui invitait toujours leurs électrices et leurs électeurs, dans le deuxième tour des élections, à voter pour les candidats opposés à l’extrême droite. Ils ont ainsi transformé leur défaite du premier tour en semi-échec. Mais le président ne peut plus gouverner sauf à utiliser tous les aspects les plus antidémocratiques de la constitution.
Et là, patatras ! cela renforce encore la place de Jean-Luc Mélenchon dont le programme portait haut l’exigence d’une sixième république qui aujourd’hui ne cesse d’avoir un assentiment populaire renforcé.
Il y a une autre raison à cet acharnement contre Jean-Luc Mélenchon. C’est que à gauche aujourd’hui, il est la seule figure présidentiable identifiée.
Dans le journal « Le Parisien » un article du samedi 6 mai signé par Julien Duffé et Pierre Maurer, rappelle que : « certes, personne n'a oublié que Jean-Luc Mélenchon et ses 22 % au premier tour de la présidentielle de 2022 a permis l'éclosion de l'alliance [NUPES] en rassemblant une gauche éparpillée ». Et en effet comment ne pas porter à son crédit cette transformation fondamentale du paysage à gauche.
Mais bien sûr le « certes » signifie qu’il faudrait maintenant qu’il rentre chez lui, qu’il prenne sa retraite et ne joue plus aucun rôle dans la vie politique.
Eh bien non.
S’il demande « à être remplacé » Il attend, et nous attendons tous, de savoir comment la continuité de ce qui a été fait depuis 10 ans est assurée.
François Ruffin dans une récente publication (1) a tenu à couper court aux volontés de l’opposer à Jean-Luc Mélenchon. D’une certaine manière il veut se situer dans la continuité de la démarche de Jean-Luc Mélenchon. C’était là sans doute une précision nécessaire compte tenu de l’habit social-démocrate que la « une » d’un journal lui avait fait endosser.
Mais incarner la continuité de ce qui est né et a grandi progressivement dans ces 10 dernières années n’est pas tâche facile.
Qu’il me soit permis de dire ici que je doute profondément que les contours - certes il s’agit d’une première ébauche - du projet qu’il nous décrit, permette la poursuite victorieuse de ce qui a été entrepris. Et je dis cela sans dénier bien sûr à qui que ce soit, et notamment à lui, le droit de se porter candidat à l’élection présidentielle. Mais convenons que nous devons savoir pour faire quoi et comment. Et convenons que cela nécessite un débat collectif auquel cet article souhaite contribuer. Dans un esprit positif.
Que dit François Ruffin ?
Il a une « intuition » : « il faut rassurer ».
Il examine aussi le fond, mais il insiste sur le fait que pour gagner, c’est une question « de ton » et que notamment le « sens commun » aurait rejeté la concurrence, le libre marché, la mondialisation et autres tares du capitalisme (lui n’utilise pas ce mot) au point que nous serions dans un temps « de détachement de l’idéologie dominante » en faisant référence à Gramsci auteur de ces mots.
Reprenons.
Pour moi quatre ans de Macron à venir c’est « le sang et les larmes » pour la plupart d’entre nous, et il n’y a rien là, de rassurant. La destruction de notre système social et démocratique se poursuit d’autant plus vite que Macron joue effectivement « le forcené » du libéralisme puisqu’il ne peut se présenter en 2027. Son cynisme de classe est sans égal, comme son mépris du peuple. Ne voilà-t-il pas qu’en demandant de tourner la page de la réforme des retraites il veut imposer aux syndicats de nouvelles réformes dont il sait très bien qu’elles n’ont pas leur accord. Ainsi en est-il de la réforme des lycées professionnels mais d’une manière plus fondamentale de tout ce qui touche au travail et aux salaires. Le mot salaire même est un mot qu’il ne connaît pas car il parle de revenus c’est-à-dire de primes et d’intéressement au capital dont il faudrait dès lors entretenir la rentabilité maximum contradictoire avec des hausses de salaires, de bonnes conditions de travail et une retraite qui permette tout simplement de profiter de la vie tout en continuant d’être utile à la société.
S’opposer à cette entreprise de destruction est une tache bien lourde qui suppose une réflexion commune avec le mouvement social en but aujourd’hui à la difficulté de « gagner » comme il le faisait quand le capitalisme acceptait encore de concéder une partie des richesses produites au salariat et à la redistribution de ces richesses en faveur du plus grand nombre. Il faut sans doute ouvrir une réflexion nouvelle sur la forme des luttes à mettre en place pour que les richesses ne continuent pas de s’accumuler toujours dans les mêmes mains, quelques soient les crises que nous traversons : sanitaire, sociales, écologiques. Bloquer les processus de l’accumulation des profits plutôt que bloquer le pays. Cela pose la question de savoir qui doit faire grève.
On est loin de la quiétude.
Une autre société ne peut se construire sans des pratiques « populaires » syndicales, sociales « en bas » conscientes de ce qu’il faut mettre en place pour revenir tout simplement à des politiques d’intérêt général. Cela suppose de penser, aussi, une pratique gouvernementale à venir sur des mesures en « rupture » avec les pratiques actuelles uniquement guidées par l’enrichissement à court terme des … plus riches. Et cette pratique du pouvoir ne peut se dispenser de l’assentiment actif des citoyennes et des citoyens. Cela demande des efforts et la conscience qu’il faudra imposer une telle voie à la minorité qui aujourd’hui tire toutes ses richesses de l’exploitation du plus grand nombre, du développement de la misère de la casse du travail et de tout notre système social.
Montrer que c’est possible ne doit pas cacher qu’il s’agit d’un grand effort national avec celles et ceux qui y ont intérêt.
Combien d’années faut-il pour revenir à un état satisfaisant de l’enseignement public ou de l’hôpital par exemple ? Combien d’années faut-il pour espérer construire un système productif respectueux de la planète et de notre écosystème ?
Combien d’années pour que des personnes aient de nouveau envie, tout simplement, de faire ces beaux métiers de professeurs ou de soignants ?
Oui, il y a de plus en plus de personnes qui se détachent de l’idéologie dominante et qui mettent en cause dans leur vie personnelle ce système qu’on veut nous imposer.
Dans la jeunesse oui, parmi de nombreux diplômés qui contestent le sens même de ce qu’on leur apprend. Dans le choix des gens pour de nouveaux métiers liés à la crise écologique. Tout cela est source d’espoir.
Mais comment fait-on pour élargir cette prise de conscience aux gens sous la tension constante de ce système de précarité qui réduit l’avenir à des opportunités de survie ?
Comment met-on en mouvement les millions de pauvres, d’exploités d’oubliés de la république ?
Les propositions que François Ruffin met en avant sont issues de notre programme. Mais il les qualifie de façon insolite. « Des réponses se font jour (dit-il) sans rien de révolutionnaires, plutôt de décence de bon sens ». Pour moi, mais peut-être ai-je mal compris, le mot décence est insupportable. Je n’ai jamais vu des pauvres ou des révolutionnaires être indécent. Je réserve ce mot à la bourgeoisie. Mais pourquoi opposer le bon sens à la révolution. Dans un autre passage de son texte François Rufin déclare : « Contre ce fanatisme du marché, les esprits ordinaires se sont révoltés, depuis un bail déjà, non par « idéologie », mais parce qu’ils en sont affectés très concrètement, côté emploi, … dans leur vie quotidienne … ».
Certes l’expérience de l’exploitation sert à la conscience, mais j’aime à considérer que les « esprits ordinaires » soient capables d’idéologie et de convictions qui dépassent leur intérêt personnel
Il faut rendre la révolution accessible en s’appuyant sur toutes les énergies en révolte contre ce système et qui parfois construisent des alternatives concrètes dans leur activité sociale professionnelle ou associative.
Et pour cela poursuivre les efforts pédagogiques autour de propositions qui soient en « rupture » avec les logiques financières et de concurrence imposées par le marché comme autant de pistes d’avenir. Et c’est en nous tournant vers l’ensemble de notre peuple pour lui montrer à la fois ce que nous voulons faire et ce qui est nécessaire pour changer les choses que nous pouvons créer les conditions de la victoire.
Nous sommes encore en chemin.
Les intentions de vote de 30% pour Edouard Philippe, investi par les journalistes comme successeur potentiel de Macron, ajouté aux 22% du RN et au 8 ou 9% de Zemmour démontrent peut-être que les électeurs et les électrices recherchent plus une alternative à Macron qu’une alternative à ce système capitaliste.
Mais nous avançons. Notons avec satisfaction que le « noyau dur » des intentions de vote en faveur de LFI ne cesse de progresser : autour de 7% après 2012, de 11 ou 12% après 2017, et autour de 18 ou 20% après 2022.
C’est sans doute le résultat d’un travail incessant de clarification sur l’existant et de conviction sur le projet alternatif qui permet cette progression
Et c’est ce travail de contenu qu’il nous faut poursuivre en nous efforçant de l’élargir à toute la NUPES. Ce n’est pas simple ? Mais ce n’est pas impossible tant cette « gauche » est sous la pression d’un peuple qui lui demande d’incarner une alternative unie. Et cette alternative c’est la NUPES.
Des journalistes « bien informés » multiplient la transmission de quolibets ou de remarques dans les échanges interpersonnels qui ont eu lieu au sein de la dernière rencontre de cette alliance.
Heureusement que le plus grand nombre n’est pas au courant de ces querelles sur le savoir-vivre entre partenaires. Ce qui est demandé à la NUPES ce ne sont pas des échanges d’amabilités mais simplement qu’elle continue d’exister et de travailler à être toujours mieux une alternative crédible au système invivable dans lequel nous sommes. Cela passe par un approfondissement des politiques qu’il faut mener en France en Europe et dans le Monde et par la présentation de listes qui nous rassemblent dans toutes les échéances électorales à venir. C’est le seul débat sérieux à tenir.
Pour notre futur candidate ou candidat « unique » en 2027, prendre son bâton de pèlerin n’est pas une sinécure. Espérons que les postulantes et les postulants en soient bien conscients. Un grand mouvement populaire devra les soutenir. Souhaitons qu’au sein de la France insoumise en tout cas, l’émulation prédomine. Une émulation a même de nous permettre de constater qui est la, ou le, mieux préparé pour porter ce projet complexe de transformation de notre société.
Nous savons que Jean-Luc Mélenchon est capable de le faire.
Mais je pense que nous n’avons pas encore trouvé celle ou celui qui apparaît capable de faire mieux. Sans doute la fonction transforme. Mais il faut convaincre et convaincre qu’on avance dans la même voie qui, si elle ne nous a pas encore permis de gagner, à transformé les espoirs du peuple révolutionnaire comme jamais depuis 40 ans.
Et dans le même temps efforçons nous de faire en sorte que la France insoumise devienne un mouvement fort de centaines de milliers de personnes « militants politiques » à la façon qui leur convienne dans le respect des différences de chacune et chacun, pour devenir le mouvement révolutionnaire dont nous avons aussi besoin pour faire mieux.
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