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Billet de blog 1 décembre 2013

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Coffret Robbe-Grillet : 9 DVD fantasmagoriques au soufre sensuel intemporel ! (suite)

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L’immortelle (Drame, 1963, 97 minutes en N et B) réside du côté d’Istanbul. Un prof de français en mutation y vient pour crécher son savoir devant le tableau noir. Il y rencontre cette femme mystérieuse à la fois Lalé, Eliane ou Lucille, en fonction de leurs pérégrinations. Vision très personnelle à la limite du documentaire selon un Robbe-Grillet bien inspiré : « C’est au contraire un Istanbul parfaitement imaginaire, réduit à des surfaces, à des stéréotypes, exotiques et sexuels  ».

Trans-Europ-Express (Drame, 1966, 94 minutes, N et B) ou le voyage en train forge l’imagination d’un réalisateur (Robbe-Grillet lui-même dans son propre rôle), sa scripte femme (Catherine) et son producteur. Ils inventent Elias (Jean-Louis Trintignant), un personnage apprenti trafiquant de came dans une valise à double fond. L’organisation qui l’emploie pour la première fois ne sait pas encore s’il saura se rendre capable de maîtriser ses pulsions sexuelles SM. Il joue parfaitement son rôle d’attacheur, arracheur de vêtements et pour la totale : étrangleur à Anvers. La beauté en toute jeune femme prostituée interprétée par Marie-France Pisier m’a troublée, je dois l’avouer. « Le sujet réel de Trans-Europ-Express est moins l’aventure elle-même que l’imagination créatrice en train d’inventer cette aventure, de l’inventer peu à peu et de la remettre en question à tout moment  ». (Alain Robbe-Grillet)

L’homme qui ment (Drame, 1968, 93 minutes, N et B) est tourné en Tchécoslovaquie. Nul n’est censé ignorer que c’est l’année ou les chars russes staliniens ont envahi ce pays au nom de leur hégémonie pour y prêcher la faucille et le marteau du grand bloc soviétique. Le film y fait consciemment ou inconsciemment écho ! Puisqu’il se déroule dans un pays occupé par les allemands lors d’une guerre civile de libération. « A la base de l’homme qui ment, il y a une maison, une espèce de château à moitié en ruines, où la disposition des pièces, des couloirs, des galeries et des escaliers donne lieu à une problématique des parcours. (…) Plus Trintignant s’avance dans son récit, plus il dit des choses qui ne tiennent pas debout, et plus il a l’air d’y croire, car le problème pour lui, c’est n’est pas la vérité, c’est la persuasion. Plus il dira des choses folles, plus il sera intéressant pour lui d’être cru  ». (Alain Robbe-Grillet) Le château en question me fait penser à celui de Kafka…Trois femmes mystérieuses d’une beauté éclairée s’y adonnent à des jeux cruels. Il s’agit de l’un des films les plus expérimentaux de Robbe-Grillet bien senti d’une partition sonore de Michel Fano qui se fend parfaitement dans le décor naturel.

Eden et après (Drame, 1970, 94 minutes, Couleurs) Violette alias Catherine Jourdan qui n’a joué pour ainsi dire que chez Robbe-Grillet, avant de vivre plusieurs années en recluse à Paname, interprète une jeune étudiante désœuvrée. « Dans notre vie studieuse et inutile, il ne passe jamais rien  ». Jusqu’au jour où entourée de ses amis et buvant de la limonade au quinquina ou à la cocaïne, un homme mur, un certain Duchemin croise leur destinée au café Eden. Ils avaient l’habitude de s’échapper de la triviale réalité dans des scénettes où se jouaient les troubles de l’amour dans des cérémonies funèbres. Duchemin électrise Violette et tout le groupe à le suivre dans des mises en scènes abruptes. Il les fait entrer dans les labyrinthes de ses fantasmes. « Les éléments qui me viennent directement sous la plume ou la caméra, ce sont évidemment ces murs qui nous enferment et nous écrasent : la peur, l’angoisse, le sadisme, ect. Oui, le labyrinthe m’apparait comme un matériau qui demande à être parlé. Il se trouve que j’ai découvert en Tunisie des labyrinthes merveilleux, mais beaucoup plus anciens  ». (Alain Robbe-Grillet) Tourné à la fois en Tchécoslovaquie à Bratislava et en Tunisie, on suit à la trace les bottes de Catherine Jourdan, blonde fugitive se mouvant danseuse en escapades nocturnes dans les docks, jusqu’au bord de la Méditerranée. Les couleurs chaudes transpirent sous sa mini-robe mascara ras les fesses et ses gambettes de gazelle courent après son destin tragique à retrouver Duchemin qui veut la sculpter dans l’argile de ses mains. Les jeux de rôle dans leurs diversités, ouvrent de nouveaux horizons aux personnages dans leur dédoublement de la personnalité. Une nouvelle fois, grâce au talent du décorateur thèque, Robbe-Grillet compose la salle du café avec des panneaux mobiles en couleur à la Mondrian. L’art toujours d’accommoder le récit, il interprète à l’écran un nu de femme brune descendant l’escalier que n’aurait pas renié Marcel Duchamp. Je ne parle même pas du travail de titan et d’artisan de la part du chef opérateur qui distille une lumière dans les tons bleutés qui se confond avec les volets des maisons en Tunisie. Les jeunes acteurs mâles tournent autour de Catherine prêts à s’entretuer pour obtenir ses charmes et un certain tableau, élément récurent, carte postale, qui relie l’action de l’Est au pays du soleil.

N. a pris les dés (Drame, 1970, 75 minutes, Couleurs) film, avec les mêmes plans qu’Eden et en plus certains rushes, pour un montage spécial petit écran. On y retrouve les mêmes personnages sous des blazes différents. Certains deviennent les narrateurs qui racontent à leur façon le récit. C’est une autre histoire qui se déroule sous nos yeux. Un jeu où l’on jette les dés sur l’image qu’on avait gardé d’Eden. Réalisé spécialement pour la télévision sous l’égide de l’ORTF, gare aux histoires de fesses ! Robbe-Grillet taille dans le lard de ses images qui pourraient provoquer un infarctus chez un public trop sensible. Ce qui est remarquable dans ce film, c’est qu’avec une délectable dérision, il crache presque sur son support grand public. Les histoires à la télé sont faites pour endormir. Jusque dans le mot écrit au dos de la fameuse carte postale d’Eden : « Bravo, vous avez gagné une machine à laver. (…) Les jeux à la télévision sont absurdes ». Le jeu encore le jeu au petit écran, les jeux ne sont Jamais faits d’avance. Tout dépend aussi de la personnalité du joueur… Avis aux voyeuses et voyeurs bien au chaud dans leur chez soi. Comme un cours de sémiologie de l’image par un prof foncièrement subversif. « Cher téléspectateur, téléspectatrice, vous qui allez sortir de chez vous, restez devant l’écran, il y a peut-être une petite chose à laquelle vous n’avez pas pensé. Un jeu, ça ne signifie jamais rien à l’avance. C’est le joueur qui invente la partie et le joueur c’est vous. Les images que votre regard dérobe ici et là, ce ne sont pas des images. Elles n’ont pas de sens attaché à elles comme une nature indélébile. Elles n’ont pas d’autres sens que celui dont vous avez fait vous-même le choix. L’ordre rassurant. L’ordre désespérant, c’est vous qui le faite, par paresse ou par peur. Juste le film  ». Juste le film qui reste ouvert en regard d’un autre Eden revu et corrigé, adapté mais tout autant hermétique, ce qui lui donne tout son charme d’ailleurs.

Glissements progressifs du plaisir (Drame, 1974, 102 minutes, Couleurs) film peu cher tourné rapidement dans lequel Robbe-Grillet s’est éclaté au montage. Il ressemble à un film cri contre les institutions de la justice, la police et l’église. Les corps peints en signe de révolte, il l’avait déjà inventé en images avant les FEMEN. Une jeune fille (Anicé Alvina) est suspectée du meurtre de sa petite amie (Olga Georges-Picot) qui joue les contrastes avec le cheptel des jouvencelles à peine sortie de l’adolescence et se cambre des seins épanouis. Anicé se retrouve écrouée vive dans une maison de redressement tenue par des religieuses perverses et avisées des choses sensuelles entre femmes. Un pasteur et un magistrat perdent la tête à son contact. Quant à son avocate, comme une nouvelle fois chez Robbe-Grillet, elle revêt les atours de sa petite amie défunte. On remarquera la trop brève intervention d’Isabelle Huppert à ses balbutiements et Trintignant qui apparait pour le plaisir. La religieuse de Diderot fut souvent revisitée au ciné et c’est au tour de Robbe-Grillet de se convertir, sans pervertir cette fois, un Michelet aux accents presque libertaires. « Tout le monde connait l’image que Michelet nous a laissée de la sorcière : jeune et belle, accusée d’un crime, elle veut briser le carcan de l’ordre établi en se tournant du côté de l’interdit. (…) Subvertissant à la fois l’ordre moral et l’ordre narratif, l’héroïne de ce film oppose au moule préfabriqué qu’on lui demande de remplir la glissante mobilité de ses inventions et de ses plaisirs. Elle incarne ainsi ce que le Moyen Age appelait « esprit du mal » et que Michelet nous montre au contraire comme l’honneur de l’espèce humaine : son goût violent pour la liberté »

Jeu avec le feu (Drame, 1975, 108 minutes, Couleurs). Année 75, année érotique, non année pornographique, pour paraphraser Gainsbourg. Avec en cet été l’explosion d’un cinéma très physique et plus du tout textuel dans lequel Robbe-Grillet n’y retrouvait pas son fouet. Lors du tournage, il a bénéficié de fric. Il s’en ait donné à cœur joie pour tourner dans les lieux baroques qui lui distillaient toute sa verve sensuelle autour du thème tabou de l’inceste entre un père (Philippe Noiret) et sa fille ado (Anicé Alvina). Trintignant joue quant à lui le chef des ravisseurs qui fait enlever des jeunes filles de très bonnes familles contre rançon et un stage dans un bordel de luxe pour maniaques sexuels sous les tentures de l’Opéra-Comique et des airs de Verdi. Les beautés pas farouches défilent sous l’objectif du réalisateur aux anges à donner des ailes à de jeunes pucelles à l’écran. Sylvia Kristel n’avait pas encore éméché les fantasmes affirmés à deux francs six sous, puisque son Histoire d’O déjà tournée est sortie après Jeu avec le feu. Et la Christine Boisson sublime et intime était emballée du même écrin que la Kristel. Sans bobo pour elle et sans être grillée à se cantonner dans des films érotiques pour grand public à l’imaginaire restreint. Christine joue la sosie en plus femelle et plus convaincante d’Anicé Alvina dans le rôle de la jeune Carolina, fille du riche banquier Georges de Saxe. Le banquier engage Trintignant en tant que détective pour retrouver et sauver sa fille. Vous l’aurez compris, les acteurs mâles dans ce film épousent deux rôles contradictoires. Ainsi Noiret est à la fois le père et le client du bordel qui se paye à la fois Anicé Alvina et Christine Boisson. Robbe-Grillet ne s’en cache pas : « Nous sommes tous double, je sais que j’ai des doubles  ». Il y a aussi des scènes bien plus comiques que celles des Tontons flingueurs, qui ont pris de l’embonpoint et trop de rides. Qui l’eut cru chez Robbe-Grillet  ? Moi, jamais ! On y trouve même des clins d’œil aux spectateurs jusque dans la scène finale où Trintignant nous interpelle sur l’air goguenard de l’acteur qui s’est bien amusé : « J’ai rien compris au scénario, mais j’crois que c’était ça  ! »

La Belle Captive (Drame, 1983, 85 minutes, Couleurs) Gabrielle Lazure rayonne littéralement de sa présence envoûtante sous ses tenues en drapés transparents, dont elle nous emprisonne de son charme certain. Catherine Robbe-Grillet souligne d’ailleurs qu’elle en faisait peut-être un peu trop sous ses faux airs d’exhibitionniste. L’autre héros se situe rue Gounod à Saint-Cloud, sous l’effigie d’une villa qui inspira aussi Jacques Rivette à fiche en l’air L’Amour par terre. Villa dévastée, à l’abandon, territoire rêvé pour un cinéaste fantasmagorique. Daniel Mesguich en Walter, agent d’une police parallèle obéit à sa supérieure hiérarchique Sara Zeitgeist (Cyrielle Claire qui ne craint jamais personne en Harley Davidson la peau moulée à son cuir double peau). Il reçoit l’ordre de remettre un message à un homme qui a un nom comme un trombone surmonté d’une particule. En chemin, il se détourne de sa mission. Tombe raide dingue en coup de cœur très physique pour la belle Gabrielle. Celle-ci disparait de sa vision nocturne pour rééditer sa présence à terre gisante et blessée sur la chaussée. Il lui porte secours. Ils pénètrent dans une étrange demeure… On retrouve la thématique du fantôme, comme dans Immortelle où un homme succombe à une femme dont un Docteur Mabuse prescrit dans sa logorrhée abrupte : «  La plupart des gens que vous croisez dans la rue sont des morts  ». Et quand en plus la Gabrielle apprécie s’abreuver au cou de ses victimes… C’est un cauchemar vivant qui morfond Walter. Alors gaffe à la gaffe. «  L’ange de la mort, personne ne peut savoir à l’avance quel visage il aura. Et quand il apparait pour la première fois, personne ne peut le reconnaitre. C’est un visage aussi bien doux que tendre. Lorsqu’il découvre soudain ce qui se cache derrière, il est trop tard. » Robbe-Grillet vénère aussi se perdre dans les labyrinthes de tableaux. Magritte et Manet fondent la pellicule à l’écran dans un sursaut créatif de génie. « Magritte a peint cinq ou six toiles sous le titre La Belle Captive, avec l’autorisation de sa veuve, j’ai imaginé une septième variante, où l’on retrouve les éléments essentiels de l’original. (…) Derrière le monde visible, il y un autre, qui ressemble exactement au nôtre mais qui est faux ; et tous nos actes ont leur double dans ce monde-là  ».

C’est Gravida qui vous appelle (Drame, 2006, 116 minutes) John Locke n’est pas le philosophe de l’entendement humain que l’on sait, mais le blaze du personnage principal du film et critique d’art anglais. James Wilby au demeurant charmant garçon qui l’interprète vient s’installer à la périphérie de Marrakech pour se plonger dans la peinture orientaliste et l’œuvre de Delacroix. Il fantasme sur des esquisses du grand maître dans l’aventure de ses recherches. Durant ses déplacements en moto, il croise la présence éthérée et très féminine d’une blonde flamboyante : Arielle Dombasle parfaite pour le rôle en impudique spectre qui hante le présent pour absoudre son passé tragique. Elle lui déride les sens à se plonger dans sa vie tumultueuse. De crime en pire, il remonte la piste jusqu’à un cabaret clandestin où se jouent des scènes turco-sadiques avec la présence fatidique Arielle qui s’illustre encore. « Il y a trop longtemps hélas que mon corps n’éprouve plus le chaud ni le froid. Ce costume est désormais le mien pour l’éternité. Il a été celui de mon dernier supplice  ». Et la nouvelle Arielle actuelle qui jacte : « Je suis comédienne de rêve. Je joue dans les rêves des gens de façon toute naturelle. Le monde des rêves est aussi réel que celui de la vie éveillée  » (Pince-moi Arielle si je rêve !) Dans ce film, Robbe-Grillet introduit par des petits flashs ses films antérieurs. Au seuil de sa mort, il s’éclate au paroxysme de son cinéma, à déchainer tous ses fantasmes, toujours dans un extrême souci d’esthétisme troublant, sur des airs à l’écran de Madame Butterfly de Puccini. Clin d’œil à nouveau également à la peinture et ses couleurs dans le caractère de ses personnages mis à nu et des paysages. «  En 1882, Eugène Delacroix voyage en Afrique du Nord. Là-bas, il produit huit carnets d’esquisses qui sont comme les prémices de ce grand mouvement qu’on appellera ensuite « L’Orientalisme ». Or, de ces huit albums, seuls six sont parvenus jusqu’à nous, deux ont été perdus  ».

En conclusion, après ma découverte saisissante, je tenais à rendre un hommage appuyé à son œuvre cinématographique qui vaut vraiment le détour. Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le cinéma de Robbe-Grillet par Robbe-Grillet lui-même, comme un sursaut de liberté de créer. « Ce qu’il faut, ce n’est pas fermer les yeux sur ses fantasmes, ni prétendre guérir les gens de leur vie imaginaire – ce serait à la fois illusoire et néfaste – mais leur apprendre à dominer ces images qu’ils créent spontanément et que la société se charge à leur insu d’alimenter. (…) Je vois dans la condamnation dont on m’accable souvent un bel exemple de puritanisme : la censure inconsciente du plaisir est sans aucune doute une des tares bourgeoises, qu’elle se dise ou non révolutionnaire  ».

Coffret Robbe-Grillet, 9 DVD, sortie le 6 novembre 2013, 79,99 euros, distribué par Carlotta Films, nouveaux masters restaurés

Suppléments, 8 préfaces de Catherine Robbe-Grillet, 7 entretiens avec Alain Robbe-Grillet par Frédéric Tadeï, 8 bandes annonces, Le livre Somme de 132 pages « Alain Robbe-Grillet, le voyageur du Nouveau roman » (chronologie illustrée 1922 / 2008, la reproduction du livret « Transes » issu du film « Trans-Europ-Express »

Rétrospective Alain Robbe-Grillet au cinéma, quatre films : Trans-Europ-Express, L’homme qui ment, L’Eden et après, Glissements progressifs du plaisir

http://www.carlottavod.com/film-776-retrospective-alain-robbe-grillet.html

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