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Billet de blog 2 décembre 2013

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« La porte du paradis » en enfer pour Cimino enfin réhabilitée et consacrée!

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A la sortie en 1980, ce film issu du cinéma d’auteur a été massacré en période pré Reagan / haine. De la guerre civile, véritable guerre sociale entre les propriétaires terriens éleveurs et les nouveaux immigrants d’Europe de l’Est en 1890, Cimino dresse le portrait de cette autre voix de l’Amérique et de la mémoire des révoltés. « La Porte du paradis » western noir, véritable chef d’œuvre monumental ressort enfin en version intégrale dans un nouveau master restauré et supervisé par Cimino lui-même ! Histoire aussi de réhabiliter ce film hors norme d’une puissance intacte et bouleversante en images. Comme un hommage aux résistants contre le fascisme ordinaire de la propriété privée qui tuait déjà  à cette époque et massacrait sans se priver.

Après quarante ans de carrière et à peine 7 films à son palmarès des largesses cinématographiques, Cimino peut s’enorgueillir d’avoir tissé au moins deux toiles inoubliables : « Voyage au bout de l’enfer » (1978) et « La porte du paradis » (1980).

Porté par le succès éclatant de son « Voyage au bout de l’enfer » dont je vous ai déjà parlé très récemment, et malgré les critiques de la gôche caviar, style Jane Fonda qui traita Cimino de fasciste et réac, c’est avant tout le contexte culturel  historique et hystérique des années 80 aux Etats-Unis qui porta en enfer dès la première semaine de projection « La Porte du paradis ».

En effet, en regard d’un public halluciné et abusé par les grosses productions, à se vider les neurones par les nasaux sous le regard bienveillant du chapeau texan d’un Reagan bientôt élu aux suprêmes œuvres de la réaction en chaîne…. Cimino ne pouvait pas lutter contre la mort annoncée du cinéma d’auteur. « La guerre des étoiles », « Superman » et « La fièvre du samedi soir », parmi les plus célèbres nanars de cette époque formidable, avaient de la gueule et de quoi le rendre malade à vomir et nous avec.

Le public bonard était enclin à rêver d’un cinéma de distraction à ne surtout pas lever certains lièvres sociaux de l’histoire des Etats-Unis, qui couraient dans le silence absolu des archives. Les Indiens avaient eu leurs heures de gloire dans plusieurs films qui donnaient enfin la parole à leur déculturation et les massacres dont ils avaient été victimes au profit des colons européens. Ces nouveaux conquistadors aux dents longues assoiffés rêvaient de richesses, d’or et de terres, d’un nouvel Eldorado peuplé par les peuples premiers très vite scalpés et effacés de la carte.

Mais de là à exprimer les ressorts d’une guerre civile aux accents de guerre sociale….. Nos contemporains ricains, à propos de leurs descendants colons qui se vautraient déjà confortablement dans les formes d’un capitalisme exquis de la libre entreprise, ne pouvaient accepter la triviale réalité sanglante, au nom de la démocratie en dents de scie. Quant à l’assassinat en masse des colons venus d’Europe de l’Est par d’autres colons déjà propriétaires et représentants du rêve américain sur le cadavre des Indiens, la mémoire américaine jouait en sourdine l’oubli.

Le cinéma américain, avec sa bonne conscience habituelle, ne s’était jamais encore trop risqué officiellement sur cette thématique taboue de la lutte des classes. A part peut-être, John Ford et son adaptation en 1940 du roman de Steinbeck « Les raisins de la colère ».

« La Porte du paradis » traite d’un temps où l’on luttait désespérément pour devenir américain. Certains étaient déjà un peu assimilés, d’autres ne l’étaient pas du tout, mais tous voulaient à tout prix être américain. D’une certaine façon, c’est un film sur l’Amérique qui s’efforce de devenir l’Amérique » (Cimino)

Je pense aussi à l’extension du domaine de la lutte vers le Mexique, au film baroque et jamais toc du père Sergio Leone : « Il était une fois la révolution ». Dans lequel s’illustre James Coburn, en ex militant de l’IRA qui lit Bakounine et se transforme en poseur de bombes à la nitroglycérine et en as de l’action directe, pour planquer à couvert son blaze de Sean l’irlandais, qui résonne comme une litanie musicale sous le tempo magique du maestro Ennio Morricone.

Pour la petite histoire qui a inspiré le film de Cimino, la guerre du comté de Johnson dressa les hordes d’immigrants slaves et allemands en haillons à venir s’installer dans le Wyoming, comme cultivateurs. Profitant du Homestead Act de 1862, ils avaient acheté un simple lopin de terre, sans que pour autant celui-ci ne soit régularisé par un titre de propriété officiel. Les éleveurs de troupeaux et propriétaires des verts pâturages, craignant de perdre leurs terres, accusèrent ces étrangers d’être pour la plupart des voleurs de bétails et des anarchistes. Ils recrutèrent des mercenaires et couchèrent des noms d’immigrants sur une liste noire afin de les éliminer.

La fameuse grande bataille à la fin du film qui fit se rencontrer sous le feu nourri des armes, les immigrants et les mercenaires, n’a pas eu lieu. Le président Benjamin Harrisson, le gouverneur et le sénateur que le film met en jachère comme les premiers responsables de cette guerre civile, firent leur possible pour éviter le massacre. Mais, comme de bien entendu, ils se situaient   du côté du manche des cognes et lavèrent les mercenaires de toute accusation.

Quand l’osmose de toute l’équipe du tournage autour de son sujet faisait corps avec son cinéaste homme-orchestre, il pouvait se passer des phénomènes qui dépassent l’entendement. Cimino nous conte justement la fin de la fameuse bataille qui a sollicité un mois de tournage et s’est achevée dans l’apothéose naturelle sur le territoire des Indiens !

« Alors qu’on achevait la séquence de la bataille – à la fin, après quasiment un mois de tournage, dessus – le tout dernier jour pour le tout dernier plan, celui où Kris s’éloigne à pied, j’ai senti qu’il fallait que le vent souffle sur le champ de bataille. On n’avait rien prévu pour créer du vent. Mais j’ai levé la main (dans un geste d’imploration plus qu’autre chose), et le vent s’est levé ; j’ai relevé la main, et le vent a soufflé plus fort. Evidemment l’équipe était sidérée ».

Cimino, de même qu’avec la guerre du Vietnam dans son fameux précédent film prit ses aises avec la réalité. N’en déplaise aux historiens constipés. Grand bien lui en prit. Il s’inspira d’une situation qui a existé pour broder certains personnages qui sont bien réels, pour les introduire dans la danse de cette épopée de la lutte des classes déjà particulièrement cruelle.

On suit entre 1870 et 1903 la vie de James Averill revue et corrigée par Cimino et son action en tant que sheriff du comté de Johnson, qui s’engage contre l’injustice aux côtés des immigrants. Frais émoulu sorti de la promotion 1870 de Harvard et de la société aristocratique, il va oser se déclasser, mais aussi bien vite rentrer dans le rang lors des toutes dernières images du film, à se couler, complètement désabusé, des jours tranquilles au fil de l’eau dans les bras de son tout premier amour endormi de la fac. Pour la romance et pour accrocher les spectatrices et les spectateurs à l’écran durant plus de trois heures, Cimino a pris le pari fou de nous intéresser au trio amoureux. D’abord formé par James (Kris Kristofferson chanteur folk engagé et acteur quand l’occasion se présentait, mais aussi capteur d’une chanson de Janis Joplin dans son lit et pour son plus grand profit).

« Je partageais les valeurs de mon personnage. Il avait la même conscience de ce qui allait de travers. Il avait la même conscience que moi quand j’allais au Nicaragua ou au Salvador où  mon gouvernement se comportait si mal ».

Il prodiguait sa couche dans le film à Ella, une tenancière de bordel aux taches de rousseur ravageuses (la jeune Isabelle Huppert magnifique et magique comme toujours).

« C’est donc une femme prise entre deux hommes. Il y a aussi cette relation ambiguë d’admiration, d’attirance entre les deux hommes, et tout ça est présenté de façon assez naturelle et évidente. Du coup, les personnages vivent leur situation de manière positive et assez presque naïve ».

Et enfin un autre beau mec en la personne de Nathan (Christopher Walken ressuscité de la roulette russe du Vietnam, en gâchette experte du syndicat des éleveurs, qui retourne sa veste pour l’amour d’Ella inscrite sur la liste noire).

Jules et Jim revisité à une époque où l’on jouait la vie brève et où il fallait choisir son camp, combattre ou mourir pour ses idées et la liberté.

A bout de souffle, à la Mostra de Venise en 2012, Cimino présentait sa nouvelle version remastérisée et restaurée du film et se confiait : « Ma première réaction a été : je ne veux pas revisiter « La Porte du paradis ». J’ai subi suffisamment de rejet durant 33 ans. Grâce à la technologie numérique qui n’existait pas à l’époque, j’ai pu faire des changements, notamment dans les couleurs. (…) En le voyant avec cet équipement numérique, c’était comme un nouveau film ».

Le tournage a duré 7 mois dans des conditions extrêmes et des contrées sauvages, où l’on pouvait passer les quatre saisons de Vivaldi en relief durant la même journée ! Trois heures de piste étaient nécessaires pour rejoindre le plateau. Cimino était capable d’œuvrer pour la reconstruction d’une ville pour les besoins du film et faire jouer ensemble 1200 figurants.

« L’une des plus grandes difficultés a été de réunir suffisamment d’artisans qualifiés dans chaque domaine de production. Par exemple, à un moment donné, on avait quatre équipes de construction à l’œuvre : deux dans le Montana (…), l’autre à l’ouest et toutes deux en terrain montagneux, une à Denver (pour la reconstruction du train qui a ensuite été transporté dans le Montana et l’Idaho), et une dernière équipe plus fournie à Wallace, dans l’Idaho, pour la construction du plus grand décor du film, celui de la ville de Casper. A cela, il fallait ajouter l’équipe équestre (qui a pu représenter jusqu’à 80 ou 90 personnes), une quarantaine de cascadeurs, et l’équipe de production habituelle. En tout, on devait être dans les 400 » (Cimino)

Le personnage de James Averill, beau blond ténébreux plein de charme et d’entrain se joue de la mélancolie, véritable frein à sa vie. Il arrive toujours en retard sur l’action dans un ballet anachronique et une valse entre le présent et le passé.

Isabelle Huppert, quant à elle, mange la vie et respire toujours avec joie et sensualité.

Il me faudrait aussi parler de tous les personnages secondaires très attachants de l’immigration russe et allemande et du bal grandiose à patin à roulettes sur une musique qui marie toutes ces cultures à la perfection. Il est à n noter un fait très rare à l’écran, les musiciens jouaient réellement. Et puisque j’en viens à la bande son, un énormmmmmmmmmmme bravo à David Mansfield, lui-même issu d’une famille d’Europe de l’Est, qui à l’âge de 22 ans ayant déjà tourné avec Bob Dylan, a composé l’univers musical hétéroclite et très riche de ce film.

Un autre personnage intemporel mais qui nous emplit les quinquets de sa grandiose éloquence et peuple presque tous les plans de ce film, je veux parler des paysages époustouflants. Et ce n’est pas Cimino qui me démentira son parti pris d’esthétisme !

« Oui, chaque chaîne de montagne possède une couleur, une esthétique, une qualité propre. On va choisir une chaîne de montagne plutôt qu’une autre, une vallée plutôt qu’une autre, une rivière plutôt qu’une autre. Et une fois qu’on a choisi telle rivière, telle montagne et telle vallée, ainsi que tels types de costumes, l’esthétique générale s’impose d’elle-même. »

C’est encore un film grandiose et magistral autour de la fraternité humaine dont Cimino est emprunt. Grâce aux efforts de sa productrice, il ressort enfin dans sa version restaurée, sous forme de coffret très complet ou en simple DVD double. Dans les deux cas, vous voyagerez à l’Ouest d’un western noir pas du tout terne et si vivant, des révoltes américaines d’une population qui a affronté tous les affres de la vie à l’aube de ses origines européennes pour vivre tout simplement en tant que cultivateurs. Le délit de sale gueule et les préjugés de la haine ordinaire, on les retrouve encore de nos jours dans tous les pays où la crise sociale prend son essor dans un monde capitaliste pourrissant. Rien de changé à l’Ouest de l’Eden où le paradis prend forme et conscience d’un voyage au bout de l’enfer.

Merci monsieur Michael Cimino pour votre œuvre de titan à nous raconter des histoires de gens vrais et simples qui nous ressemblent tellement.

A voir ou à revoir dans sa version intégrale et prendre un malin plaisir à ce film, à couper le souffle, au nom d’une révolte (une de plus) légitime des ancêtres, après les Indiens les premiers habitants de l’Amérique. Effort de mémoire toujours et hommage fraternel à ces populations portées par l’indignation naturelle pour survivre selon leurs bons droits.

Je retiendrai aussi de ce film surtout l’image de tous ces immigrants pauvres mais joyeux et dignes qui malgré leurs différences de culture et de géographie physique dansent ensemble sur des accents lancinants musicaux, dans la salle toute en bois du parquet au plafond. Ils nous interprètent un air de fraternité universelle et de solidarité qui me bouleverse, à chaque fois que je visionne en boucle cette scène. Un dispositif de plusieurs caméras était disposé pour tourner durant plusieurs jours, afin même de nous restituer en toute spontanéité la chute par inadvertance des héros, qui se relèvent avec le sourire, au point de nous les rendre encore plus réels et proches.

Cette salle de danse et de réunion pour inventer la révolution en actes de survie, ne s’appelait-elle pas justement : « La Porte du paradis » ?

La Porte du paradis de Michael Cimino, nouveau master restauré disponible en coffret prestige limité et numéroté en double DVD et double Blu-Ray disc collector, Couleur, durée du film 208 minutes, distribué par Carlotta Films, 20 novembre 2013

Coffret : le film, 2 heures de suppléments, l’introduction de Michael Cimino, les bandes annonces d’époque et 2013, « Retour au paradis » une conversation fleuve et exclusive avec Michael Cimino dirigée par Michael Henry Wilson auteur de Eastwood par Eastwood, 4 entretiens exclusifs avec Kris Kristofferson, Jeff Bridges, Isabelle Huppert et David Mansfield, la restauration, le CD et la bande originale du film, la reproduction exclusive de la Bible du Tournage de Michael Cimino (288 pages), la reproduction du livret (20 pages) distribué lors de la première du film, un portfolio (44 pages) composé de photos de plateau réalisés par Susan Geston Bridges, un livret (56 pages) regroupant un essai de Jean-Baptiste Thoret et de nombreuses archives.

Version double  DVD et double Blu-Ray disc, avec comme suppléments : un livre exclusif de 36 pages par Jean-Baptiste Thoret « Illusions perdues et retrouvées à propos de La Porte du paradis de Michael Cimino + 2 heures de suppléments inédits en HD.

Carlotta Films : « La Porte du paradis »

http://www.carlottavod.com/video-1970-la-porte-du-paradis.html

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