Et ça change tout ! Car Sen dit qu’il ne suffit pas d’avoir des marchés liberalisés pour que ça roule, parce que tout le monde n’a pas la même capacité à bénéficier du système. Dès lors, l’économie ne peut pas tout et la politique entre dans le jeu : Amartya Sen remarque qu’il n’y a jamais eu de famine dans les démocraties, il veut dire que la politique – le vivre-ensemble – doit contrôler l’économie et non l’inverse. Autant dire que Sen n’a pu avoir son prix Nobel que lorsque l’économie néolibérale a subi ses premiers camouflets.
A problème économique, solution politique ?Et si aujourd’hui, le problème était qu’il n’y avait pas de démocratie mondiale ? D’habitude, les famines sont nationales, cette fois, tout est différent. Depuis 1985, les pays en voie de développement sont devenus importateurs nets de produits agricoles [graphique]. Relisez bien : importateurs nets, ce qui signifie que les Etats-Unis et l’Union européenne vendent aux pays pauvres ce que ces derniers seraient pourtant les plus aptes à produire.
Il faut dire que la «Révolution verte» n’a pas duré longtemps, et que le taux de croissance de la production mondiale a sérieusement ralenti depuis une décennie, passant sous le taux de croissance de la population. Le FAO prevoit que cette tendance sera durable, peut-être en raison d'un manque d’investissement, ce qui signifie qu’il faudra apprendre à mieux se répartir la nourriture.
Ne pas faire comme les Américains dont toute la production supplémentaire est partie en biocarburant ou la Russie qui ferme ses frontières pour éviter d’importer l’inflation chez elle et, ce faisant, la relancer hors de ses frontières. Mais ces comportements égoïstes sont compréhensibles, et non contrebalancés par un «intérêt commun mondial» : le FMI et la Banque Mondiale, partiellement responsables de la catastrophe actuelle auront du mal à faire croire qu’ils sont l’avant-garde d’une démocratie mondiale, où pauvres et riches s’assiéraient à la même table pour savoir comment se répartir les céréales.
Non, mes parents auraient dû me donner moins à manger, je n’aurais rien gâché et cela aurait peut-être aidé les pays les plus pauvres. Qui sait ? En attendant, rappelons-nous avec Sen que si l’homme est responsable de ses malheurs, il peut aussi l’être de son bonheur.