- Enfant de salaud, un titre tranchant comme un assassinat.
- Premières pages. L’auteur revient à Izieu. Là, dans une bâtisse transformée en colonie de vacances étaient réfugiés 44 enfants juifs de différentes nationalités. Raflés le 6 avril 1944 sur les ordres de Klaus Barbie, ils furent déportés et tous exterminés. L’horreur.
- Ce que l’auteur apprend sur son père de bouche de son grand -père :
- Pendant la guerre il était dans le mauvais camp
- il a vu le père de Sorj à Lyon revêtu de l’uniforme de l’armée allemande.
- Enervé par les mensonges du père narrant ses exploits de résistant à son fils il tient à lui faire savoir qu’il est un enfant de salaud.
- 1987 de Mai à Juillet Sorg Chalandon, grand reporter à Libération couvre le procès du « boucher de Lyon » le tortionnaire Klaus Barbie. Cet évènement d’une intensité sans pareil voit les derniers rescapés de la Shoah venir témoigner de l’indicible. Le père de Sorj demande à son fils d’assister au procès. Ses principales réactions : un ricanement quasi permanent et un intérêt non dissimulé pour la plaidoirie scabreuse du défenseur de l’accusé, maître Vergès.
- 2014 Le père de Sorj Chalandon sanglé sur son lit de folie meurt dans un asile psychiatrique.
- Avril 2020. L’auteur prend connaissance d’un extrait du casier judiciaire de son père et a ensuite accès à son dossier. Il n’a jamais été à Berlin défendre le bunker d’Hitler comme il le proclamait, Il a été emprisonné à Lille pendant un an et condamné à 5 ans d’indignité nationale pour activités anti-françaises. Terrible choc. Terribles blessures.
- Que faire ? La fiction devient la seule issue. Ce n’est plus en 2020 que l’auteur apprendra la vérité sur son père mais en 1987. Ainsi par le biais du roman, l’auteur redonne une chance à son père de lui dire la vérité. Il espère que la gravité extrême des évènements relatés lors du procès pourra permettre de rompre le silence. En vain.
- Sorj Chalandon le dit, son père n’est pas un traitre à la France mais à son fils.
L’évocation de la Shoah et de tous les crimes nazis non seulement interpelle mais aussi légitimement intimide. Pourtant tant par l’écriture que par ses déclarations dans les médias, il apparait que la démarche de l’enfant de salaud n’est pas aussi simple qu’une condamnation sans recours de son père. Certes celui-ci n’a cessé de lui mentir mais apparait comme une personne profondément dérangée, comme un mythomane caméléon et non comme un vulgaire menteur. C’est semble-t-il un tout petit homme et un grand affabulateur. Cet individu était incapable de dire la vérité. On assiste ici à la confrontation de deux blessures inconciliables. De plus l’auteur le dit, ce qu’il craignait le plus c’est d’avoir affaire à un sordide petit collabo, à un Lacombe Lucien. Il n’en est rien. En quatre ans son père a porté cinq uniformes, celui de l’armée française, celui de l’armée de l’armistice, celui de la milice pétainiste, de l’armée allemande, celui des FTP, résistants aux côtés desquels il a combattu. A chaque fois il a déserté. Le cas est unique et Sorj Chalandon avoue dans un entretien à France Inter que si son père lui avait dit ce qu’il avait réellement fait il en serait resté bouche bée. Plus, concernant une lettre écrite par son père à son juge il parle d’une phrase magnifique "Excusez mon pauvre style, monsieur le juge, je suis un soldat, pas un romancier".
Chaque fois que l'auteur parle de son papa, on sent l’émotion dans sa voix. La grandeur de l’œuvre est à la mesure de l’immense écart qu’il y a entre la tentation légitime de condamner des actes qui ont pu pourrir plusieurs vies et un amour quasi inavouable pour celui qui a donné le jour à l’auteur. Si le tortionnaire Klaus Barbie est bien le salaud absolu, le père de Sorj Chalandon, malgré tout le mal qu’il a fait aux siens, n’est jamais qu’un pauvre fou égaré.
Le livre de son fils, au-delà de tous ses mérites, a celui de lui fermer les yeux.
On lui souhaite de reposer en paix et que ses cauchemars cessent enfin de hanter les vivants.
François Bernheim
Enfant de salaud de Sorj Chalandon - éditions Grasset