MARSEILLE MEDITERRANEE
Agrandissement : Illustration 1
F
" La cité provençale n'a jamais été un grand centre de domination, mais elle n'en que mieux gardé, en vraie fille de la Grèce et de l'Italie, son vieil esprit municipal, quoique des habitants nés en dehors de ses murs constituent plus de la moitié de la population actuelle, c'est la ville de France qui a conservé l'esprit le plus original et le plus libre, elle veut faire à son goût et à son heure "
Elisée reclus, Géographie de France 1877 (1)
Est-ce Marseille qui regarde la mer... la mère ? Est-ce la mer qui innerve la terre ? Seuls les femmes et les hommes qui décident de se poser ici peuvent fournir une réponse. A Marseille, les horreurs, catastrophes qui abiment la planète dialoguent à ciel ouvert avec la joie de vivre, l'inattendu,la créativité, la connaissance des choses profondes qui font grandir les humains. Marseille est la ville monde où le soleil et l'ombre peuvent s'opposer, mais jamais s'ignorer. Cette ambivalence à ciel ouvert fait que malgré le racisme, l'exclusion, le mépris; l’autre, souvent étranger,
est aussi moi, nous, une puissance de vie qui fait chavirer les cœurs, permet aux différentes cultures d'entrer en conversation, de tisser
des liens. Pour ce huitième reportage à Marseille le journaliste qui habite Boulogne -Billancourt et qui a eu le bonheur d'entrer en conversation avec des individus magnifiques, a donc demandé à huit d'entre eux de lui faire connaitre une personne ou pourquoi pas un lieu suscitant leur intérêt,
voire leur affection. Les réponses obtenues ont remis en question le cadre initial du projet qui était celui d'une juxtaposition de portraits à deux faces. Les uns pouvaient être journaliste, intellectuel, artiste, musicien, les autres, marchande de poisson, éditeur, poète, responsable d'association de solidarité, habitué d'un bar de Noailles, rappeuse, etc... À travers leurs réponses c'est la transversalité de leur propos qui est apparue comme première. C'est donc elle, après quelques lignes permettant de faire rapidement connaissance avec les protagonistes que j'ai voulu mettre en avant.
RENCONTRES
Gilles Del Pappas / Sara Fédérico
Né d'un père grec et d'une mère italienne, il est sans doute l'auteur le plus représentatif du polar méditerranéen. Il pratique l'humour, écrit aussi pour les enfants, il est d'une incroyable curiosité et générosité.La peinture, le cinéma, la photo le passionnent également. A la demande des gens de son quartier (La Plaine) qui souhaitaient créer un évènement se substituant à un prix littéraire en déshérence, Gilles crée un procès littéraire public, sur la place du Cours Julien. D'un côté les accusés :10 écrivains et leurs livres, de l'autre côté, un jury populaire tiré par voie de presse et puis derrière le public et Gilles juge, drapé une magnifique robe rouge… C'était pour lui une nouvelle occasion de défendre la littérature, mais également de faire un spectacle où il était possible d'exprimer une passion pour les livres sans oublier de rire, voire de "déconner ". Le procès littéraire conçu par Gilles Del Pappas a beaucoup voyagé, Il a eu en septembre dernier les honneurs de la Fête de L'Humanité. A Palerme, il rencontre Sara Fédérico, linguiste, traductrice. il est frappé par son extraordinaire qualité d'écoute, sa créativité. Il est persuadé que l'on ne peut traduire les poétes si on n'est pas soi-même aussi poète. Gilles propose à Sara de traduire son roman préféré " Du soleil dans la tête "(3) . Cette jeune femme qui n'a pas 32 ans est également 4ème dan de karaté. Elle vient de soutenir sa thèse sur les rappeuses de Marseille (4) .A travers le rap, elle interroge les rapports de pouvoir, comment les femmes vont naviguer dans un univers culturel et langagier pour revendiquer leur légitimité artistique, sociale et symbolique. Sara admire le travail d'écrivain de Gilles et sa qualité humaine. Elle partage beaucoup avec lui, tant sur les valeurs que la littérature, la traduction et la politique.
Guy Delannoy/ Deborah Nabet/ Odile Lecour
Guy Delanoy anime depuis de nombreuses années le collectif d'associations se réunissant au Foyer du peuple (7) 50 rue Brandis
à Marseille dans le quartier dit du Malpenti. Le Secours populaire,
Les Artisans du monde, Le logiciel libre, la mutuelle Solimut, le parti communiste du 13ème se réunissent là. Règne ici une ambiance familiale
où l'entre-aide, l'animation du quartier et la convivialité sont de véritables priorités. Deborah Nabet est chanteuse (5), elle affectionne le répertoire sépharade et judéo-espagnol. Un jour elle est à la recherche d'une salle pour se produire, elle rencontre Guy qui l'invite à s'exprimer au Foyer du peuple. Ils deviennent amis. C'est ainsi que Guy fait connaissance de la Maison du chant (6) située au 49 de la rue Chape, un îlot de campagne en plein centre de la ville. Deborah seconde Odile Lecour qui la dirige depuis 2003. La maison du chant est un espace de vie où l'art vocal devient le fil de toutes les rencontres, tant pour les professionnels, les amateurs que les néophytes. Les uns et les autres, après avoir chanté, peuvent se retrouver
et converser autour d'un bar.
Vincent Beer Demander (8) /Marine Rodallec (24)
Vincent est compositeur de musique, grand soliste de la mandoline, professeur au Conservatoire Pierre Barbizet (9). Là il a connu Marine Rodallec violoncelliste reconnue jouant dans l'orchestre de musique contemporaine C Barré et le café Zimmerman. Tous deux pratiquent avec la même exigence l'élitisme populaire transmettant à tous ceux qui en manifestent l'envie leur amour de la musique. Ils cherchent permanence la note juste et sont capable ensemble de rire à gorge déployée. En musique Marine est la sœur de cœur de Vincent.
Frédérique Guétat Liviani (10) / Madame Di Trento
Frédérique est une belle personne, un être humain pratiquant le dialogue avec des humains de toutes conditions, pourvu qu'ils soient sensibles, ouverts à l'autre. Passionnée de poésie contemporaine et avide de faire découvrir d'autres poètes, elle a créé les éditions Fidel Anthelme X connues et reconnues tant par la qualité et l'originalité des auteurs
que pour leur exigence graphique. Madame Josette Di Trento, poissonnière
à la retraite est sa voisine de palier. Cette femme qui a travaillé toute
sa vie, derrière un bar, femme de ménage, poissonnière, sans le moindre instant de répit, sans la moindre distraction, sans amour, a su tisser des liens amicaux avec ses clients.
Josette Di Trento n'a aucun préjugé, elle est ouverte aux jolies choses de la vie. Aujourd'hui elle est enfin heureuse appréciant le moment présent comme un cadeau, une sorte de miracle quotidien.
Dalila Mahdjoub / Bruno le Dantec
Dalila Mahdjoub
Bruno est journaliste, essayiste bientôt romancier (1) son respect de la personne humaine l'a amené à s'engager en faveur des sans-papier,
des délogés et de tout individu en proie à la discrimination. Il a écrit
sur Marseille, " La ville sans nom "(1) Il n'a jamais maché ses mots pour dénoncer les errements de l'équipe municipale Gaudin. C'est en allant chercher sa fille à la sortie de l'école, qu'il a rencontré Dalila. Ils ont fait connaissance, découvert que tous deux étaient épris de justice et de culture. Ainsi ils sont devenus amis. Dalila est née à Montbéliard, son père d'origine algérienne étant ouvrier à l'usine Peugeot.
Artiste contemporaine engagée, Dalila est pour Bruno une passeuse entre deux rives, deux peuples. Sa radicalité est sans violence, sans vindicte et c'est sa douceur exigeante qu'admire Bruno. " Dalila travaille à (re)mettre en visibilité ce qui est recouvert par le voile du politique, du non-dit
ou du non-pensé (11) ".
Sise ici (12) / Mélanie Diseur (13)
Sise ici est connue à Marseille comme rappeuse libre et inspirée.
Elle vient de sortir "Titré ", un nouvel album :
" Papa j’te jure j’me sens brisée. Regarde : déjà « je jure ! » Toi tu m’disais celui qui jure faut s’en méfier ! Les fières, le faux-semblant, laisse faire... Les prix s’envolent sur les têtes des mères ! Ben ouaih,
Les pigeons volent, la tienne je l’aime, qu’elle reste en vie, c’est tout c’que j’espère. Jurer, c’est comme cracher, c’est rarement beau d’le faire! En plus, j’peux pas dire ça, je me regarde je m’aime encore, je suis entière.
Alors papa j’te l’dis : Parfois j’me sent brisée "
Size, Irène de son prénom, a aussi travaillé dans des associations venant
en aide aux enfants en difficulté, elle est également désigner et couturière et mère de famille. C'est en allant chercher son fils à l'école qu'elle a rencontré Mélanie Diseur. Les deux mères ont parlé autant musique, son, que vie et difficultés familiales. Si Mélanie est une spécialiste de l'électronique, elle pratique également le massage dans des lieux publics, elle est adepte de nombreuses disciplines sportives. Les deux femmes se sont découvert une éthique commune, une volonté de transcender leurs difficultés et une même passion pour l'expression musicale ouverte au plus grand nombre dans l'espace public.
François Thomazeau (14) / Armando Coxe (15)
Il est difficile de savoir ce que n'est pas François Thomazeau, journaliste sportif, romancier, auteur d'une trilogie policière " Marseille brûle-t-il, Marseille Confidential, Terminus Marseille". Il explore les relations entre
les pouvoirs en place, leurs opposions et en particulier celles plus ou moins occultes des mafias et autres gangs liés ou non à l'extrême droite. Un soir buvant quelques verres au Lollipop il rencontre la traductrice Françoise Bordarier. Cette dernière grande connaisseuse du romancier jamaïcain des années 30 Claude Mc Kay (16) détient un manuscrit de nouvelles inédites de ce dernier " Harlem, Jamaïque, Marseille, Gingertown " (17). Le texte est formidable. Conquis François l'éditera chez L’écailler. Tout naturellement il dialoguera avec le grand admirateur
et spécialiste de Mc Kay : Armando Coxe. Ce dernier est franco -angolais anthropologue, théologien, musicien et fin connaisseur des musiques
du monde du Brésil à l'Afrique.
Comme Mc Kay explorateur infatigable, Armando Coxe a beaucoup voyagé. Il vit à Marseille depuis 35 ans, là où comme lui des humains infatigables ont sillonné le monde avant de se poser.
Jean-Pierre Cavalié (20) / Emile Témine (21)
Jean-Pierre Cavalié
Jean-Pierre Cavalié, comme Armando Coxe est théologien de formation,
il a également beaucoup voyagé, notamment en Amérique du sud et a été particulièrement sensible aux théologies de la libération.
Il a été délégué général de la Cimade et a créé en 2015 le Réseau Hospitalité mettant en symbiose exilés, bénévoles et organisations humanitaires sur le modèle des villes sanctuaires américaines et anglaises ouvertes aux réfugiés. L'hospitalité où celui qui reçoit et celui qui est reçu sont tous les deux des hôtes est pour lui un concept porteur de transformation sociale permettant à la coopération entre humains de prendra le pas sur la concurrence, les rivalités conflictuelles. Jean-Pierre a eu le bonheur de connaitre l'historien Emile Témine né en 1926 d'un père Kabyle et d'une mère basque, qui a consacré sa vie à l'étude des migrations à travers le bassin méditerranéen. Pour lui, c'est à travers l'accueil que les différentes couches de migration ont construit la ville unique qu'est Marseille. Impossible de rencontrer Émile Témine né 1926 puisqu'il est décédé en2008, mais lire ses livres offre la possibilité d'aller à la rencontre d'une pensée aussi vivante, chaleureuse qu'exigeante.
Julien Valnet / Sharon Tullock (19)
Julien Valnet
Julien Valnet est historien de la musique. En 2013 il a écrit « Mars, histoires et légendes du hip-hop marseillais », le livre de référence sur ce mouvement à Marseille (23). Il connait pratiquement tous les groupes de rap et Hip Hop de la ville, assiste à tous les concerts, en organise certains.
Curieux et généreux, Il apprécie les personnes, qui à partir d'une fêlure, savent ouvrir un chemin où les affinités, les envies trouvent leur nécessité. Il est de ceux qui ont accompagné Sharon Tullock illustratrice, designer
et aujourd'hui écrivaine, quand elle a été brutalement délogée. Sharon a aussi été là quand la vie a bouleversé Julien.
La parole, fer de lance du possible
L'apprentissage par l'envie et le plaisir
Odile Lecour (6) est formelle, la priorité donnée à l'œil ferme les oreilles. Par contre si on se donne la liberté de les ouvrir, l'émotion, la sensation deviennent premières. Ainsi le plaisir de chanter passe avant les difficultés de l'apprentissage. Il faut que les uns acceptent les autres. La voix chantée a le pouvoir de faire tomber tous les clivages.
A force d'écouter, on chante dans la langue de l'autre, sans parler la langue. le groupe Babelika, depuis qu'il existe se produit dans 35 langues et dialectes. Attentifs à la musique de la langue, qui que vous soyez, vous pouvez lâcher prise et donner la priorité à une réunion, plutôt qu'à une crispation identitaire " Tout le monde peut apprendre à chanter sans passer par le solfège ".
Cette Conviction est fortement partagée par Vincent Beer (8) et Marine Rodallec (24). Tous deux qui ont réussi à trouver un équilibre entre travail, aussi ardu qu'il soit, et plaisir, savent donner la primauté à l'envie.
Ainsi, bien accompagnés, des minots des quartiers nord réussiront
à former un orchestre de mandoline sous la direction de Vincent. Marine, elle enseigne aux écoles Susuki. La pédagogie est centrée sur le plaisir
de l'enfant et son développement qui peut être sollicité à partir de trois ans par le biais de jeux. Les enseignants s'adaptent à lui et à sa famille.
L'objectif est l'épanouissement de l'enfant. Marine est également partie prenante de l'orchestre Demos. 120 enfants de 7 à12 ans relevant de
la politique de la ville de Marseille ont pu ainsi avoir accès à la pratique orchestrale du piano.
Honneur et respect pour ceux que l'on ne veut ni voir ni entendre.
Madame Di Trento
Artiste, poète, éditrice de poètes, Frédérique Guétat-Liviani (10) sait que
la vie dans ce qu'elle a de plus fort, de plus troublant ou profond n'a pas
de barrière de classe. " Il y a des gens, des inconnus dont la parole n'est jamais entendue, ils ne sont pas représentatifs d'une association truc, d'une fédération machin. Ils ne sont jamais dans le discours pour dire des grosses conneries, ils ont une parole libre ". Les écouter apporte beaucoup à tous ceux qui ne sont pas sourds. Cette parole dit l'âpreté et la misère, comme la joie et la confiance dans les humains.
Madame Di Trento (voisine de Frédérique) le sait depuis toujours.
Elle n'écrira pas ses mémoires mais...
" je suis née en 1939 au Comptoir des régates, on n'allait pas en clinique pour accoucher. Mon grand-père au-dessus du bar, avait une grande salle avec un billard (et deux chambres). Je suis née là. J'avais pas de père, il est parti, j'avais 4 ans.il avait mis une autre femme enceinte. il s'est marié avec elle. Ma mère, elle s'est mariée avec mon parâtre. Mais lui, a toujours été poli. Il m'a acceptée dans la maison comme on accepte un chien. il m'a jamais fait de mal… Quand j'avais 15 ans, ma mère travaillait chez Pouillon comme femme de ménage et comme 'il fallait nourrir les enfants, ma mère m'a enlevé de l'école et je suis allée travailler à l'agence Pouillon comme femme de ménage. En sortant je faisais le tour du quartier et je ramassais le linge des gens pour le laver et le repasser.
J'ai rencontré mon mari, pêcheur, J'avais17 ans. Je travaillais chez mon grand -père au bar. Le lundi de Pâques, il m'a ramené chez moi, Il a commencé à me prendre dans mes bras pour m'embrasser.
J'ai dit, non, non, ou on se marie, ou alors vous faites votre chemin.
Je me suis mariée un lundi, et le lundi d'après j'ai vendu le poisson avec ma belle-mère, sur le marché de la place de Lenche. Elle avait un banc sur des caisses sales, Moi, quand j'ai repris le kiosque en 1970, j'ai fait faire une planche pour mettre le poisson bien étalé, c'était propre. J'avais aussi acheté une balance automatique...
Josette Di Trento
Je suis restée 13 ans place de Lenche et 7 au boulevard Baille.
C'était pas le même travail. Vous vendez des merlans, de la soupe de chalut, des Capelans, au boulevard Baille, c'est un quartier bourgeois.
On vend des soles, de grosses limandes, des rougets de roche, des dorades, des loups, des poissons plus chers, de la bouillabaisse,
de grosses gambas… La première semaine j'ai gagné 25 fr.
À 21 ans, j'ai appris à conduire. J'économisais le camionneur qui me portait le poisson. Doucement, doucement, je me suis fait mon nid.
Alors, j'ai gagné 25 000 francs par semaine. Après, j'ai fait l'ouverture des Nouvelles Galeries à la Bourse. Ils m'ont mis au poisson.
Ensuite j'ai travaillé dans les hôpitaux. Après j'ai gardé des enfants.
Dans les hôpitaux, je faisais le travail d'une femme de ménage et d'une aide-soignante. Après je suis tombée malade, je suis restée un an hors
de la maison. Sinon, jamais de repos. Le dimanche, c'était pour frotter
la maison, Je crois que c'est ça qui m'a conservée, le travail. J'ai 86 ans,
merci mon Dieu, j'ai encore toute ma tête. Des fois, je trouvais à redire
que ma mère était dure, violente. Après, je me dis, qu'elle avait raison.
Elle m'a armé pour la vie.Mon mari était aussi d'origine italienne. Les Italiens étaient très nombreux ici. Il y avait ce racisme à l'égard des Italiens. C'est pareil aujourd'hui avec les Arabes. L'Italien, comme l'Arabe, il portait tous les vices sur le dos. C'est terrible. Je vivais avec ma belle-mère. C'était une femme qui était désordonnée. On ne pouvait pas s'entendre. Elle mélangeait le linge propre avec le linge sale. Elle m'insultait, elle me disait " va faire la pute " et mon mari ne disait rien.
Quand vous avez 20 ans que pour pendant 3 mois votre mari couche
à côté de vous et ne vous touche pas, parce qu'on s'était disputé avec sa mère, c'est pas possible. Il prenait toujours le parti de sa mère. iI a attendu d'être vieux et que sa mère soit morte pour me faire des déclarations d'amour, c'était trop tard. On est restés mariés 58 ans. Maintenant, Je vais
à la chorale, ils viennent tous m'embrasser. J'ai plus de satisfaction avec des étrangers. J’ai toujours cherché l'amour, je n'en ai jamais eu " .
Le silence parle fort.
Frédérique ((10fr) fréquente un café-bar proche de chez elle :
Le Cool. C'est un endroit très animé, voire bruyant, fréquenté par des voyous dotés pour la plupart d'un bracelet électronique et par les vieilles dames et vieux messieurs du quartier. Ce jour-là, pendant les fêtes de Noël
Frédérique invite son ami sud-américain Fabio à boire un verre au Cool.
Ils entrent dans le café. Pas un bruit, silence absolu. Jeunes voyous, vieilles dames, tous semblent sidérés, hypnotisés. Tous les regards convergent vers le bar. Là un jeune homme noir très costaud tient dans ses bras
la petite fille chinoise des patrons du café. L'enfant n'a pas plus d'une semaine. L'homme la berce en cadence, à l'africaine. La petite ne le quitte pas des yeux, fascinée, les voyous sont en extase. Dans ce bar que des habitués, arabes, africains, comoriens, chinois, mais aucun touriste.
Les vieux assis aux tables parlent napolitain à l'ancienne. Ici, dans ce lieu un moment fort qui prend aux tripes. À la seconde le monde est en paix. Fabio sidéré, émerveillé : c'est la crèche de Noël. La nativité.
Tous émus aux larmes.
Rap comme poésie, comme oralité
A propos du rap, Sarah Fédérico (4) recommande chaudement de ne pas s'en tenir qu'à une étude textuelle. " A l'évidence ce serait passer à côté
de ce qui peut enchanter nos oreilles " Dans une société où le texte prévaut sur l'oralité, on conçoit la poésie comme destinée primordialement au livre.
Le rap ne peut pas alors être perçu comme de la poésie, puisqu'il attribue une place essentielle à la voix. Mais la poésie n'est pas seulement des mots écrits sur le papier, il y a aussi des éléments du corps et de la voix qui vont donner une force aux mots préalablement écrits.
Car la poésie est avant tout musique. Il y a aussi l'idée de rythme,
des sonorités ,de la performance.
Paroles de quartier sans quartier
Bruno le Dantec
En Juin dernier, Bruno le Dantec me donne rendez-vous dans un bar de Noailles qu'il affectionne particulièrement. Surprise, le choix de Bruno était également le mien depuis mon avant dernier séjour dans ce quartier.
Alors j'ai demandé à Bruno qui fréquente ce café depuis toujours de prendre la plume pour mettre en avant un lieu où les paroles sont aussi précieuses que rarement prises en considération par tous ceux qui se réfugient derrière les barrières de classe.
Chez Momo
Aux antipodes des bars à vin hors de prix, des chaines d’Irish pubs franchisés ou des brasseries à terrasse où le comptoir n’est plus qu’une rampe de lancement pour escadrille de serveurs stressés, ici c’est un bar de quartier. On se plante devant le comptoir et on parle sans médiation
à celui ou celle qui officie de l’autre côté, comme au buveur qu’on coudoie sans forcément le connaître. On n’est pas à l’abri d’une saute d’humeur de la serveuse, mais en général le hasard des rencontres fait bien les choses : ici, ça brasse et ça plaisante volontiers. Les bars d’aujourd’hui sont souvent uniformes : on a la bizarre sensation d’avoir affaire à une seule tranche d’âge, une seule catégorie sociale ou même une seule couleur de peau et anonymes : les consommateurs arrivent en bandes de copains ou collègues de bureau, s’assoient autour d’une table, pianotent sur leurs smartphones et repartent sans avoir adressé la parole à personne –
A peine au serveur pour passer la commande et surtout pas aux inconnus, aux voisins, aux étranges étrangers dont cette ville regorge.
Chez Momo, qui a le savoir-faire des troquets à l’ancienne, il y a de la place pour un peu tout le monde ayant un tant soit peu de savoir-être. Aux premières heures les trimardeurs du marché viennent prendre le café du matin, puis les habitués se pointent pour lire le journal et faire leur tiercé. Un vieux solitaire demande son verre de blanc, une dame belge s’attable et prend doucement le soleil, un garçon boucher apporte une belle pièce au maître des lieux. Vers midi, les maçons en bleu de chauffe et les peintres en bâtiment lèvent le coude à l’unisson autour qui d’une anisette, qui d’une canette. Au fil de la journée apparaissent les joueurs de rami et l’élégante Awa qui retrouve ses amies autour d’un seau à glace plein de petites, assorti parfois d’un shot de whisky, ce qui anime les bavardages, permettant l’évocation de l’époque bénie où elle régentait le bar de la Martinique, à deux pas d’ici. L’après-midi, c’est le grand Tahar qui prend la relève devant les bouteilles, tout frais douché et parfumé.
animée, mais l’œil encore vif pour déceler ce qui manque au plaisir du client. Les nouveaux venus sont bienvenus et on fait de la place pour qu’ils profitent d’un dernier rayon sur le trottoir. Les femmes seules ne sont jamais importunées, l’équipe veille. Mimoun, un ex-pêcheur qui arrondit sa maigre retraite en filant des coups de main à droite à gauche, n’oublie jamais de commenter les résultats du foot ou la dernière empoignade entre vendeurs à la sauvette de cigarettes blason. Jovial camionneur et papa gâteau, Rabah aime passer derrière le comptoir et s’improviser Di-djeï, alternant les vieux tubes d’Aït Menguellet, de Dahmane el Harachi, du chaabi algérois, du raï oranais, mais aussi d’Aznavour ou d’Elvis. Fin 2018, alors que la ville s’enflammait à la suite des effondrements meurtriers de la rue d’Aubagne toute proche, qu’un tir tendu de grenades lacrymogènes tuait madame Zineb Redouane et que des nappes de gaz empoisonnaient l’air, la sono balançait "Pouvoir assassin ", "Ma liberté " et tous les hymnes du regretté Matoub Lounés. En période de carnaval, il n’est pas rare de voir des masques déambuler entre les tables, des cornes de cerf ou des sombreros mexicains planant au-dessus des parties de cartes. Des danses endiablées s’improvisent alors entre élégants chibanis et jeunes femmes déguisées.
Et le reste de l’année, on a pu voir éclore de belles fêtes non planifiées grâce à ces mélanges inattendus, ces joyeuses coïncidences, ces émois chaloupés, spécialement les jours où Momo et Sabrina régalaient l’assistance d’un méchoui ou d’un couscous, soudaine multiplication miraculeuse de la kémia quotidienne alignée sur toute la longueur du zinc. Voilà sans doute pourquoi des carnavaliers sardoniques avaient un jour imaginé kidnapper Éric Zemmour et venir le ligoter au fond de la salle, les yeux maintenus grand ouverts en mode session thérapeutique d’Orange mécanique, pour lui infliger son triste cauchemar ici mué en jardin des délices terrestres. Pour toutes ces raisons, on l’aura compris, ce lieu précieux entre tous est à la fois offert et protégé, généreux et jaloux de sa familiarité. Nul besoin de marketing. Seules les personnes dont
le nom est Personne le trouveront, sans GPS ni Google earth. À l’instinct. Longue vie aux secrets bien partagés. - Bruno Le Dantec
CREATION/ RESISTANCES
Révéler
Nombreux sont les écrivains qui ont écrit sur Marseille. D'après François Thomazeau (10 ils se sont tous ou presque attelé à occulter sa réalité plutôt que de la confronter à son imaginaire. " Pendant un demi-siècle, Pagnol
a réconcilié tout le monde, ça rassurait d'avoir le cul propre grâce au papier hygiénique pagnolesque. Marseille restait en arrière-train, mais pittoresque et sympathique, sans impuretés ni hémorroïdes. Puis est venu le polar… Mais je n'ai pas trouvé Marseille. J'en ai conclu qu'elle était en cavale,
en planque... pas forcément loin d'ici... un coin où personne ne viendra la chercher. Et pourquoi pas à Saint Marcel ? "
Dans ce quartier éloigné du centre-ville commence l'histoire de Marseille plus de 6oo ans avant JC. Ici 400 ans plus tard les gaulois et leur oppidum sont attaqués par les romains. La pagode Truc, Lam, Thien, Vien est établie
là où est concentré un souffle vital brassant des énergies contradictoires, feu du soleil, sécheresse de la roche, humidité de l'Huveaune... L'âme
de Marseille suggère Thomazeau.
Ici la famille de négociants en peau, les Forbin, devenus par leur sens
du commerce et de l'entrisme les chatelains de Forbin, aussi riches que cyniques, doués d'un grand sens politique et qui auraient aussi pu d'après
le dernier comte s'appeler Forban. Ici également Claude de Forbin un des plus grands marins de France explorant le Siam et fondant la ville de Bangkok, également Palamed de Forbin proche de Louis XI magouillant pour que ce dernier devienne comte de Provence alors rattachée à la France en 1483 au détriment des Anjou. Thomazeau estime que :
" l'on a dépossédé les Marseillais de leur passé, sciemment, depuis des années, parce que la priorité, a toujours été le commerce, ça toujours été le port, toujours été de faire des économies de bout de chandelle.
Les pierres de l'Opidum ont été utilisées pour construire les maisons qui sont autour. Ce qui reste de ce patrimoine, comme l'oppidum est fermé au public. Ici on rase gratis, la ville qui a juste titre se revendique multiple s'est volontairement amputé d'une partie de son histoire ".
François Thomazeau s'est également attaqué à l'histoire de Marseille depuis les années 30, parti communiste, socialiste, droite, extrême droite, sans oublier l'interlocuteur de poids qu'est la mafia. Plutôt que de jouer dans la cour des nobles historiens, il a choisi le véhicule du polar pour concerner un public plus large sans toutefois faire la moindre concession
à la vérité historique.
Peut-on devenir acteur du trauma que l'on vous fait subir ?
Sharon Tullock
La réponse n'est pas évidente, sauf que pour Sharon (22) répondre positivement est une nécessité, un impératif de vie, donc de mouvement. Avec son ami et soutien indéfectible, Julien Valnet (23), nous nous sommes donné rendez-vous rue d’Aubagne.
Là où le 5 Novembre 2018 à 9h du matin deux immeubles se sont
effondrés. Huit morts, huit individus qui ont payé de leur vie la politique
de la municipalité Gaudin. Comme si faute de reloger d'une façon décente
la population pauvre du centre-ville on préférait laisser pourrir l'habitat pour justifier l'expulsion des indésirables. Depuis cette tragédie qui a sidéré, révolté de très nombreux citoyens de la ville, toutes opinions confondues, des milliers d'arrêtés de péril ont été pris, justifiant des expulsions de masse.
Quelques semaines avant d'être délogée, Sharon qui habitait à la Belle
de Mai a rendu visite à ses voisins, le fissures des murs allaient grandissant.
" 6 mars 2019. On a frappé à la porte très lourdement
sur le palier des silhouettes en uniforme, en civil
des mots des phrases un ordre partir au plus vite
Imagine tu as seulement deux heures
pour évacuer ton logement et plier toute ta vie
des mots incompréhensibles sont murmurés
La peur dans ta voix est limpide
ton pouls grimpe très vite tu perds tout repère
donc tu respires longuement durement
encore et encore ami julien
… Un camion de la ville de la ville attendait pour nous embarquer
mon ami Julien et moi sommes partis seuls
en voiture dans la nuit froide
vers cet Ibis budget inconnu
... Ma chambre est une cellule
entre 9-10-11 m2 "
" Est-ce possible d'exister si on n'a plus de maison, si on n'a plus un lieu
où le corps peut être en mouvement inventant au jour le jour ses repères. Être chez moi en moi. Si tu habites nulle part, tu n'existes pas. Philologiquement tu n'es pas mort, tu existes seulement pour constater que tu n'existes pas ". Sharon Tulloch est anglaise, d'ascendance afro-jamaïcaine, sud sud-américaine et française. Elle est graphiste, illustratrice. Elle dialogue beaucoup avec son imaginaire. Ce qu'elle vit, ressent, sa main le traduit à travers son travail artistique. Là c'est le vide, l'absence. Mais petit à petit la situation évolue. Ceux qui ont vécu le même drame sont là. Ils peuvent mettre des choses en commun, des émotions, des informations une solidarité. Sharon veut être actrice de sa vie pas une victime. On ne volera pas ses mots. Elle va écrire, partager, se mettre en mouvement. Ce sera " le voyage accidentel " que Martine Derain des éditions Commune (22) publiera.
La prise en main du délogement va transformer Sharon elle découvre qu'elle a le pouvoir d'être encore plus elle-même en lien avec les autres.
D'autres amis soutiennent t Sharon : Dalila, Ahmed, Odette. Avec eux elle rencontrera un conseiller municipal d'opposition, Benoit Payan. " surpris de découvrir que je suis une déracinée, mon accent Jane Birkin le trouble. Cet accent anglais d'une noire d’Europe-BlackBrit m'a parfois facilité la vie ICI, je l’admets «. Au pied de la lettre le voyage accidentel a duré 1523 jours. En réalité il a transformé une vie et fait prendre conscience à ceux qui voulaient bien l'ignorer qu'une autre politique pouvait se développer dans le respect des habitants de cette ville, à défaut d’être en mesure d'effacer des dizaines d'années d'incurie.1523 jours après, le Voyage accidentel se termine ainsi :
" je choisis enfin de créer ma place
et pas de me satisfaire de celle qui m'a été assignée
Je suis enfin chez moi-sentiment étrange
mais si un jour cet endroit disparait
il me restera toujours ce corps abîmé
que je pourrai habiter
n'importe-où
je m'appelle Sharon Tulloch
et j'ai 60 ans ".
La force de s'accomplir
On parle beaucoup de projets éducatifs, du harcèlement à l'école, de la nécessité de la réformer. On ne parle jamais ou très peu du refuge qu'est l'école pour des femmes que la domination masculine a brutalisées, des femmes sensibles à haut potentiel humain et artistique aussi pudiques
que certaines qu'elles sont vouées à souffrir en silence hors de toute vie sociale, donc hors de toute relation apaisante. Il se trouve que Sise ici (12)
a rencontré Mélanie Diseur (13) à la sortie de l'école. Elles ont pris un café, parlé, découvert une complicité synonyme de force commune. Mélanie
est devenue ingénieur son de Sise. Dans son clip " Valses deviennent ",
c'est son graffiti, son tag que l'on voit en premier. À la sortie de l'école elles ont parlé avec d'autres femmes qui vivaient les mêmes situations, d'autres artistes, certaines ont dansé dans un clip pour Sise.
" J'suis belle comme tout ouais
Mais j'arrive plus à les aimer
belle comme tout
j'arrive plus à les aimer
J'suis belle comme tout ouais
Mais j'arrive plus à les aimer
belle comme tout
j'y arrive plus
J'ai presque pas loupé ma vie
Mais je ne suis rien "
Créer des liens, c'est échapper à la désespérance, c'est aussi ouvrir
la porte à de nouvelles expériences et à la création artistique.
Sise comme Mélanie rêve de réinvestir l'espace public, de recréer un espace sonore en phase avec les aspirations secrètes de chacun.
Mélanie, de par sa connaissance de l'électronique, sait que les éléments naturels et les outils de l'acoustique peuvent travailler ensemble.
Un arbre creux et une enceinte produisent un son inédit, de même une bouche d'égout. Sise qui est aussi couturière, styliste a organisé des défilés sauvages dans la rue. A la fin du défilé elle offrait les robes portées aux mannequins improvisés. Rappeuse, musicienne accomplie, ignorant tout show off, elle vient de sortir un album : " Titré ".
" Ici c’est ma cage, mains grasses dans ma gamelle, ça m’agace, casse-toi ! ça m’a gavé. Piaille dans ton coin t’es pas d’taille laisse-moi griller. j’taille dans ta bavette, débarque t’as pas ieps ".
Ainsi ia création et la force des liens créés avec d'autres femmes permettent au feu intérieur, à l'immense colère de s'exprimer sans
se retourner contre son émetteur. Mélanie, graffeuse, ingénieure, femme, mère, artiste sortie des beaux-arts retrouve Sise au parc Longchamp,
un espace refuge, permettant de retrouver son chemin sans être accablée par le brouhaha de la ville, la chaleur extrême ou la confusion.
Prendre le temps de faire, une subversion ?
Sise ici (12)
Comme la création artistique, l'artisanat de la couture exige de prendre
le temps d'aller jusqu'au bout d’une réalisation que l'on veut unique.
Pour Sise le système politique, économique donne la priorité au gain
de temps qui se satisfait d'un à peu près bon marché. Le système en niant la compétence enlève toute dignité aux personnes qui le servent, soumises à sa loi. Sise, couturière prend le temps de concevoir des pièces uniques. Elle ne les vendra jamais assez cher pour rémunérer son temps
à sa juste valeur.
Marine Rodallec /Vincent Beer Demandeur
Marine Rodallec
Nous, dit Vincent (8) " on vit sur un espace-temps long, on travaille une œuvre sur plusieurs années. Il faut 20 ans pour la maitriser, 30 pour
la jouer jusqu'à ce que l'on arrive à la note juste, à l'émotion juste.
Bach, Schubert ne sont pas des musiciens du passé, si on les joue aujourd'hui, cela veut dire, qu'ils sont vivants à travers leur œuvre.
Pour faire un violon, le luthier répète un geste des milliers de fois.
Il faut du travail, du travail et encore du travail ". Tous deux considèrent
qu'il y a au moins 70% d'artisanat dans ce qu'ils font. Un artisanat rivé
à l'apprentissage jusqu'au perfectionnement ". Ainsi l'humilité, le respect
de l'œuvre ouvre la voie au talent de l'artiste. Vincent et Marine aiment
la musique, toutes les musiques, de la chanson à la musique contemporaine. Ils sont loin d'introduire une hiérarchie, prérogative volontiers cédée à une caste estimant que les classes supérieures sont dotées d'un goût sûr, voire incontestable.
" Ceux qui font la cuisine, comme ceux qui jardinent ne peuvent, s'ils
le souhaitent, affirmer leur différence qu'en ayant observé les contraintes et règles propres à leur domaine ". Vivre sur un temps long, parait inconcevable aujourd'hui. C'est une forme de résistance qui, à n'en pas douter, requiert une force de caractère, une capacité à négocier tant avec soi-même qu'avec les institutions, mais surtout qui témoigne d'un amour sans limite pour ce qui nous fait vibrer, trembler, ce qui nous réunit au-delà des gouffres et autres précipices.
Faut-il l'avouer, si la technique, l'observation des règles, le travail compte tant soit peu et même beaucoup dans ce qui est transmis, il n’empêche que la folie, la générosité, le cœur, la certitude que l'impossible est une fausse barbe, sont capables de transformer le monde en portant au plus haut notre amour de la vie. Si nous avons des oreilles c'est aussi ce que peuvent nous apprendre les rencontres.
Ombre et soleil sur Marseille
Marseille, capitale de la culture 2013 a fait couler beaucoup d'encre.
Les artistes et associations n'ont pratiquement pas été sollicités.
Le discours officiel voulait donner l'illusion que la ville dirigée par
Jean-Claude Gaudin était capable de s'investir dans l'art et la culture,
alors que ses objectifs ne visaient qu' une intensification du tourisme et
de la gentrification au détriment d'une population pauvre du centre-ville logée dans des immeubles menaçant de s'effondrer et qui hélas s'effondreront. Alors que reste-il de cette aventure qui pour le moins n'a pas déclenché l'enthousiasme populaire ?
Pour le moins, il reste un lieu intégré dans l'opération de rénovation
du Vieux- Port et de ses équipements : L'Ombrière conçue par le cabinet
de Norman Foster. Pour Jean-Pierre Cavalié (20), la priorité qui serait donnée aux actes de coopération entre humains, aurait plus de chance à terme de produire des sociétés dynamiques, équilibrées et ouvertes que la promotion exclusive de la concurrence, facteur de division et de guerre. Pour lui donc, L'Ombrière de 1000 m2 à six mètres du sol, dotée d'un miroir réfléchissant géant, n'est pas seulement un abri ponctuel, mais un symbole d'une civilisation alternative " . Une maison, abri, s'il en est, dispose d'un toit de murs, fenêtres, portes créant un lieu de protection où chacun est censé se trouver en sécurité. Les murs dit Jean-Pierre contribuent à créer une identité. Je suis chez moi. J'existe donc dans un lieu référencé.
A l'intérieur il fait chaud si je veux, à l'extérieur je ne suis maitre ni de la température ni du croisement avec des personnes qui se trouvent sur la route. De même au niveau d'un pays les frontières sont comme des murs refoulant tous ceux que l'on juge indésirables. L'Ombrière devient donc le symbole d'une ville sans frontière en lien avec le culture soufie, là où tout le monde est sur un cercle et voit tout le monde. Le cercle, c'est l'équilibre. L'Ombrière est comme une maison dont on a enlevé les murs.
Tu regardes en l’air et ça te renvoie sur terre. D'un seul regard tu vois tout
le monde. Face au soleil du sud, ce lieu accueille chacun, d'où qu'il vienne où qu'il aille. Le 18 Décembre 2013, on a fait une manifestation géniale pour la journée internationale des migrants. On a récupéré une carte de 6 mètres sur 4, qui représentait la Méditerranée, mais avec les rives rapprochées. Il n'y avait pas de frontière nationale. Les gens pouvaient marcher dessus. On avait repéré des endroits où les étrangers sont enfermés, réprimés. On avait positionné les centres de rétention dont celui de Marseille. On avait mis du barbelé autour des lieux où il y a de la répression, où il y a un refus des étrangers.
On a aussi pointé les zones de guerre. Et on a fait un parcours. Quand on s'arrêtait sur un lieu, par exemple, Ceuta et Melilla, on avait un témoignage de gens qui étaient passés par là. Sur l'île de Lampedusa, on a lu le texte de la mairesse de l'époque une femme géniale, qui avait fait une déclaration de défense des personnes étrangères. Et à la fin, j'ai récupéré une grosse tenaille et on a coupé tous les barbelés.
C'était extraordinaire, parce que les gens étaient de chaque côté de la Méditerranée, tout autour de cette grande carte. Et il y en avait qui repéraient leur lieu. On se rendait compte physiquement qu'on était proches, que cette mer était un lieu qui nous unissait. C'était magique " .
Socio- linguistique libératoire
Sara Fédérico
Née à Sorrento, Sara Fédérico (4) fait des premières études à Naples, master de Français et d'arabe, culture méditerranéenne puis part en Finlande histoire de prendre un contrepied. Elle obtient une licence d'interprète et traductrice dans le nord de l’Italie, travaille à Malte dans
un centre d'accueil de migrantes, revient à Naples, là où d'après elle
" On apprend à vivre, à manger la vie, à devenir un être unique irrigué par
ses rencontres et ses questionnements. Naples c'est une ville bouleversée
qui bouge beaucoup et si tu ne bouges pas avec elle, elle peut te manger ". `Elle arrive à Marseille en Octobre 2021. Elle reçoit une gifle.
La ville est aussi bouillonnante, chaotique, aussi neuve, créative que Naples. Passionnée par le rap depuis son adolescence, elle découvre à Marseille, une scène aussi vivante, diverse que profondément enracinée dans le sud méditerranéen. Elle est de tous les concerts, rencontre les personnalités émergeantes et ayant observé que le rap, à priori parole de subversion, est largement dominé par les hommes développant des stéréotypes machistes, elle s'intéresse au rap féminin aussi très actif et créatif à Marseille mais fortement minoré. Elle décide donc de faire sa thése sur les rappeuses de Marseille. Landsky Namek donne le ton : " Si seulement on prenait le temps de nous écouter une seconde, on n'aurait pas besoin d'être virulents." Pour moi, le but du Hip Hop, c’est le partage. Exprimer en musique ses émotions telles les douleurs que l’on peut ressentir, les accidents de la vie, les causes auxquelles on croit et les partager. Se libérer des fardeaux de la société. Le Hip Hop, c’est apprendre à vivre avec tous. Avec ceux qui sont bien intégrés comme ceux qui n’y arrivent pas, l’humain dans sa globalité ".
Paradoxe du rap ,note Sara Fédérico (4), alors qu' il devient le genre musical prépondérant sur le marché de la musique ciblant les jeunes générations, il est de plus en plus décrié, par les politiques et autres mentors. Cela correspond sans doute à une double assignation : Ce serait exclusivement la musique de la banlieue, des quartiers populaires signée et écoutée par les noirs, magrébins et autres comoriens. Dans ce contexte empreint de racisme, de mépris excluant, quelle
va être la place des femmes ? La question principale que se pose Sara est : comment ces femmes se construisent une légitimité d'artiste, comment peuvent-elles représenter l 'identité marseillaise, comment à travers une construction de genre peuvent-elles mettre en scène la violence ?
Penser que ces jeunes femmes pourraient du jour au lendemain s'affranchir des stéréotypes dominants serait une illusion. On remarquera donc à contrario que leur montée en puissance artistique et sociale
les contraint à tenir plus compte des normes en vigueur que les hommes qui naviguent dans un bouillon de culture connu et géré depuis longtemps.
On s'apercevra encore une fois, que les femmes auront à travailler et à se battre plus fort, à être plus créatives plus intelligentes que les hommes pour être en mesure de s'affirmer.
Un journaliste demande à la rappeuse Epsilone : penses-tu que pour être une fille, c'est plus dur de percer ? Elle répond : " Ouais, c'est plus dur... surtout je pense que l' on est pas forcément la bienvenue quand on est une fille qui a des choses à dire... Quand on chante des balades d'amour tout
ça, ça passe, mais quand on pose ses tripes sur la table, ça plait pas forcément ".
Les propos de Julien Valnet (23) dans son livre de référence sur le Hip Hop Marseillais sont sans appel "Ce qui s’est passé à Marseille est extraordinaire. Comment des jeunes gens que rien ne destinait à cela, issus des quartiers pauvres, de l’immigration, ont réinventé l’imaginaire de la ville, ont renouvelé son image, et changé le regard du monde sur elle, tout en modifiant sa façon de se présenter à l’autre. Les gens du Hip-Hop marseillais ont réussi l’exploit de raconter la ville, ses richesses et ses déchirures, sa face lumineuse et son côté sombre. Aucune campagne de publicité, aucune opération de rénovation urbaine, si importante soit-elle, n’est parvenue à ce que le Hip-Hop est arrivé à faire ici. Changer Marseille ". Ainsi sont en lutte deux tendances contradictoires : La conformité plus ou moins déguisée à l'ordre établi et la résistance active à l'ordre néo-libéral par la création.
À la différence des hommes, la violence exprimée par les rappeuses n'est pas seulement celle d'un monde jugé hostile, mais celle vécue dans leur chair.
Saaphira :
" C'est quelque chose d'en entendre parler...
C'est autre chose de le vivre et le revivre. J’avais 6ans, mais c'est comme si c'était hier... ".
Sara Fédérico le souligne, cette violence-là n'est pas liée à l'affirmation d'une puissance, bien au contraire elle révèle une fragilité. Conscientes mais déterminées, les rappeuses mènent le combat.
" Je mène ma guerre " dit Lansky Namek (25) " Je crois pas à la non-violence mais à la légitime défense " affirme Waka. Les rappeuses ne sont seulement des réceptrices de la violence subie mais des actrices qui refigurent ces émotions et expériences pour en faire une œuvre.
La deuxième vie d'un météore si éblouissant qu'il a failli disparaitre
Les écrivains de grand talent sont-ils tous connus, reconnus, appréciés
à leur juste valeur ? La réponse n'est pas évidente, déjà parce qu'elle met en cause l'aptitude des lectrices et lecteurs d'une époque à se trouver en phase avec des ouvrages pouvant aller au-delà de leur cadre temporel. Claude Mc Kay (16) auteur apprécié, mais pas toujours reconnu dans les années 30 puis oublié jusqu’aux années 2000, ne correspond pas à ce schéma. Toujours en mouvement, insaisissable, sa liberté ne souffrait pas le moindre compromis. il ne pouvait être tiré de l'oubli que par des esprits en profonde affinité avec lui, explorateur intrépide, vagabond et écrivain de grande envergure. Pour le plus grand bonheur des amateurs d'une littérature aussi forte qu'insolite, Armando Coxe (15) est de ceux-là.
Il est à Paris et s'apprête à prendre le train pour Marseille. Un ami lui demande s'il a lu "Banjo " (18) Non. Armando ne connait ni MC Kay ni son livre phare " Banjo" écrit en 1929. Le voyage dure alors 6 heures. Éblouissement. Il veut tout connaitre de MC Kay. Il voyage sur ses traces, organisera une première exposition. Dans " Banjo " il a découvert un Marseille interlope qu'il ignorait totalement. Le quartier réservé de Marseille est le lieu de toutes les débauches et excès. MC Kay bi-sexuel déclaré, transgresseur d'interdit y a toute sa place. L’homme est un dandy, non un vulgaire noceur, il a soif de découvertes et encore plus d'intensité, de justice et de culture.
Il fréquentera le salon littéraire des sœurs Nardal à Clamart, deux femmes martiniquaises éprises de culture et soucieuses de mettre en avant une modernité noire émergente, malgré les interdits et préjugés coloniaux.
Là, il rencontrera et échangera avec Aimé Césaire et Senghor.
Progressiste avéré il ira en URSS. Après un séjour d'un mois il reviendra très déçu.
Membre décisif de " la Renaissance d'Harlem ", il sera mis sur la touche, car son incroyable sincérité lui fera décrire la vie des noirs telle qu'elle est.
De nombreux membres de ce mouvement sont homosexuels mais le cachent. Face à la supériorité affirmée des blancs, face à leur mépris
raciste, il convient d'être clean, irréprochable. Mc Kay refuse toute compromission. Romancier, il est aussi poète. On lui retorquera qu'étant noir, il a plus de chances de devenir boxeur. Pourquoi choisit-il de passer plusieurs années de sa courte vie à Marseille plutôt qu'à Paris ? Marseille est la ville de France la plus détestée qu'il soit, une fange, un bordel.
Mc Kay hésite d'autant moins qu'à Paris on fait semblant. Ici, les intellectuels noirs portent des lunettes même s'ils n'en ont pas besoin,
ils ont toujours un livre à la main, il faut donc qu'ils soient en conformité avec ce qu'ils prétendent être. Ils veulent se répandre dans une ville propre en oubliant toutes les horreurs et excès du colonialisme. À Marseille il peut observer la complexité des aspirations humaines, souvent contradictoires.
Entre la ville monde et lui il y a plus qu'une complicité, une profonde affinité. Mc Kay ne craint pas la provocation le titre de son roman le plus connu " Banjo " fait référence à la période de l'esclavage que sa communauté veut oublier. Les esclaves jouaient du banjo quand les maitres voulaient bien amuser la galerie. Près de 90 ans après sa première parution " Romance in Marseille " est réédité en 2021 grâce à la ténacité de ses admirateurs et d'Armando Coxe en particulier.
En 2023 François Thomazeau (1) réédite les nouvelles regroupées
dans " Harlem, Jamaïque, Marseille, Gingertown" (17). Armando en fait naturellement la préface. Il rappelle déjà que le gingembre au goût
si prononcé était également utilisé à titre de punition pour frotter le dos
des esclaves noirs, " réveillant la chair, comme on ravive une plaie ".
Il rappelle que le gingembre est aussi un rhizome, au sens que Deleuze
ou Glissant donnent à ce concept : " Une identité qui ne se fixe pas,
qui s'étend sous terre, se ramifie, se propage sans centre unique ".
Traquer le mépris caché des dominants
Dalila Mahjoub (11)
" Un truc qui me paraît essentiel, c'est de dénoncer la stérilité de la réponse à la violence de l'oppresseur par la négation de l'oppresseur. Je pense
à Franz Fanon, qui a aussi soigné les soldats, les appelés, les officiers français qui ont torturé. Et on sait quel choc en retour, traumatisme cela
a été pour eux-mêmes. Ceux qui pratiquent ces atrocités ne peuvent pas en sortir indemnes puisqu'ils sont humains. Franz Fanon les a soignés, tout autant que les colonisés" . L’interviewer partage ces propos et suggère que se contenter de vilipender l'oppresseur permet de ne pas s'intéresser aux opprimés et ne pas leur donner la parole. Dalila réagit : " je pense qu'il faut effectivement dénoncer cette posture suprématiste chez ces dominants-là que sont Trump, et tous ceux qui sont derrière, ses suiveurs. Mais je ne suis pas d'accord avec beaucoup de gens qui trouvent l'expression " donner la parole " positive. On a souvent retrouvé souvent cette expression chez des réalisateurs qui faisaient des documentaires, notamment dans les quartiers, par exemple, Armand Gatti. J'avais beaucoup regardé ce qu'il faisait au travers du théâtre, notamment dans les quartiers Nord de Marseille. Il y avait cette idée de donner la parole à ceux qui en sont exclus. C'est quelque chose, moi, qui m'a révulsé assez vite. C'est paternaliste. Parce que donner la parole, ça pose de suite le " je " comme dominant et l'autre comme dominé. Le parole se prend. Derrière les apparences trompeuses d'une démocratie libérale règnent le racisme colonial, le mépris pour les peuples et les civilisations autres que celles de l'occident ".
A partir de ce qui touche chacun au quotidien, présent et passé, à travers les archives, aussi bien que dans son environnement familial, Dalila,
tente expériences, mises en relation des espaces publics et personnels afin de rendre visible une réalité qui étouffe les peuples.
Avec elle l'art ne peut être qu'engagé. Lorsque Dalila Mahdjoub arrive
à Marseille, elle rencontre Martine Derain artiste et éditrice (27) .
Elle réalise alors des interventions éphémères ou pérennes pour l'espace public. " Je crois qu'on s'est retrouvées sur cet intérêt d'expérimenter dans l'espace public des interventions artistiques. Elle m'avait invitée pour le numéro 9, une revue murale d'affiches d'artistes qui allaient du Vieux-Port aux anciens abattoirs dans les quartiers nord, le long d'un trajet de bus.
A ce moment-là, je travaillais beaucoup, sur le centre d'hébergement d'Arac, l'ancêtre des centres de rétention en France, qui était sur le port autonome de Marseille. On a décidé de faire pour le numéro 9, une sorte de cartographie des centres de rétention et des zones d'attente, regroupant les personnes indésirables sur le territoire français.
Laurent Galisso, l'attaché culturel du centre culturel de France
à Jérusalem voit ce travail et décide de nous donner carte blanche.
… Nous découvrons cette incroyable fragmentation du territoire palestinien, née des accords de paix d’Oslo, qui rend possible un contrôle violent et permanent sur les déplacements des Palestiniens.
La ligne de Bus Ramallah Jérusalem que nous empruntons franchit à l’aller comme au retour le check-point d’Ar Ram où l’armée israélienne contrôle les permis d’entrée des Palestiniens…
Au retour, nous concevrons notre projet : une série de tickets de bus pour une compagnie de transport palestinienne.
Nous utilisons les ordres militaires israéliens qui ont régi Gaza et la Cisjordanie depuis 1967, nombre d’entre eux sont toujours en vigueur.
A une centaine de ces ordres, nous présentons des réponses palestiniennes, ruses poétiques, tactiques et inventives du " faible " dans l’ordre établi par le " fort ". Les tickets sont de même format que ceux de la compagnie. Notre proposition s’est simplement glissée dans l’existant.
Ils ont été imprimés à Marseille en 30 000 exemplaires puis sont entrés
en Palestine par valise diplomatique. Numérotés pour être officiellement enregistrés dans la comptabilité de la compagnie, assemblés par carnets de 100 à la main, ticket par ticket et carnet par carnet, pour que chacun des voyageurs ait une histoire différente, ils ont été mis en circulation pendant le mois de juillet 1999.Il y avait au moment de la réalisation de cette intervention une place pour le jeu et l’art. Aujourd’hui, il y a un mur en béton de 9 mètres de haut qui enferme la Cisjordanie comme Gaza avant elle. Longtemps ", j’ai été tiraillée par l’ambivalence inhérente à ces objets hautement symboliques, dont le sens ne cessait d’osciller entre la notion
d'Honneur et celle de Mépris. Objets encombrants, j’ai eu besoin de leur trouver " la bonne place ". Ainsi j’ai inscrit les ré-compenses de mon père dans la longue histoire de l’exploitation humaine.
Chacune de ces médailles trouve sa place dans cet assemblage cousu de milliers d’étiquettes " made in " Bangladesh, China, Indonesia, Thailand, Tunisia, Pakistan, Turkey, Vietnam, Morocco, India, Cambodia, Mauritius, Laos. L’inventaire des pays de fabrication redessine un territoire : celui du
… Mon père me raconte son départ d’Algérie,
Son passage par Marseille,
Porte d’entrée pour le travail en France.
Il ouvre fièrement une petite boîte bleue,
puis une seconde.
" C’est pour toutes ces années travaillées chez Peugeot qu’ils me les ont données ".
Une médaille comme simulacre de dignité rendue
par des puissants,
à des travailleurs exploités, usés.
Chaque année, Peugeot envoyait des prospectus à ses anciens ouvriers,
leur proposant des remises sur l’achat d’une voiture neuve.
" Avec quoi ils veulent que je la paie !
éructait mon père, en déchirant les papiers "
Nouvel épisode de son travail de décolonisation des archives, la première exposition monographique de l'artiste " Ils ont fait de nous du cinéma "
s'est tenue en 2024 à la galerie Compagnie de Marseille.
MEDITERRANEE UNIQUE ET MULTIPLE
François Thomazeau (14) l'a écrit dans "Marseille brûlet-il :" Cette ville parle toutes les langues par toutes les bouches, celle du peuple et celle des élites, celle des rmistes justiciers ou des politiciens véreux, celle des flics honnêtes et celle de ceux qui se sont laissés glisser ".
Odile Lecour et Deborah Nabet l'ont vécu à la maison du chant (6) " Il faut que les uns acceptent les autres, la voix chantée c'est magique pour faire tomber tous les clivages, à force d'écouter on chante dans la langue de l'autre, sans parler la langue. Armando Coxe spécialiste de Claude Mc Kay l'affirme également : " Il est vital prendre en compte la multiplicité des aspirations humaines qui peuvent être contradictoires.
C'est ce qui permet d’avancer". Avant même de prendre la parole Frédérique, Dalila, Marine, Madame Di Trento, Sara, Armando, Gilles, Vincent et les autres portent en eux l’Italie, La Grèce, l'Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Jamaïque, les Comores et bien d'autres pays... sans oublier les régions de France. Ici, on a été à la rencontre, à l'écoute de voix qui suggèrent que cette ville est également parfums, mots écrits, images, liens, création, bonheur d'être ensemble, amour, mais aussi son contraire : mépris, racisme, crimes, affairisme, clientélisme... etc. Quand on aime Marseille, on l'aime totalement. Ignorer que l'utopie boite, quelle flirte plus souvent qu'à son compte avec la tragédie, c'est être aveugle à la beauté du monde, à ses contradictions. C'est aussi paradoxalement ignorer toutes les possibilités de passage d'une rive à l'autre, toutes les possibilités d'échange, de ré-union et pourquoi pas de réconciliation. Et c'est à cet endroit-là que la ville affirme sa vocation méditerranéenne. Jean-Pierre Cavalié proche de l'historien Emile Témine l'a bien compris. Ce dernier dans " Un rêve méditerranéen " s'insurge contre la volonté de certains de réduire la civilisation méditerranéenne à celle héritée du monde gréco-romain, transmise par une chrétienté occidentale qui affirme ainsi sa supériorité ..." Cette conception gomme les échanges culturels qui à intervalles réguliers ont rapproché les peuples méditerranéens. Elle contribue, dans une certaine mesure,
à renforcer les barrières édifiées par l'histoire et maintenues au cours des siècles, à justifier pour le présent et pour l'avenir, les dominations coloniales. Logiquement elle rejette dans l'ombre les efforts faits pour rétablir le dialogue entre les hommes... Alors, il est intéressant de dire et de rappeler que dans ce monde si divers
et souvent si violent des hommes et des femmes ont su se parler, ont su communiquer leur savoir et ont tenté d'établir une paix qui ne soit pas celle des cimetières; il est utile de répéter que la Méditerranée est d'abord un lieu de vie et de rencontre exceptionnel, lieu d'exaltation du corps et de l'esprit, mais aussi lieu de réflexion et de discussion entre les individus
de toutes origines et de toutes croyances...Il parait alors remarquable que pendant quelques années en ce siècle, on ait pu rêver d'une Méditerranée pacifique, où les échanges commerciaux et culturels prendraient le pas sur les conflits politiques et sur les affrontements armés "(2).
Marseille Méditerranée…
D'autres villes françaises sont le lieu de crimes, délits, trafic de drogue, affairisme immobilier, etc. Si Marseille fait encore la une des médias comme incarnation du mal, c'est qu’elle est porteuse d'un bien plus précieux que l'or et les diamants : le potentiel des femmes
et des hommes issus de cette civilisation à recréer une universalité de chair et d'étoiles, loin de l'abstraction néo-libérale.
En ces temps de tumultes et tempêtes qui s'acharnent à l'effacer notre humanité, le combat du peuple de Marseille est simplement vital.
François Bernheim
Merci à toutes celles et ceux qui en paroles, en actes, donnent des couleurs à notre humanité. Merci de m’avoir reçu, éclairé, permis de rencontrer d'autres personnes debout, talentueuses et bienveillantes. Merci à : Jacques Andréa, Alberto Coxe, Arielle Bernheim, Vincent Beer Demander, Alain Castan, Jean-Pierre Cavalié, Guy Delannoy, Mélanie Diseur, Martine Derain, Bruno le Dantec, Josette Di Trento, Sara Fédérico, Frédérique Guétat Liviani, Nawir Haoussi Jones, Odile Lecour, Dalila Mahdjoub, Muriel Modr, Deborah Nabet, Gilles Del Pappas, Marine Rodallec, Laura Saturnin, Pierre Sabatelli, Sise ici, François Thomazeau, Sharon Tulloch, Julien Valnet.
Notes
1/ Bruno le Dantec - La ville sans nom - Marseille dans la bouche de ceux qui l'assassinent- Qui a dit ça? éditions le chien rouge
Autre parution récente. 2024 : « Et mon père un oiseau » éditions Hors d'atteinte .
2/ Émile Temine : Un rêve méditerranéen éditions Actes Sud 2002
3/ Bibliographie de Gilles Del Pappas https://booknode.com/auteur/gilles-del-pappas/livres.
4/ Sara Fédérico / Rap, Femmes, Méditerranée : une enquête sociolinguistique ethnographique à Marseille /https://tesidottorato.depositolegale.it/handle/20.500.14242/215247
5/ Site Deborah Nabet : https://deborahnabet.com/
6/ Maison du chant : https://www.lesvoiesduchant.org/
7/ Foyer du peuple : https://trouver-ouvert.fr/marseille/bar-foyer-du-peuple-422243
8/ Vincent Beer Demander voir précédent reportage : https://blogs.mediapart.fr/francois-bernheim/blog/110225/marseille-resiste-prouve-que-tu-existes-1
9/ Conservatoire Barbizet : https://www.conservatoiredemarseille.fr/
10/ En 1993, Frédérique Guétat Liviani a créé les éditions Fidel AnthelmeX
https:// www.fidelanthelmex.fr/-accueil
11/ Un aperçu des oeuvres et réalisations de Dalila Mahdjoub est visible sur le site documents d'artistes de la région Paca: https://www.documentsdartistes.org/artistes/mahdjoub/repro-archivessol.html
12/ Sise ici : https://www.chronorap.fr/sise_titr%C3%A9.html
https://www.youtube.com/results?search_query=sise+ici
13/ Mélanie Diseur : https://www.facebook.com/melanie.diseur
14/ Bibliographie de François Thomazeau : https://booknode.com/auteur/francois-thomazeau/livres. In précédent reportage : https://blogs.mediapart.fr/francois-bernheim/blog/211124/terminus-marseille-crepuscule-solaire-sur-la-ville
15 / Armando Coxe : https://marsimperium.org/coxe-armando / Président du collectif Claude mc Kay : https://www.mckay100ans.com/collectif-kay
16/ Biographie et bibliographie de Claude Mac Kay : https://booknode.com/auteur/claude-mckay
17/ Harlem, Jamaïque, Marseille : Gingertown
https://www.cultura.com/p-de-harlem-a-marseille-9782487085107.html
18/ Banjo : https://www.livraddict.com/biblio/livre/banjo.html
19/ Romance in Marseille : https://heliotropismes.com/livres/romance-in-marseille/
20/ Jean Pierre Cavalié a créé le réseau hospitalité en 2006 à Marseille : https://reseauhospitalite.org/qui-sommes-nous/histoire
21/ Biographie et bibliographie d'Emile Témine : http://www.massalire.fr/biographie/temime_emile_bio.htm/
22/ Sharon Tulloc : https://www.sharontullochdesign.com/about-2/
https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2023/04/27/a-marseille-apres-les-effondrements-le-theatre-pour-se-reconstruire_6171171_4500055.html
Livre : https://www.editionscommune.org/2023/12/un-voyage-accidentel-de-sharon-tulloch.html
23/ Julien Valnet : https://ohlesbeauxjours.fr/programme/les-invites/julien-valnet/
https://www.laprovence.com/article/papier/2604616/il-etait-une-fois-le-rap-marseillais.html
24/ Marine Rodallec : https://www.spectable.com/artiste/marine-rodallec https://www.radiogrenouille.com/tous-les-episodes/marine-rodallec-violoncelliste/.
25/ Lansky Namek : https://www.franceinfo.fr/replay-radio/generation-2022/generation-2022-personne-ne-me-represente-au-niveau-politique-regrette-lansky-namek-artiste-marseillaise-de-23-ans_4753575.html
26/ https://www.wikiwand.com/en/articles/Keny_Arkana
27/ Editions Commune : https://www.editionscommune.org/
Martine Derain https://reseau-dda.org/fr/artists/martine-derain
Précédents reportages de F Bernheim sur Marseille :
https://blogs.mediapart.fr/francois-bernheim/blog/110225/marseille-resiste-prouve-que-tu-existes-1
https://blogs.mediapart.fr/francois-bernheim/blog/280324/marseille-en-guerre
https://blogs.mediapart.fr/francois-bernheim/blog/261223/cite-air-bel-ne-peut-pas-empoisonner
https://blogs.mediapart.fr/francois-bernheim/blog/210222/marseille-respect
https://blogs.mediapart.fr/francois-bernheim/blog/271222/marseille-venir
https://blogs.mediapart.fr/francois-bernheim/blog/301121/lapres-m-entrepreneur-de-vies-debout