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Billet de blog 21 novembre 2024

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Terminus Marseille. Crépuscule solaire sur la ville

Ici la frontière entre le bien et le mal est pour le moins poreuse, mais celle qui sépare l'extrême pauvreté de la richesse ne l'est pas. Ici échoue un monde en passage qui dure. La nuit pourrait envahir le jour. Mais Marseille alliée à la terre  et à la mer résiste encore.

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Avis à tous les ectoplasmes submergés par la dégueulasserie aveugle et vomitoire du monde d'aujourd'hui : Si  les mains tremblantes vous  avez encore la force d'empoigner un livre miraculeusement échappé au naufrage des tombereaux d'inanités bombardées à grands frais par les professionnels de la casse humaine... vous  entrerez avec autant de bonheur que  de rage dans Terminus Marseille de François Thomazeau.

Ce  Terminus, est le troisième et dernier tome de la trilogie  Marseille confidential (1) consacrée à la ville et couvrant les années1936/ 1953. Période aussi courte et violente que porteuse d'enjeux politiques où le peuple et ceux qui défendaient ses intérêts ont cru pouvoir l'emporter. Un pot-pourri (c’est le cas de le dire) mettant en scène voyous, gangsters, flics affairistes plus ou moins vendus, hommes politiques d'extrême droite, hommes politiques de gauche plutôt de droite, souteneurs , propriétaires  plus qu'opportunistes ,sans oublier les services secrets français, la CIA américaine ont réussi, utilisant tous les moyens possibles dont l'assassinat à rétablir l'ordre bourgeois, sans oublier de se remplir les poches  grâce à des belles magouilles immobilières.

 Ainsi les puissances locales avisées de la démolition prochaine du quartier réservé, décidée par les nazis, ont pu acheter à bas prix des immeubles  voués à la démolition et  être indemnisés  pour la perte encourue.

Face aux grandes grèves insurrectionnelles, à la réussite d'expériences d'autogestion, Il n'était pas pensable que Marseille devienne le fer de lance  d'une transformation sociale dépossédant les puissants. Des passants voient les frères Guérini tirer  à bout portant sur un jeune manifestant communiste. Quelques semaines plus tard , personne n'a rien vu.

Terminus Marseille est un roman, mais pas vraiment une fiction. L'auteur passionné par sa ville fait ici œuvre d'historien prenant appui sur une documentation très fouillée. Si certains personnages, puissants et peu recommandables ne portent pas leur vrai nom, ils n'ont pas moins existé. Mais frères Guérini sont bien les frères Guérini, Gaston Deferre est bien le patron du Provencal, maire de la ville ,sans ironie ministre de la décolonisation, socialiste inféodé au grand capital et viscéralement anti-communiste. Grâce à lui et à ses amis et complices on sait que la réalité se confond trop souvent avec ce que certains estiment être une  caricature partisane de la situation.

Deux personnages sans casseroles ni compromissions sortent du lot : Raoul Pichotte  journaliste parisien, porte-parole de l'auteur et Fernand Pouillon architecte rock and roll qui a eu l'audace de faire du beau et durable moins cher que le laid  et périssable destiné à un habitat populaire.

Terminus Marseille, comme Marseille Brûle-t-il et Marseille Confidential  sont des livres palpitants, des polars de haut vol, mais au-delà ils apportent un éclairage décisif sur la période et sur notre fascination pour la ville. Ce que j'en ai compris à travers un échange généreux avec l'auteur pourrait se résumer ainsi.

Violence et compromissions

La porosité entre les gens dits de bien et les voyous n'est pas propre à Marseille, mais elle a atteint dans cette ville un niveau exceptionnel. C'est sans doute l'extrême pauvreté de la population qui explique la violence politique des affrontements. Dans une ville où  90% de l'activité économique dépend du trafic portuaire,  c'est l'instabilité des échanges et des emplois qui prédomine. Ainsi la précarité est le lot  majoritaire.

Dans ce contexte d'une dureté affirmée, les politiques font appel aux voyous  tant pour le service d'ordre que pour des opérations musclées. A leur tour les voyous font appel aux politique pour préserver leur impunité. Les flics  garants théoriques de l'application des lois  souffrent également d'un manque de moyens qui favorise des arrangements douteux. Si les uns s'autorisent la compromission, les autres pour ne pas être en reste se sentent obligés de les suivre. A partir de là  l'excès répréhensible peut devenir un exploit. Marseille est la seule cité où des dîners en ville réunissaient, magistrats, voyous, politiciens, flics et autres propriétaires.

- Rejet viscéral du communisme.

Les luttes ouvrières, manifestations et expériences positives de partage de pouvoir avec les ouvriers syndiqués à la CGT avant même de mettre en péril  l'ordre capitaliste  étaient un frein sérieux à l'activité import/export des Etats-Unis. On a vu à Marseille des émissaires de la CIA et autres services secrets américains, jamais des membres des services secrets soviétiques. De fait, les  assassinats, tortures, deviennent des délits mineurs face au crime d'atteinte à la propriété. Les communistes, qui pouvaient avoir d'autres défauts, n'ont jamais participé à cette tragi-comédie où les voyous et les gens bien pourrissaient de concert la ville en toute impunité. Est-ce à dire  que l'establishment Marseillais pour contrer l'avancée de la CGT a  préféré désindustrialiser la ville ?

La réponse de François Thomazeau est plus nuancée.  Gaston Deferre et son administration ont délibérément  abandonné les quartiers nord tant sur le plan urbanistique, économique, moyens de transports, logement, culture tout simplement parce cette population ouvrière subissant de plus en plus le chômage ne votait pas pour eux. D'autres raisons se cumulent pour expliquer le déclin marseillais des années 70

Le port de Marseille  qui a été le premier port du monde puis le deuxième port européen est aujourd'hui relégué à la quinzième place. Jusqu'à la dernière guerre, il a été un grand port de voyageurs, une immense salle d'embarquement. Les restaurants, bars, hôtels, commerces de la ville en ont largement bénéficié. Au début des années 50 émerge le transport aérien. Le port de Marseille est en chute libre. La décolonisation contribue à l'achever. L'activité industrielle liée aux ex-colonies est hors course. Une rente consolidée par cinq à six siècles d'exploitation sans diversification disparait brutalement. A contrario Marseille et la région doivent accueillir une population de 400 000 personnes fuyant les pays affichant leur indépendance.

L'idée apparemment judicieuse est de créer de nouveaux pôles d'activité liés à l'exploitation pétrolière Raffineries, industries chimiques, activités logistiques émergent à Fos dès 1970. En 1975 une terrible crise pétrolière secoue le monde. Marseille est au fond du trou. En 1980, qui peut fuit une ville où le chômage touche 25% de la population. Le clientélisme aidant, le service public devient pléthorique. Par ailleurs la politique du tout voiture de Gaston Deferre, au détriment des transports en commun, défigure la ville en accentuant les inégalités.

Des Guérini à DZ Mafia

Il serait sans doute exagéré de dire que les voyous corses et affiliés ont quitté la ville. Mais l'évolution du marché de la drogue impliquant un extraordinaire boom du cannabis a changé radicalement la donne. La production du cannabis  a mis  en avant les pays du Maghreb, notamment le Maroc, et ce sont des mini-gangs issus de cette région du monde qui prennent en charge la distribution. La concurrence entre des organisations de taille quasi familiale est sans limite. Ainsi guerre et assassinats sont quotidiens. Les corses tenaient le centre -ville  où ils avaient pignon sur rue  à travers bars et boites de nuit. Les acteurs d'aujourd'hui sont plus volontiers issus des cités excentrées. Ils n'ont pas de rapport direct avec les milieux politiques. Les nouveaux tueurs sont la plupart du temps des adolescents qui mettent en avant leurs exploits sur les réseaux sociaux.

 Crépuscule Solaire

A Marseille comme nulle part ailleurs on réalise d'autant plus facilement que chacun d'entre nous est de passage sur terre, que la ville ne cesse d'incarner une posture de transition. Le port est le poumon et le coeur de la ville. Qui débarque ici sait qu'il est de passage, sauf que demain le passager sera encore là. Ici à Marseille échouent tous ceux qui qui ont connu l'échec et rêvent d'un ailleurs. Mais ces naufragés quelle que soit leur couleur, leur rang  connaissent l'immense privilège d'être en relation directe avec les forces telluriques de la terre. Quelle autre ville est capable d'incarner une mythologie qui ne cesse de parler à ses habitants. Le Phoenix va renaitre de ses cendres, oui il va ...

Cet espoir est en permanence en balance  avec le crépuscule  qui tombe sur la cité. Le soleil irrigue à jamais cette nuit. Les performances du monde dit moderne sont bien loin. Là est la grandeur tragique d'une ville où l'orient et l'occident ne cessent de se parler. Malgré la drogue, la sauvagerie imbécile des puissants, Marseille résiste et en beauté. Aucune scène de théâtre  ne peut atteindre cette dimension. C'est bien l'histoire étranglée et libérée que nous narre François Thomazeau à travers un terminus sans fin aussi fascinant que troublant. Marseille est bien une ville monde, apparemment située au sud de la France.

François Bernheim

(1)

- Terminus Marseille de François Thomazeau éditions Gaussen 2024.

- Marseille brûle-t-il ? éditions Gaussen 2021

Marseille Confidential Plon 2018 /-  10/18. 2019

C'est James Ellroy lui même, auteur du légendaire "Los Angelès confidential" qui a mis François Thomazeau au défi d'écrire Marseille confidential.

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