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Billet de blog 4 septembre 2009

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Il faut quitter l'Afghanistan

Certains lecteurs du Monde auront découvert avec stupéfaction l'éditorial de son directeur Eric Fottorino (édition datée du 4 septembre) et titré « Il faut sécuriser l'Afghanistan». Affirmation principale : « Lâcher l'Afghanistan serait une faute ». Le Monde rejoint ainsi le dangereux consensus qui, de Libération au Figaro, fait que la quasi-totalité des médias français soutiennent une guerre occidentale inutile, meurtrière et porteuse de nouveaux conflits.

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Certains lecteurs du Monde auront découvert avec stupéfaction l'éditorial de son directeur Eric Fottorino (édition datée du 4 septembre) et titré « Il faut sécuriser l'Afghanistan». Affirmation principale : « Lâcher l'Afghanistan serait une faute ». Le Monde rejoint ainsi le dangereux consensus qui, de Libération au Figaro, fait que la quasi-totalité des médias français soutiennent une guerre occidentale inutile, meurtrière et porteuse de nouveaux conflits.

Certes, Eric Fottorino veut bien reconnaître qu'il est « temps de stopper cette guerre aveugle qui tue les civils », revoir les modalités de l'intervention de l'Otan. Et il salue la nouvelle stratégie mise en place par Obama et le Pentagone. Mais l'essentiel est là : « Rester donc », « rester, mais changer de visage » (lire son article en cliquant ici).

Il est assez plaisant de demander à des armées (plus de 100.000 soldats sont aujourd'hui déployés en Afghanistan) de changer de visage. La plupart des responsables militaires qui se sont succédé sur le terrain (britanniques, allemands, américains) ont justement dit leur embarras, leur difficulté, voire leur incapacité à faire autre chose que leur métier, la guerre.

Les grandes ONG protestent depuis des années contre ce dangereux mélange des genres qui voit des militaires transformés tour à tour en bâtisseurs d'écoles, policiers, distributeurs d'aide alimentaire ou de soins médicaux. Quant aux opérations dites « de sécurisation », nouvel élément de la stratégie américaine, elles rappellent furieusement celles dites de « pacification » lors de la guerre d'Algérie.

Or c'est justement cette présence renforcée des troupes occidentales sur le terrain qui est en train de mettre à feu et à sang le pays. Les mois de juillet et août ont été les plus meurtriers pour les soldats de la coalition. Ils l'ont été surtout pour les populations civiles. Le sinistre bilan de 2008 (2.200 civils tués, chiffre de l'Onu que toutes les organisations internationales s'accordent à trouver sous-estimé) semble d'ores et déjà dépassé.

Retrouvez ci-dessous les reportages de Thomas Cantaloube, envoyé spécial de Mediapart en Afghanistan au mois d'août, avant l'élection présidentielle.

Car cette guerre de terrain n'empêche pas les massacres de se poursuivre. Ce même 4 septembre, un raid aérien de l'Otan dans la province de Kunduz, au nord du pays, a fait environ 90 morts (cliquez ici pour plus d'infos). Parmi eux, pas seulement des talibans, mais des civils, dont des enfants, comme l'a reconnu un porte-parole du gouvernement de la province. Début mai, un raid de l'aviation américaine dans l'ouest du pays avait fait plus de cent morts, « près de 125 à 130 civils tués », avait alors assuré le président Hamid Karzaï.

Plus prudents que le directeur du Monde, les dirigeants du Pentagone soulignent eux-mêmes certaines inconnues de la nouvelle stratégie esquissée par Obama. « Notre temps est limité» pour prouver que cela fonctionne, a ainsi reconnu le ministre américain de la défense, Robert Gates. Les Allemands ont eux annoncé clairement en juillet que le moment était venu d'établir un calendrier de retrait des troupes.

Depuis huit ans (automne 2001), l'Amérique et l'Otan sont engagées dans cette guerre dont le bilan peut être simplement dressé : il est une longue succession de défaites politiques et militaires. Rien de ce qui avait été initialement envisagé, par exemple lors de la première conférence internationale sur l'avenir de l'Afghanistan organisée à Bonn dès novembre 2001, ne s'est réalisé. Ben Laden n'a pas été arrêté ; les talibans n'ont pas été défaits ; la stabilisation politique ne s'est pas faite ; la culture de l'opium n'a pas été endiguée ; la misère de la population n'a pas été changée ; la condition des femmes ne s'est guère améliorée ; la contagion a gagné le Pakistan ; la corruption a englouti l'embryon d'appareil d'Etat ; les armées occidentales sont devenues des ennemies.

Chaque mois, divers rapports d'organismes gouvernementaux, de commissions parlementaires, d'ONG dressent l'accablant constat d'un échec généralisé. Le 2 août, une commission parlementaire britannique disait la même chose, choisissant à juste titre de mettre l'accent sur « l'insensibilité culturelle » et « la mauvaise compréhension des situations locales ».

Car l'essentiel est là, dans la complexité culturelle, sociologique, politique d'un pays où les huit années de guerre de l'Otan succèdent à vingt années d'autres guerres (contre les Soviétiques, puis entre Nord et Sud, puis entre factions diverses). L'alternative à la guerre n'est pas d'abandonner les Afghans, de laisser enfermer les femmes sous les burkas, de désespérer les quelques segments démocratiques d'une société qui espèrent encore, parfois jusqu'à demander effectivement l'aide des Occidentaux.

La question posée est plus simple : les militaires occidentaux et la guerre peuvent-ils encore être une solution, quand tout démontre qu'ils sont devenus le carburant de la crise ? En Irak, c'est l'annonce d'un calendrier d'un retrait des troupes américaines qui a permis de commencer à consolider un processus de reconstruction politique.

Le retrait programmé des troupes occidentales, après leurs échecs répétés, apparaît ainsi comme un préalable à la construction d'une nouvelle phase. Une phase dont les éléments sont par ailleurs connus depuis des mois, voire des années ! Lutte contre la corruption au sommet de l'appareil d'Etat, négociations politiques avec une partie des talibans, conférence régionale associant l'Iran, efforts portés vers le Pakistan, aide économique effective couplée à la lutte contre la drogue.

Personne aujourd'hui n'est en mesure d'assurer qu'un tel processus réussirait. Il est certes aisé aux stratèges en chambre de déployer quelques plans mirifiques : c'est justement ce qu'ont fait les « experts » de la Maison Blanche et de l'Otan avec le succès que l'on sait. Mais prendre à bras le corps la complexité afghane ne peut se faire qu'à une condition : mettre fin au plus vite à une logique d'occupation, de pacification, de sécurisation.

La barbarie talibane, décrite un peu vite comme un bloc monolithique responsable de tous les maux de ce pays (la condition des femmes doit tout autant aux coutumes tribales qu'aux hystéries des « étudiants de Dieu »), a rendu aveugle les responsables politiques. Ils y ont également trouvé un moyen simple de vendre cette guerre à leurs opinions. Mieux vaudrait remettre les rares et vrais experts de l'Afghanistan au premier rang, la caricature et l'à peu près n'aidant guère à faire de la politique. Or c'est de politique, pas de fusils occidentaux, que l'Afghanistan a aujourd'hui besoin.