Bienvenue en Sarkoland. L’Elysée a lancé sa machine électorale et nous voilà dans un pays irréel : la France telle que voulue par Sarkozy. Contre cette France Potemkine et cet agenda informatif subtilisé par l’exécutif, nous avons plus que jamais besoin d’une presse indépendante. C’est le sujet de notre soirée exceptionnelle du jeudi 16 février à laquelle vous êtes conviés.
Nicolas Sarkozy est donc entré en campagne. Et comme en 2007, la bataille de l’agenda a commencé. L’objectif est des plus simples : le candidat se fait rédacteur en chef de la France en imposant ses thèmes, ses débats, ses déplacements. Saturer l’espace public, retenir les projecteurs, les ouvertures de JT, les unes de journaux, la parole des éditorialistes : de ce point de vue, Sarkozy vient de gagner les dix derniers jours. Les médias n’en ont que pour lui disséquant à l’infini et jusqu’à la nausée ses propos et son calendrier d’annonce « officielle » d’une candidature que tout le monde sait acquise depuis des semaines.
Pour nous, la semaine politique qui vient de s’achever n’est pas celle écrite par le pouvoir et reprise par les médias. Elle est d’abord une semaine tout à fait inédite sous la Vè République. Une semaine où, à moins de 80 jours de l’élection présidentielle, deux hommes clés du président sont pris dans les filets de la justice. Le premier, Thierry Gaubert, comparaît devant le tribunal correctionnel de Nanterre pour une avalanche d’infractions et de délits qui n’ont qu’un point commun : les détournements de fonds et les financements occultes (nos articles ici et ici).
Cette affaire est exceptionnelle pas seulement parce qu’elle implique un ami, ancien collaborateur du président, resté jusqu’à ces derniers mois dans les circuits obscurs du pouvoir via ses liens avec le marchand d’armes Ziad Takieddine. Elle l’est aussi parce qu’il s’agit du premier procès d’importance concernant les dessous immobiliers et affairistes du département des Hauts-de-Seine, vieux fief de la Sarkozie.
Ce procès n’a fait ni les ouvertures des journaux télévisés, ni les unes de la presse. Il est vrai que les déclarations de Claude Guéant devant le syndicat étudiant d’extrême droite UNI ont permis d’occuper le terrain de samedi à mardi. Et si cela ne suffisait pas, l’interview télévisée du couple Merkel-Sarkozy lundi soir, et les commentaires qui s’en sont suivis mardi, ont achevé d’occuper le terrain.
L’autre événement politique de la semaine est la chute judiciaire d’Eric Woerth, ancien trésorier de l’UMP, ancien ministre du budget puis du travail, pièce maîtresse aujourd’hui de la « cellule riposte ». Un homme que la rumeur publique donnait il y a deux ans comme possible premier ministre et qui sait tout ou presque des coulisses de l’UMP et de la présidence.
Chute et même triple chute judiciaire ! D’abord par les développements de l’enquête menée devant la Cour de justice de la République et qui concerne la vente de biens publics (forêt et hippodrome de Compiègne). Mediapart révélait mardi le rapport des experts tel que remis à la CJR : ces biens évalués à 8,3 millions d’euros ont été vendus 2,5 millions sur consigne du ministre. Comme l’a noté notre confrère Michel Deléan, la mise en examen d’Eric Woerth dans ce dossier apparaît désormais inéluctable (article à lire ici).
Elle s’ajouterait aux deux mises en examen intervenues mercredi et jeudi, cette fois dans le cadre de l’information judicaire ouverte sur l’affaire Bettencourt. «Trafic d'influence passif » et «recel» de fonds destinés à la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007. Voilà deux chefs de mise en examen d’une particulière gravité puisqu’ils concernent directement l’activité publique d’Eric Woerth et le financement politique de Nicolas Sarkozy en 2007.
Malgré les subtiles manœuvres linguistiques et horaires du parquet de Bordeaux pour écraser ces informations (lire ici notre article), manœuvres souvent couronnées de succès dans les médias français, le quotidien britannique The Guardian ne s’y est pas trompé qui titrait ainsi jeudi : « Un ancien ministre français inculpé pour corruption », suivi de ce résumé : « Eric Woerth est soupçonné d’avoir reçu de l’argent liquide de l’héritière de L’Oréal pour financer la campagne électorale de Sarkozy en 2007 ».
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« Pure construction intellectuelle », a expliqué l’avocat d’Eric Woerth. Si la présomption d’innocence doit être en toute circonstance rappelée, pour Eric Woerth comme pour tout autre, il n’est pas inutile de préciser qu’une telle décision de procéder à une double mise en examen atteste de la conviction des juges de disposer d’éléments probants et multiples.
Le pouvoir le sait évidemment. Et peut-être le naufrage judiciaire d’Eric Woerth n’est-il pas étranger à la soudaine accélération de la campagne de Nicolas Sarkozy. L’annonce, dès jeudi matin, du contenu de l’interview présidentielle au Figaro-Magazine (qui n’est en vente que ce samedi) a permis de créer un effet de souffle salutaire pour l’Elysée. Voilà que l’attention médiatique était ainsi détournée sur les propos du président-candidat et ses deux propositions de référendum, directement puisées dans le programme du Front national.
Effacer la réalité donc, pour lui substituer l’épopée de la reconquête électorale. Faire oublier le mis en examen Woerth et le mis en examen Gaubert actuellement jugé. Enfouir dans les profondeurs le mis en examen Patrice de Maistre, le mis en examen Bernard Squarcini, le mis en examen Ziad Takieddine, le mis en examen Nicolas Bazire, le mis en examen Renaud Donnedieu de Vabres, le mis en examen Xavier Bertrand, le mis en examen Courroye. Engloutir les scandales d’espionnage de journalistes, les affaires Bettencourt, Karachi, Tapie.
L’extrême prudence, quand ce n’est pas le silence, de la gauche aidera sans doute le clan à se protéger. Mais il reste cette incertitude que l’Elysée ne peut complètement maîtriser et qui est liée aux calendriers judiciaires et à des juges d’instruction qui, contrés par le pouvoir et un parquet trop souvent aux ordres, veulent défendre leur indépendance de magistrats.
On sait ce que ce pouvoir aux abois veut faire de cette indépendance comme des autres contre-pouvoirs. En tant que journal d’information indépendant, Mediapart l’a expérimenté ces dernières années ayant à subir le déchaînement de l’UMP et diverses barbouzeries. Il suffit de rappeler l’arrogance, la vindicte comme les dénégations absurdes des proches du président pour prendre la mesure de ce qui se joue en ce moment au cœur même de la justice.
Il suffit de rappeler également l’extraordinaire aplomb du président de la République le 12 juillet 2010, affirmant à propos d’Eric Woerth ministre du budget : « Il est parfaitement innocent » ; et à propos de financements occultes venus des Bettencourt : « La vérité se fait jour pour montrer qu’il y a une calomnie, une campagne ».
Que reste-t-il aujourd’hui de ces propos au vu des développements judiciaires ? Un vaste mensonge d’Etat. Il revient aux juges, aujourd’hui, de le mettre à nu. Et à la presse, loin des sirènes du récit électoral sarkozyste, de pouvoir mener son travail en toute indépendance.
C’est pour défendre cette indépendance que nous vous invitons à une soirée exceptionnelle, jeudi 16 février au Théâtre de La Colline, à partir de 20h30. Venez nombreux! Ci-dessous, le programme:
Pierre-Louis Basse, journaliste et écrivain, Stéphane Guillon, comédien/chroniqueur et Didier Porte, comédien/chroniqueur témoigneront de leur expérience des medias sous la présidence Sarkozy.
Sabine Torrès, fondatrice/directrice du site Dijonscope, Daniel Schneidermann, fondateur/directeur d'Arrêt sur Images, Jérémie Zimmermann, cofondateur de la Quadrature du Net, Fabrice Arfi et François Bonnet de Mediapart dresseront l’état des lieux de la crise de la presse et nous expliqueront leur bataille pour promouvoir une information libre et indépendante ainsi que ses enjeux sur Internet.
Jean-Pierre Mignard, avocat de Mediapart, participera aussi à ce débat, qui sera animé par Laurent Mauduit.
Enfin, Edwy Plenel interpellera les responsables des principales formations politiques républicaines autour desquelles se joue l'alternance que nous appelons de nos vœux dont, Aurélie Filippetti (députée PS, en charge de la culture et des medias dans l’équipe de campagne de François Hollande), Pascale Le Néouannic (secrétaire nationale du FDG, en charge des libertés publiques et de la laïcité), Pascal Durand (porte-parole Europe Ecologie Les Verts) et Yann Wehrling (porte-parole du Modem). Il présentera, également, les projets de réforme que défend Mediapart dans la perspective d'une refondation de la liberté de la presse et du droit de l'information.
Venez nombreux pour témoigner que la liberté de la presse n’est pas un privilège des journalistes mais un droit des citoyens!
Ce débat sera retransmis en direct sur Mediapart.fr
Pour participer, réservez vos places en envoyant un mail à cette adresse: debats@mediapart.fr
Voir aussi l'article de Laurent Mauduit «Tous au Théâtre de la colline, pour refonder la liberté de l'information!»
Infos pratiques:
Jeudi 16 février 2012 au Théâtre de la Colline (15 Rue Malte Brun 75020 Paris) à 20h30
Accès:
Métro: ligne 3 et 3 bis, station Gambetta
Bus: 26, 60, 61, 69, 102 arrêt Gambetta, mairie du 20e
Taxis: station Gambetta
Stations vélib: station 20024 (11, rue Malte-Brun), station 20025 (13, rue des Gâtines), station 20106 (44, avenue Gambetta)
En partenariat avec le Théâtre de la Colline