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Billet de blog 13 mai 2010

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Duhamel, Sarkozy, Strauss-Kahn et le bêtisier européen

Ne lisez pas Alain Duhamel dans Libération de jeudi si vous voulez comprendre l'ampleur et les enjeux de la crise de la zone euro.

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Ne lisez pas Alain Duhamel dans Libération de jeudi si vous voulez comprendre l'ampleur et les enjeux de la crise de la zone euro. Notre inoxydable chroniqueur succombe à un exercice de nombrilisme franco-français qui permet de célébrer, au-delà de toute réalité, l'excellence nationale au secours des autres nations égarées.

Se relit-il seulement ? «Nicolas Sarkozy s'est nettement imposé parmi ses pairs européens comme le leader naturel dès que souffle la tempête ; Dominique Strauss-Kahn a démontré une fois de plus qu'il possède toute la compétence, la clairvoyance et l'autorité nécessaire pour faire face au péril extrême. La France possède deux hommes d'Etat, deux hommes de crise». Voilà notre Duhamel transformé dans Libération en journaliste nord-coréen !

Plus sérieusement, la presse anglo-saxonne et plusieurs centres d'études reviennent méticuleusement sur les moyens mis en œuvre pour éteindre l'incendie grec. Avec des regards prudents, souvent sceptiques, parfois très critiques.

La première critique concerne Dominique Strauss-Kahn et le plan d'austérité sans précédent imposé à la Grèce. Dans plusieurs articles, Mark Weisbrot, économiste et co-directeur du Center for economic and policy research (de sensibilité plutôt à gauche ou «progressiste»), un centre d'études basé à Washington, se livre à une critique en règle du plan du FMI.

Il rappelle que les mesures dictées aux Grecs furent celles appliquées aux économies des pays baltes (Estonie et Lithuanie) frappées de plein fouet par la crise de 2008. La médecine fut brutale : coupes spectaculaires dans les dépenses publiques, réduction des salaires, baisses des emplois de fonctionnaires. Pas question d'une dévaluation compétitive, encore moins d'un rééchelonnement des dettes : car les banques européennes (autrichiennes, allemandes et françaises) étaient engagées à hauteur de centaines de milliards dans ces pays. La purge sociale fut donc le seul remède appliqué.

Il en est de même en Grèce, explique Mark Weisbrot, où le directeur général du FMI veut bien reconnaître le caractère «douloureux» d'un plan d'austérité sans précédent tout en le jugeant indispensable. Or, note Weisbrot, ce plan est intenable : «Dans moins de trois ans, et probablement avant, la Grèce fera face à la même crise qu'aujourd'hui». «Les projections faites montrent que même si ce programme fonctionnait, la dette grecque augmentera de 115% du PNB aujourd'hui à 143% en 2013». Et elle se retrouvera, malgré la déflation sociale organisée, face aux mêmes choix : rééchelonner sa dette, la restructurer, se déclarer en faillite ou sortir de l'euro.

Retrouvez ci-dessous les différents articles (en anglais) de Mark Weisbrot:

The European Union's Dangerous Game

Baltic Countries Show What Greece May Look Forward To If It Follows EC/IMF Advice

IMF Changing Slowly, But How Much?

Avec les articles de Martine Orange et de Laurent Mauduit, Mediapart a été un des très rares médias à questionner ce plan FMI/Strauss-Kahn, qui semble faire consensus en France. Mark Weisbrot s'étonne également que l'on puisse organiser une mise en récession brutale d'un pays (-4% cette année !) et un chômage de masse pour, justement, le sortir de la crise. «C'est au contraire par la croissance qu'il faut chercher la sortie de crise», dit-il.

Le FMI a-t-il vraiment tiré les enseignements du naufrage de ses politiques passées (crise asiatique en 1997/98, crise russe en 1998, Argentine en 2001) ? Il semble bien que non et on lirait volontiers quelques explications détaillées de Dominique Strauss-Kahn sur le nouveau cours qu'il revendiquait. «L'Union européenne et le FMI proposent toujours ce remède médiéval qui consiste à saigner le patient», dit Weisbrot.

Retrouvez ci-dessous les articles de Martine Orange et Laurent Mauduit:

Grèce: un plan socialement injuste et économiquement dangereux

DSK s'est-il disqualifié pour représenter les socialistes?

La crise grecque menace de devenir systémique

Europe: un plan à 1.000 milliards de dollars qui rassure mais ne résout rien

Surprise, sur ce même sujet, Thomas Friedman, chroniqueur vedette du New York Times, libéral patenté et auteur du passionnant essai La Terre est plate, n'est pas loin de penser de même. Il raconte avec un évident scepticisme sa rencontre avec le premier ministre George Papandréou. Détaillant le «régime minceur» imposé au pays, il s'interroge : «La Grèce peut-elle vivre une telle révolution civique ?».

Lire sa chronique:

The Greek diet

Un autre économiste de renom, Barry Eichengreen, ancien conseiller du FMI et aujourd'hui professeur à Berkeley, se répand dans la presse américaine pour critiquer «la mauvaise coordination des efforts de l'UE et du FMI» et la gestion opportuniste de Dominique Strauss-Kahn. Il fallait transférer une partie du fardeau de la dette grecque aux banquiers, assure-t-il, c'est-à-dire la restructurer.

«Il fallait seulement une chose, du courage, déclare-t-il au New York Times. C'est une erreur terrible de ne pas avoir mis en chantier la restructuration de la dette et c'est un vœu pieux de croire que la dette pourra atteindre 150% du PNB du pays et que les Grecs vont dire OK, transférons 10% de notre économie à des créditeurs étrangers.»

Retrouvez ci-dessous ses articles et déclarations:

It is not too late for Europe

IMF Plays Deal Maker in Europe

Les dogmes... L'ultralibéral hebdomadaire The Economist s'interroge également sur les sacro-saints principes qui ont dicté le plan grec. Tout en se félicitant de la réaction européenne du 9 mai (le «paquet» de 750 milliards d'euros), il rappelle qu'une restructuration de dette ou un défaut sur les remboursements sont des outils... presque comme les autres.

«Dans les années 1990, la Russie a restructuré 32 milliards de dollars de dettes soviétiques. En 1998, elle a fait défaut. Les gens disaient alors qu'elle ne s'en remettrait pas. Un banquier assurait qu'il préférerait avaler des déchets radioactifs plutôt que de réinvestir dans ce pays. Dans les deux ans, la Russie fut de nouveau courtisée (...) Si la Grèce décidait de restructurer sa dette, les capitaux ne mettraient guère de temps à affluer de nouveau».

Lire la chronique de The Economist:

Default, and other dogmas. The experience of ex-communist countries in the 1990s undermines many of the claims now made about Greece

Alors ? Alors tout cela pourrait faire débat. Etre discuté, contesté. Intéresser Alain Duhamel, mais aussi des parlementaires de droite. Etre explicité par la gauche surtout, qui va devoir gérer une éventuelle candidature de Dominique Strauss-Kahn à la présidentielle de 2012. Le PS tient dans trois semaines sa «convention» sur son futur programme économique : on écoutera avec attention son analyse du plan du FMI.