Depuis près de trois ans, deux journalistes, Inès Daif et Stéphane Kenech, accusent Mediapart, et en particulier Elie Guckert et Ariane Lavrilleux, journalistes pigistes, d’avoir volé le fruit de leur travail après la publication d’une série de trois articles sur les liens de l’ONG SOS Chrétiens d’Orient (SOSCO) avec le régime syrien publiés en septembre et octobre 2020 signés de ces derniers et Frank Andrews.
Puis, engageant une procédure aux prud’hommes, ils revendiquaient la qualité de salariés de Mediapart m’interdisant de pouvoir rétablir la vérité des faits alors que je suis responsable du pôle International de Mediapart. Pourtant la plume m’a démangé à bien des reprises, à la lecture de certains tweets ou d’un article d’Arrêt sur images qui, malgré la contestation que nous apportions aux accusations portées contre nous, reprenait essentiellement le point de vue de Stéphane Kenech (le site a enlevé sans aucune explication la signature de l’autrice).
Confiant dans l’issue de cette procédure, nous avons cependant accepté, sous l’égide du Conseil des Prud’hommes de Paris et en présence du Conseil d’Inès Daif et Stéphane Kenech, une conciliation, prévoyant que nous leur réglerions une certaine somme, à titre de pige, en contrepartie de leur contribution ainsi qu’une obligation réciproque de ne plus communiquer sur ces faits. Je tiens à préciser que j’avais déjà proposé une telle solution au mois de juin 2020 sans qu’aucune suite n’y soit donnée par Inès Daif et Stéphane Kenech.
Cependant, à peine cet accord conclu, M. Kenech s’empressait de le fouler aux pieds en s’exprimant à la fois sur les réseaux sociaux en mentant – contrairement à ce qu’il affirmait, en aucune manière le document signé était une reconnaissance par Mediapart du moindre vol d’informations – et en envoyant le procès-verbal qui devait rester confidentiel à des journalistes en en détournant le sens. Lundi soir 17 avril, Stéphane Kenech est allé plus loin dans la violation de ses obligations, en publiant le procès-verbal de conciliation sur son compte Twitter, avant de supprimer son tweet.
Stéphane Kenech a pris l’initiative de ne pas respecter les obligations qu’il s’était lui-même, de manière éclairée, engagé à respecter démontrant ainsi la conception qu’il se fait de la vérité et le peu de considération qu’il convient d’accorder à ses propos.
Il me revient dorénavant, afin d’éviter que la rumeur malveillante continue de se répandre, d’y mettre un terme en rétablissant la vérité pour protéger notre réputation et celle des journalistes auteurs des articles en qui nous maintenons toute notre confiance.

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Pour comprendre cette affaire, il faut remonter à l’année 2019.
À l’automne, Ariane Lavrilleux, qui collaborait depuis plusieurs années avec Mediapart depuis l’Égypte, était venue me proposer une enquête sur l’ONG SOS Chrétiens d’Orient (SOSCO) et ses liens avec le régime de Bachar Al-Assad, ce que j’acceptais. Au printemps 2020, j’étais contacté par Inès Daif qui expliquait avoir appris que nous enquêtions sur SOSCO et me proposait d’apporter des informations. Inès Daif et Stéphane Kenech, qui m’avaient été présentés par un journaliste de la rédaction, avaient publié en octobre 2019 sur Mediapart deux articles liés à l’Irak.
La collaboration s’était bien passée et je n’avais aucune raison de me méfier. Je leur conseillais de contacter Ariane qui avait d’ores et déjà commencé à enquêter sur ce sujet et qui était responsable de l’enquête. Finalement, nous acceptions qu’ils contribuent à cette dernière en nous apportant les éventuelles informations qu’ils détenaient sans qu’ils ne participent à l’écriture des papiers, ce qu’ils avaient accepté. Dans un mail du 2 juin 2020 adressé à Inès Daif et Stéphane Kenech, je soulignais qu’« Ariane doit rester maîtresse d’œuvre sur ce sujet car nous lui avions déjà commandé cette enquête. Elle va vous dire quels sont les éléments qui lui semblent complémentaires et que vous apportez pour l’intégrer dans son enquête. C’est elle qui tiendra également la plume. Elle me communiquera ce que vous lui avez apporté en terme de longueur ».
Très rapidement, nous nous sommes rendus compte que certaines des informations qu’Inès Daif et Stéphane Kenech ont fournies étaient partielles, voire inexactes et donc non utilisables en l’état. D’où ma décision de leur signifier la fin de notre collaboration en raison de ces manquements professionnels, alors que nous avons toujours eu pleinement confiance dans le professionnalisme d’Ariane, d’Elie et de Frank.
Ainsi, l’information la plus importante que Stéphane Kenech et Inès Daif affirmaient détenir dans un premier document Word – « Quatre sources valident : “C’est limpide, 15 pour cent [de SOSCO] sont octroyés à Hala Chawi une proche de Baschar Al-Assad” – s’est révélée fausse. Ariane et Elie leur avaient à raison demandé d’être plus précis sur les sources. Ariane a rencontré l’une d’elles à Paris qui a infirmé ce chiffre et dit qu’elle n’avait pas de preuve précise, mais qu’elle « avait entendu parler de ça ». Une autre source également interviewée par Ariane a également contesté ce chiffre et n’a pas donné d’éléments étayant cette affirmation. Enfin, Stéphane Kenech et Inès Daïf ont refusé de donner plus d’infos sur les deux autres sources. Tout était à l’avenant.
Nous avons estimé que Stéphane Kenech et Inès Daif ne respectaient tout simplement pas les bases du processus journalistique de vérification des informations. C’était donc contre notre déontologie de continuer avec eux.
Nous leur avons proposé de les rémunérer pour leur contribution qui s’avérait en réalité très réduite à l’enquête par le paiement de piges tout en leur confirmant que leurs informations non vérifiées ne seraient pas utilisées. Nous n’avons jamais eu de réponse à cette proposition.
Une première lettre a été envoyée par un avocat, puis une seconde puis une procédure engagée, et une conciliation acceptée sous l’égide du Conseil de Prud’hommes de Paris. Malheureusement rendue vaine immédiatement du fait de sa violation délibérée par Stéphane Kenech, incapable de respecter ses propres engagements en en détournant son sens.
À aucun moment nous n’avons reconnu, et pour cause, le moindre vol d’informations par l’acceptation de cette conciliation.
À aucun moment le conseil des prud’hommes n’a examiné les pièces produites de part et d’autres du fait de la conciliation.
Stéphane Kenech et Ines Daif ont délibérément violé les obligations qu’ils avaient souscrites sous l’égide du Conseil des Prud’hommes.
Le mensonge, la calomnie et l’atteinte à la réputation ne sont pas des informations mais de basses méthodes démontrant la conception pour le moins particulière de la déontologie journalistique de l’auteur qui les propage.
Elles n’auront jamais leur place dans notre journal.
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Voici également le témoignage d’Ariane Lavrilleux et Elie Guckert, victimes depuis plus de trois ans des mensonges et des attaques de Stéphane Kenech sur les réseaux sociaux.
« Depuis plus de trois ans, les mensonges que Stéphane Kenech tentent de répandre sur les réseaux sociaux visent à porter atteinte à nos réputations professionnelles avec des interpellations de nos confrères et rédacteurs en chef en public et en message privé sur Twitter et par mails. Nous avons également été victimes de menaces directes par téléphone. En décembre 2020, Inès Daif et Stéphane Kenech ont appelé à plusieurs reprises Élie Guckert à partir de 23h00, laissant plusieurs messages vocaux explicites sur leur sens et finalités.
Les affabulations de M. Kenech ont également permis d’alimenter la campagne de désinformation et de tentative de décrédibilisation de notre travail par SOS Chrétiens d’Orient et plusieurs médias d’extrême droite, à la sortie de notre enquête en septembre 2020. Nous avons à l’époque été accusés de faire partie « d’un monde interlope », d’être aux ordres d’officines étrangères, et d’avoir des méthodes de travail controversées.
Le 8 septembre 2020, l’association présidée par Charles de Meyer, assistant parlementaire de l’eurodéputé RN Thierry Mariani, affirmait que nous aurions trahi la déontologie journalistique en nous faisant « passer pour des membres de SOS Chrétiens d’Orient pour soutirer des informations à certains de nos partenaires », ce qui n’a, et pour cause jamais été démontrée, n’ayant jamais usé de méthodes d’infiltration.
Ces accusations ont refait surface le 1er mars 2022 sur Livre Noir, le média fondé par des soutiens de l’ex-candidat à la présidentielle Éric Zemmour. Dans une vidéo de « contre-enquête » censée blanchir SOS Chrétiens d’Orient, la community manager du site, elle-même ancienne bénévole pour SOS Chrétiens d’Orient en Égypte et en Irak, raconte que Stéphane Kenech aurait appelé l’association en février 2020 pour leur dire : « Je vais vous charger, je vais charger S.O.S, vous êtes dans la merde, jusqu’à un point où vous n’imaginez même pas. » Elle ajoute, sans plus de preuve, que ce dernier « s’est fait doubler par Mediapart, pour qui il travaillait. Tous ses éléments et ses sources auraient été repris par trois journalistes a priori peu scrupuleux ». C’est ainsi que les mensonges de Stéphane Kenech ont servi d’arguments de défense à SOS Chrétiens d’Orient et ses soutiens d’extrême droite. A la suite de ces prétendues révélations, Charles De Meyer applaudit « ce formidable décryptage ». « Nous sommes victimes d’une cabale, sous perfusion d’argent étranger, qui chercher à s’ingérer dans la campagne présidentielle. On ferme des chaînes pour moins que ça… », écrit-il.
Le 18 février 2023, Charles de Meyer relayait sur Twitter l’article d’Arrêt sur Images pour dénoncer « les méthodes d’une équipe d’ailleurs très douteuse ». se retrouvant alors cité en compagnie de Boulevard Voltaire et de L’Incorrect. Le site de « réinformation » d’extrême droite Ojim s’en délecte également et en profite, dans une volonté affichée de discréditer nos informations, nous accusant d’avoir réalisé « une enquête à partir d’éléments dont ils mettent eux-mêmes en doute le sérieux et en cessant toute relation avec leurs sources dont ils se méfient ».
Pourtant, près de trois ans après sa publication, notre enquête n’a jamais fait l’objet d’une quelconque plainte en diffamation.
Les informations que nous avons révélées – et qui n’ont jamais été volées contrairement à ce que répand abusivement Stéphane Kenech – n’ont jamais été démenties sur le fond. Elles ont même conduit le PNAT a confier à l’OCLCH une enquête préliminaire sur SOS Chrétiens d’Orient pour complicités de crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Une enquête qui, jusqu’à preuve du contraire, est toujours en cours, quoi qu’en disent les intéressés et quelle que soit la drôle de provenance des allégations qu’ils récupèrent pour tenter de faire oublier la réalité des faits. »
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À la suite de la publication de ce post de blog le 18 avril, nous avons reçu un droit de réponse de Charles de Meyer, président de l'association SOS Chrétiens d’Orient, daté du 12 mai.
En réponse au passage contesté suivant :
« Dans une vidéo de « contre-enquête » censée blanchir SOS Chrétiens d'Orient, la community manager du site, elle-même ancienne bénévole pour SOS Chrétiens d'Orient en Egypte et en Irak, raconte que Stéphane Kenech aurait appelé l'association en février 2020 pour leur dire : « Je vais vous charger, je vais charger S.O.S, vous êtes dans la merde, jusqu'à un point où vous n'imaginez même pas. » Elle ajoute, sans plus de preuve, que ce dernier « s'est fait doubler par Mediapart, pour qui il travaillait. Tous ses éléments et ses sources auraient été repris par trois journalistes a priori peu scrupuleux ». »
SOS Chrétiens d'Orient sollicite la réponse qui suit :
SOS Chrétiens d'Orient confirme que Stéphane Kenech a appelé l'association le 27 février 2020 aux alentours de 19h30 pour nous dire : « Je vais vous charger, je vais charger S.O.S, vous êtes dans la merde, jusqu'à un point où vous n'imaginez même pas. » L'association détient l'enregistrement de ces appels.
En réponse au passage contesté suivant :
« Pourtant, près de trois ans après sa publication, notre enquête n'a jamais fait l'objet d'une quelconque plainte en diffamation.
Les informations que nous avons révélées - et qui n'ont jamais été volées contrairement à ce que répand abusivement Stéphane Kenech - n'ont jamais été démenties sur le fond. Elles ont même conduit le PNAT à confier à I'OCLCH une enquête préliminaire sur SOS Chrétiens d'Orient pour complicités de crimes contre l'humanité et crimes de guerre. Une enquête qui, jusqu'à preuve du contraire, est toujours en cours, quoi qu'en disent les intéressés et quelle que soit la drôle de provenance des allégations qu'ils récupèrent pour tenter de faire oublier la réalité des faits. »
SOS Chrétiens d'Orient sollicite la réponse qui suit :
SOS Chrétiens d'Orient a fortement démenti et continue de démentir les accusations portées à son encontre dans ces articles publiés dans Mediapart. Le 08/09/2020, elle a publié un communiqué répondant aux questions envoyées par les auteurs des articles le 01/09/2020. A retrouver ici :
https://www.soschretiensdorient.fr/frlcommunique-de-presse/sos-chretiens-dorientrepond-a-mediapart/
Le 21/02/2022, à la suite de la parution d'un nouvel article de Mediapart la concernant le 17/02/2022, SOS Chrétiens d'Orient a de nouveau répondu sur le fond,. A retrouver ici : https://www.soschretiensdorient.fr/fr/communique-de-presse/attaques-contre-sos chretien$-dorient-stop-aux-manipulations-politiques-de-mediapart/